L'AFEST est une forme officielle de formation depuis un décret du 18 décembre 2018. Et qui dit formation dit formateur ou plutôt, en l'espèce, un tuteur chargé d'évaluer le stagiaire de formation en situation de production. Or comme l'indique la loi, il doit y avoir non seulement observation par le tuteur mais également restitution du niveau de maîtrise des compétences par des échanges approfondis réguliers entre le tuteur et le stagiaire, ainsi qu'une formalisation de l'évolution dans l'apprentissage du métier. Il ne s'agit donc pas de laisser simplement le stagiaire travailler seul dans son coin, ni de se contenter d'un petit mot de temps en temps autour d'un café.
Car des employeurs peuvent être tentés de détourner un dispositif : la Préparation Opérationnelle à l'Emploi Individuelle (POEI).
Ce dispositif, conventionné par France Travail, permet à un employeur d'engager un demandeur d'emploi pour le former sur un poste, avec la promesse d'un contrat de travail d'au moins 6 mois à la clé. Si la formation est uniquement constituée d'une AFEST, autrement dit s'il s'agit uniquement de former le stagiaire sur le terrain, la POEI est limitée à 300 heures. S'il y a une alternance entre des cours et de la formation sur le terrain, la POEI est limitée à 450 heures. Les éventuels frais pédagogiques de cours sont pris en charge par France Travail, donc par notre argent. Pour la formation sur le terrain l'employeur touche 5€ par heure, toujours avec notre argent. Quant au demandeur d'emploi en POEI, soit il consomme ses allocations chômage s'il a des droits ouverts, soit il perçoit une rémunération de formation d'un montant entre 220,92 € et 756,63 € (avec un plafond de 2134,61 € pour les travailleurs handicapés) à laquelle peut s'ajouter la prime d'activité avec la CAF.
Il est donc potentiellement tentant pour un employeur de négocier avec France Travail une POEI puis, au lieu de vous former, de vous faire travailler pendant 2 ou 3 mois sans avoir aucun salaire ni cotisations à verser et, cerise sur le gâteau, c'est l'employeur qui sera payé pour la partie de formation sur le terrain ! Toutefois si l'employeur ne vous embauche pas à l'issue de la POEI, il ne touche pas l'aide. Mais l'employeur peut ruser en se comportant mal dans les derniers jours de la POEI, pour faire en sorte que ce soit le stagiaire qui refuse l'embauche...

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Par exemple début 2024, grâce au témoignage de deux "stagiaires", l'entreprise Chanel s'est faite épingler pour avoir abusé d'une forme de POEI (l'AFPR, désormais fondue dans la POEI).
Hélas la possibilité de travail dissimulé sous conventionnement France Travail ne s'arrête pas à la POEI, il existe des détournements d'un autre dispositif dont le nom peut prêter à confusion avec l'Action de Formation En Situation de Travail : la Période de Mise en Situation en Milieu Professionnel - PMSMP - plus couramment appelée immersion.
L'immersion est très utile et même essentielle pour découvrir un nouveau métier dans le cadre d'un projet de reconversion. Elle peut aussi être très utile au demandeur d'emploi pour se faire connaître d'un employeur potentiel en passant quelques petits jours dans l'entreprise, afin d'être évalué à la fois sur ses compétences techniques mais également sur son savoir-être.
Mais attention, une PMSMP ne doit être qu'une observation réciproque : le demandeur d'emploi observe le travail dans l'entreprise, si nécessaire sur plusieurs postes ou dans plusieurs services différents, et en cas de mise en situation de travail le demandeur d'emploi doit à son tour être observé par une personne de l'entreprise, et juste le temps nécessaire à évaluer les aptitudes.
L'immersion peut durer jusqu'à 1 mois et même être renouvelée jusqu'à 1 mois supplémentaire si nécessaire. Sauf qu'une immersion longue, de plusieurs semaines, ne peut que concerner soit une immersion à temps partiel (par exemple vous serez présent·e dans l'entreprise tous les lundi et vendredi chaque semaine) soit une immersion consistant à suivre un projet de bout en bout, ou encore pour observer de nombreux postes ou services différents dans une grande entreprise. En aucun cas il ne peut s'agir de laisser le demandeur d'emploi travailler seul, sans observation et pendant plusieurs jours, ce qui est bien précisé dans un questions / réponses de 51 pages du Ministère du travail.
Par exemple on peut trouver sur Facebook un témoignage de la compagne d'un demandeur d'emploi qui, avec une dizaine d'autres personnes, a travaillé pendant 2 semaines en "immersion" pour une grande enseigne de distribution qui promettait à l'issue de ces 2 semaines... une POEI. Sauf qu'aucune de ces personnes n'a bénéficié de quoique ce soit à l'issue des 2 semaines de travail dissimulé.
La vigilance doit être d'autant plus accrue qu'une coupe budgétaire de l'État va peut-être susciter davantage de tentatives d'abus : ces dernières années, l'État a subventionné de très nombreux emplois dont des contrats par alternance, un rapport de la Cour des comptes a notamment révélé que l'aide à l'apprentissage a coûté 16,8 milliards d'euros d'argent public en 2022. Or il est prévu pour 2025 de faire 2,3 milliards d'euros d'économie sur le soutien à l'emploi dont 550 millions d'euros sur l'apprentissage
En principe, la mission de France Travail est de veiller à ce qu'une POEI ou une PMSMP ne vise pas à fournir de la main d'œuvre gratuite mais l'institution peut se faire berner par un discours faussement humaniste d'un employeur ("donner sa chance à un chômeur") ou peut faire preuve de négligence, voire de complaisance car France Travail met régulièrement en valeur son action grâce à la POEI ou l'immersion, sachant que ces deux dispositifs font également partie des supposées 15 à 20 heures d'activités hebdomadaires obligatoires pour certains bénéficiaires du RSA...
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Pour appeler le Ministère du travail à une sécurisation des services de France Travail, vous pouvez participer en quelques secondes à deux actions :
Une pétition : https://www.change.org/p/pour-le-plein-respect-de-nos-droits-par-france-travail
Un recensement des victimes de Pôle emploi / France Travail : https://www.labonneetoile.fr/recensement-des-victimes