En préambule qu'on se le dise : les dysfonctionnement observés dans le travail des conseillers indemnisation ne sont principalement pas de leur faute mais bien de la responsabilité de l'organisation.

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Image : Yann Gaudin
Les conseillers indemnisation sont chargés de traiter les demandes d'allocations puis la gestion de chaque compte d'allocataire, avec sur chaque dossier de nombreux mouvements liés à la fluctuation de l'activité professionnelle de l'allocataire, et des questions très fréquentes quand l'allocataire s'estime lésé ou, tout simplement, demande à comprendre son dossier et en connaître l'évolution potentielle.
Selon le rapport de Pôle emploi pour l'année 2021, il y aurait un peu plus de 7 000 conseillers indemnisation sur toute la France pour gérer les 33 milliards d'euros d'allocations chômage versées chaque année à environ 2,5 millions d'allocataires + 2,5 milliards d'euros d'ASS versées à un peu plus de 200 000 allocataires. Un conseiller indemnisation pour près de 400 allocataires, c'est bien trop peu compte tenu de la haute-technicité des règles qui s'appliquent toujours de manière spécifique à chaque configuration de dossier, et compte tenu de l'enjeu vital qui devrait rendre l'erreur très exceptionnelle et non pas habituelle. Pour vous faire une idée, le diagnostic complet d'un dossier d'allocataire avec restitution intelligible auprès de l'allocataire et explication des démarches à effectuer prend en tout plusieurs dizaines de minutes, autant dire que le petit coup de fil rapide au 39 49 n'est pas fiable du tout.
Concernant l'appellation métier, l'intitulé "conseiller" relève pour le moment de l'imposture : un agent chargé d'indemnisation n'apporte pas de "conseils" pour permettre à l'allocataire d'optimiser son revenu de subsistance mais seulement de l'information sur l'état du dossier et son devenir. D'ailleurs l'information se limite aux seules allocations distribuées par France Travail, un agent chargé d'indemnisation n'informera jamais un usager sur les aides de la CAF relatives à l'emploi comme la prime d'activité par exemple, et c'est bien dommage puisqu'il s'agirait là d'apporter une information complète - et même de réels "conseils" - pour inciter davantage à la reprise d'emploi. Et les aides financières de France Travail en matière de formation ou de garde d'enfants ne sont pas délivrées par les agents chargés d'indemnisation, mais par les conseillers emploi.
En réalité l'appellation interne chez France Travail n'est pas "conseiller indemnisation" mais "conseiller en gestion des droits" (GDD dans le jargon).
Car en effet on parle bien de droits aux allocations chômage, et pour cause : toutes les règles d'indemnisation sont définies par un très long décret d'assurance chômage et par des dispositions du Code du travail, du Code de la sécurité sociale, plus quelques autres textes juridiques.
Donc tous les jours et toute la journée, un conseiller indemnisation applique des règles de droit, que ce soit dans le traitement d'un dossier ou dans les réponses personnalisées apportées à l'allocataire. Or non seulement les conseillers indemnisation n'ont pour la plupart aucun diplôme en droit, mais ils ne sont pas formés non plus à la pratique du droit. Ce qu'ils appellent "réglementation", ce sont essentiellement des documents internes de vulgarisation que la direction leur met à disposition en intranet, des document PDF et autre Power-Point comme par exemple ce document sur la gestion des dossiers d'allocataires entrepreneurs qui ne comporte quasiment aucune référence juridique alors que tout repose sur des règles propres à chaque statut d'entrepreneur. Une partie de ces documents de vulgarisation est élaborée par les directions régionales et on se demande bien pourquoi puisque les règles sont les mêmes pour l'ensemble du territoire national. Et comme vous l'aurez compris à la lecture des autres articles de ce blog, ces documents donnent parfois des consignes qui ne correspondent pas aux règles de droit et causeront donc systématiquement un préjudice pour l'allocataire. Mais le conseiller indemnisation l'ignore, il fait confiance à sa hiérarchie.
Pour sécuriser le service rendu, l'outil principal des conseillers indemnisation devrait être notamment la circulaire Unédic généraliste, justement faite pour expliquer les règles en s'appuyant sur les références juridiques, et la culture professionnelle de ces conseillers indemnisation devrait être de connaître et consulter régulièrement les règles originelles, à savoir notamment le décret d'assurance chômage en vigueur.
Il y a donc là un gros problème dans l'usage de la matière juridique, d'ailleurs les conseillers indemnisation n'ont pas du tout pour habitude d'étayer leurs réponses aux usagers par des références juridiques alors qu'il s'agit d'une obligation au regard du Code des relations entre le public et l'administration, comme expliqué dans cet autre article, mais ça aussi les conseillers indemnisation l'ignorent puisque la direction ne leur parle jamais de ce Code. Si vous abordez la véritable réglementation avec un conseiller indemnisation, il y a une très forte probabilité qu'il ne vous réponde pas directement et que votre question se refile comme une patate chaude à un référent réglementaire de l'agence, à un responsable d'équipe, au service réglementaire régional, au service réglementaire national, à l'Unédic voire au ministère du travail.
Au-delà même de ce "bricolage" dans l'usage de la matière juridique, il y a également une sérieuse question de légalité de la mission : lorsqu'un usager pose des questions à un conseiller indemnisation, il y a une prestation intellectuelle fournissant une information personnalisée fondée sur l'application de règles de droit devant permettre à la personne de prendre des décisions. Or c'est exactement la définition d'une consultation juridique qu'a adopté le Conseil National des avocats en 2011, et selon la Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 les organismes de service public doivent obligatoirement faire l'objet d'un arrêté ministériel d'agrément définissant quel niveau de diplôme et d'expérience, au sein de chaque service public, autorise la consultation juridique à titre accessoire. Sauf qu'il n'y a jamais eu aucun arrêté d'agrément concernant France Travail, et que les conseillers indemnisation pratiquent le droit à titre principal et non accessoire. En l'état, les conseillers indemnisation semblent donc tous hors-la-loi, ce qui pourrait toutefois se corriger par une définition officielle moins large du concept de consultation juridique.
Maintenant vous comprenez peut-être mieux tous les dysfonctionnements observés dans le travail des conseillers indemnisation : l'institution n'a tout simplement pas mis en œuvre les moyens nécessaires. Sur le papier, dans les 4 pages très détaillées de la fiche de poste d'un conseiller indemnisation, tout y est pourtant. Mais uniquement sur le papier.
Reste évidemment, comme dans n'importe quelle organisation, le risque de potentielles déviances individuelles qu'on pourrait illustrer par les péchés capitaux : l'orgueil (« je ne veux pas reconnaître m'être trompé », « je veux protéger l'image de mon établissement »), la paresse (« la flemme de traiter ce dossier compliqué »), l'avarice (« je ne veux pas donner plus d'argent à cette personne »), la jalousie (« ça me dégoûte qu'un chômeur puisse gagner plus que mois »), la colère (« cette personne m'énerve avec toutes ses questions »). Mais là encore c'est à la hiérarchie de France Travail de veiller à ne pas faire subir, le cas échéant, ces déviances au public.
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Pour demander la sécurisation des services de France Travail : pétition en ligne
Pour soutenir l'auteur : cagnotte en ligne