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Billet de blog 23 septembre 2024

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Le faux bilan carbone de France Travail

« France Travail passe au vert et réduit encore son empreinte carbone » titre crânement l'institution dans un article du 19 septembre 2024 sur son bilan carbone. Sauf que ce bilan est honteusement bidon, voici pourquoi.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans son article de propagande, France Travail affirme avoir déjà réduit de 20% ses émissions de CO2 sur la période de 2011 à 2021 et annonce avec ambition vouloir réduire encore de 35% ses émissions d'ici 2030. Sauf qu'un détail dans cet article met la puce à l'oreille : il n'y est quasiment pas question de l'empreinte carbone liée aux usagers.

L'institution a mis en ligne son bilan carbone 2023 sur une autre page avec en propos liminaire « France Travail utilise la méthodologie Bilan Carbone ® et dépose également officiellement son bilan d’évaluation de gaz à effet de serre (BEGES) tous les 3 ans sur le site de l’ADEME pour répondre à ses obligations légales », voilà qui fait sérieux.

Mais à la consultation du tableur qui détaille le bilan, on peut alors constater de grossiers manquements.

223 256 tonnes de CO2 émises par l'activité de Pôle emploi en 2023, voilà le total affiché dans le tableur. On notera toutefois que l'institution a le mérite de présenter un bilan national, tandis que par exemple la CAF ou la CPAM ne présentent que quelques bilans départementaux. Et si on compare ces 223 256 tonnes de CO2 avec les 3 millions de tonnes émises par Mc Donald's France, le bilan de Pôle emploi peut paraître léger mais c'est surtout la méthode de calcul qui est très légère.

Techniquement, pour calculer un bilan carbone il faut évaluer les émissions directes de l'appareil de production, qui correspondent au scope 1, les émissions indirectes liées notamment à l'électricité consommée par l'appareil de production, qui correspondent au scope 2, et toutes les autres émissions indirectes dont notamment le transport des salariés et des visiteurs, qui correspondent au scope 3. Il est communément admis que ce scope 3 est le plus difficile à mesurer précisément, encore faut-il avertir clairement de cette difficulté, et nous avons là un parfait exemple de négligence coupable.

Dans le tableur de son bilan 2023, France Travail présente le détail lié à chaque poste d'émissions et pour chaque région, or première anomalie : en additionnant le total national de tous les postes d'émissions, on arrive tout juste à un peu plus de la moitié des 223 256 tonnes de CO2, à quoi donc correspond l'autre moitié ? Aucune explication dans le tableur, sinon un dernier onglet sur les taux d'incertitudes pour chaque élément. A ce stade, on peut donc en déduire que le total est une approximation établie par un coefficient multiplicateur lié aux incertitudes.

Mais ce sont surtout les postes d'émissions qui interpellent : concernant les usagers, il n'y a que le transport des visiteurs en agence qui est comptabilisé, or lorsqu'un usager utilise son ordinateur pour envoyer un mail ou effectuer des démarches en ligne, il consomme de l'énergie et use son appareil qui lui-même a une empreinte carbone liée à la fabrication et au traitement final du déchet ; idem lorsqu'un usager utilise son téléphone pour ses échanges avec France Travail, il y a aussi une empreinte liée à l'énergie et à l'appareil, et l'attente est parfois longue au 39 49... Il y a déjà là un premier manquement de taille : cette empreinte liée aux démarches à distance est totalement absente du bilan carbone de France Travail.

Autre manquement manifeste : le poste Déplacements Visiteurs/Agence représenterait selon le bilan de France Travail seulement 8% du total des émissions avec 11 282 tonnes de CO2 sur l'année, mais ce chiffre est de toute évidence très en-dessous de la réalité.

Les visites en agence sont de natures diverses : il y a les usagers qui viennent pour un entretien obligatoire (entretien d'inscription ou de suivi), ceux qui viennent participer à une réunion, les usagers qui passent le matin sans rendez-vous pour poser des questions ou utiliser le matériel informatique en libre-accès, enfin il peut y avoir aussi au quotidien quelques visites d'employeurs ou de partenaires.

Dans ses chiffres clés de 2022, Pôle emploi affichait 6,6 millions de visites en agences dont 6 millions pour un entretien en agence, le reste étant probablement la comptabilité des usagers présents aux réunions. Or avec 896 agences en France et 300 jours d'ouverture pour chaque agence dans l'année, les 6,6 millions de visites ne représentent que 24,5 visites par jour et par agence. En fait ce chiffre élude totalement les visites spontanées du matin qui ne sont jamais mesurées dans aucune agence, notamment les visites pour poser des questions ou utiliser le matériel informatique, et l'ordre de grandeur de ces visites spontanées doit raisonnablement se situer aux alentours de 120 personnes en moyenne par jour et par agence (note de l'auteur : cette évaluation correspond à une comptabilité faite en agence lorsque j'étais conseiller). On arrive donc au national et sur l'année à un total supplémentaire 32,2 millions de visiteurs. On peut ainsi multiplier par 6 l'empreinte carbone liée uniquement au total des visites, ce qui en fait alors tout simplement le premier poste d'émissions de CO2 de l'institution avec 35% du total de l'empreinte carbone, à égalité avec les Déplacements Domicile/Travail de tous les salariés (y compris les salariés des 157 sites qui ne reçoivent pas de public).

Et si on ajoutait l'empreinte domestique des démarches à distance, on arriverait probablement à la moitié de l'empreinte carbone globale de France Travail, au lieu des 8% affichés par l'institution dans son bilan.

Illustration 1

Image : Pixabay

Pour réduire significativement son empreinte carbone, France Travail doit donc avant tout se concentrer sur l'empreinte liée à l'usage de ses services. Et l'axe principal d'amélioration en la matière n'est pas de supplanter davantage encore la relation physique en agence par de la relation à distance, mais tout simplement d'améliorer la qualité de service, car les dysfonctionnements dans le traitement des dossiers et dans les réponses apportées aux usagers démultiplient les démarches par visites spontanées, appels, mails, réclamations, etc.

Mais pour se rendre compte de cet axe prioritaire de progrès écologique, il faut y voir clair dans le bilan carbone et non pas en faire un écran de fumée.

***

Pour appeler le Ministère du travail à une sécurisation des services de France Travail, vous pouvez participer en quelques secondes à deux actions :

Une pétition : https://www.change.org/p/pour-le-plein-respect-de-nos-droits-par-france-travail

Un recensement des victimes de Pôle emploi / France Travail : https://www.labonneetoile.fr/recensement-des-victimes

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