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Billet de blog 26 février 2023

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Chômage en France : le conte n’est pas bon

Le gouvernement nous aguiche avec sa propre version de l'histoire : le chômage serait à un niveau historiquement bas et la création d'emplois se porterait à merveille. Le récit présidentiel est joli, mais la réalité est cruelle.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La population active d'un pays est constituée des personnes présentes sur le marché de l'emploi, chômeurs compris. En France, la population active représente actuellement un peu plus de 30 millions de personnes, c'est 4,5% de plus qu'en 2008. Dans le même temps, le nombre d'inscrits à Pôle emploi a explosé : + 60%, passant de 3,8 millions de personnes au 4ème trimestre 2008 à 6,1 millions au 4ème trimestre 2022.

Et pourtant le gouvernement nous aguiche avec sa propre version de l'histoire : le chômage serait à un niveau historiquement bas et la création d'emplois se porterait à merveille.

Image : Pixabay

Illustration 1

Retour à la réalité, voici 7 faits vérifiables.

Le taux de chômage de l’INSEE ne relève pas d’une comptabilité, il provient d’un sondage

7,2% : le taux de chômage pour le 4ème trimestre 2022 - annoncé le 14 février 2023 - semble précis au dixième près, comme issu d’une mesure statistique implacable. Or il s’agit en réalité d’une évaluation faite par l’INSEE par une méthode d’enquête auprès d’un panel de 80 000 français (0,27% de la population active) et sur déclaratif des sondés.

L'institut prévient d'ailleurs d'une marge d'erreur de 0,3 points, mais cette marge est continuellement "oubliée" dans la communication faite aux citoyens.

Ce taux approximatif pose désormais un gros souci puisque le gouvernement l'a introduit dans la mécanique de l'assurance chômage pour faire tomber le couperet d'une amputation de la durée d'indemnisation en cas de perte d'emploi. Autrement dit, la protection de millions de français et de leurs proches est désormais jouée au hasard des réponses d'un panel. Glaçant.

Le taux de chômage de l'INSEE ne mesure pas le chômage

Le chômage correspond à la situation d'une personne active (apte à travailler) qui ne dispose pas d'une activité professionnelle rétribuée.

A première vue il s'agit donc d'une main d'œuvre disponible, sauf qu'une part de cette main d'œuvre n'est pas en demande immédiate d'emploi. Soit parce que la personne a retrouvé un emploi dont la prise de poste est proche, soit parce que la personne est dans une démarche de nouveau projet professionnel (par exemple elle suit ou va bientôt suivre une formation, ou elle prépare une création d'entreprise), soit parce que des éléments de vie personnelle suspendent temporairement la recherche d'un nouvel emploi.

Et ce que mesure l'INSEE, c'est justement la demande immédiate d'emploi et non le taux de chômeurs au sein de la population active.

Les critères sont restrictifs car pour être considérée au chômage lors du sondage de l'INSEE, la personne sondée doit :

  • être sans emploi durant la semaine de référence du sondage, donc ne pas avoir par exemple travaillé 1 journée en intérim ;
  • être disponible pour travailler dans les 2 semaines, donc ne pas avoir non plus 1 journée d'intérim programmée ;
  • avoir effectué, au cours des 4 dernières semaines, une démarche active de recherche d’emploi ou avoir trouvé un emploi qui commence dans les 3 mois (mais pas dans les 2 semaines).

Alors pourquoi ne pas retenir plutôt les données de Pôle emploi, qui relèvent pour le coup d'une véritable comptabilité qui prend en compte la réalité de la situation professionnelle des usagers ?

Parce que tous les chômeurs ne sont pas inscrits à Pôle emploi, notamment s'ils ne sont pas indemnisables. Et c'est également le cas à l'étranger, selon que l'indemnisation couvre plus ou moins largement la population sans emploi, voire pas du tout comme dans beaucoup de pays. Dès lors, le Bureau International du Travail (BIT) ne peut que privilégier la méthode du sondage pour effectuer des comparaisons entre les nations, avec le défaut d'une mesure à la fois restrictive et approximative.

Halo, non mais halo quoi

Ces chômeurs qui passent à la trappe lors du sondage, l'INSEE les comptabilise dans une catégorie joliment appelée halo du chômage. Et cette population fait une grosse bosse sous le tapis : en 2021, ces chômeurs étaient évalués au nombre de 2 millions ! Autrement dit, pour un chômeur validé par l'INSEE dans son "taux", il y a un autre chômeur que l'on cache.

Ainsi le taux actuel de 7,2% semble être une performance meilleure encore que les 7,4% d'avant crise de 2008, sauf que dans le même temps le nombre de chômeurs exclus du taux a grimpé de... 34% entre 2008 et 2022.

La catégorie A, comme Apparence

Le tour de passe-passe, ce décalage entre un faible taux de chômage affiché et un chômage de masse en réalité persistant, s'observe aussi à l'aune des chiffres de Pôle emploi.

Certes il y a des personnes inscrites à Pôle emploi mais qui ne sont pas au chômage total : les personnes qui ont travaillé dans le mois sont en catégorie B (jusqu'à 78 heures de travail) ou C (au-delà de 78 heures), tandis que les chômeurs-entrepreneurs sont en catégorie E. Et bien que l'institution les appellent tous demandeurs d'emploi, il y a des inscrits qui ne sont officiellement pas en demande immédiate d'un emploi, notamment les personnes en formation, la catégorie D.

Retenons seulement la catégorie A, les personnes supposées en demande d'emploi et sans aucune activité dans le mois.

De 2,3 millions de personnes au 4ème trimestre 2008 donc 8,1% de la population active de l'époque, nous sommes passés à un peu plus de 3 millions au 4ème trimestre 2022 donc 10,1% de la population active. Voilà qui est bien moins brillant que les sondages de l'INSEE.

Or non seulement il s'agit cette fois d'une véritable comptabilité, composée de véritables gens en situation très précaire, mais il faut y ajouter le propre halo des chiffres de Pôle emploi.

On s'est beaucoup focalisés sur le nombre record de radiations-sanctions l'année passée, un peu plus de 50 000 par mois, mais la moyenne depuis 2008 (hors 2020) se situe à 45 000 personnes donc il n'y a pas là de gap statistique significatif.

En revanche si on regarde du côté des inscrits en formation, donc par nature sans aucun travail dans le mois, on observe un bond entre 2008 et 2022 : + 78% ! Pour la catégorie E où se trouvent les chômeurs-entrepreneurs, dont une partie ne perçoit aucun chiffre d'affaires dans le mois et devrait donc être en catégorie A, c'est également un bond de 63%.

Concernant les usagers de Pôle emploi en arrêt maladie, on observe là aussi une augmentation de 20,1% entre 2008 et 2022. Et quand la maladie devient invalidante, quand la personne active a été abîmée par le travail, on passe notamment à une prise en charge au titre de l'Allocation Adulte Handicapé (AAH) et le nombre de bénéficiaires en la matière s'est accru de 14,6% rien qu'entre 2017 et 2022, ce qui représente beaucoup de chômeurs sortis des chiffres de Pôle emploi puisque sur 1,2 millions de bénéficiaires de l'AAH, seuls 12% sont inscrits à Pôle emploi.

A tous ces ingrédients pour une potion magique allégée en chômeurs, on peut enfin ajouter les bénéficiaires du RSA : 49% étaient inscrits à Pôle emploi en janvier 2017 mais ils n'étaient plus que 45% en septembre 2022. Là aussi c'est 1 million de personnes qui n'apparaissent pas dans les comptes de Pôle emploi.

Le nez de Pinocchio s'allonge, la durée de chômage aussi

Si le chômage avait fondu et que le plein emploi était tout proche, alors la durée d'inscription à Pôle emploi devrait s'être considérablement réduite ces derniers temps. C'est tout le contraire : au 4ème trimestre 2008 l'ancienneté moyenne des inscrits à Pôle emploi était de 392 jours, au 4ème trimestre 2022 elle était de 653 jours.

Il s'agit de l'ancienneté toutes catégories confondues, heureusement pas uniquement en catégorie A, mais venons-en justement à la notion de plein emploi : le terme suggère que les actifs seraient tous occupés durablement à temps plein. Or les catégories B et C de Pôle emploi, à savoir les chômeurs qui ne travaillent pas à temps plein et/ou pas en CDI, ont plus que doublé entre 2008 et 2022, passant de 1 million à 2,3 millions.
Quand les trous du gruyère augmentent plus que la portion de gruyère, on ne peut pas parler de plein gruyère.

Contrats et fin de contrats : un record de va-et-vient

Logiquement si le chômage avait réellement fortement diminué, l'emploi devrait avoir fortement augmenté. C'est justement l'autre axe de la communication gouvernementale : la création d'emplois atteindrait des records ! Sauf que si vous avez lu tout ce qui précède, vous vous doutez qu'il y a un hic.

Selon les données de la DARES, depuis la crise du Covid les embauches ont repris de plus belle et ont en effet atteint un record au 2ème trimestre 2022 avec exactement 6,5 millions d'embauches, plus du double qu'au même trimestre 2008 ! Sauf que les fins de contrats aussi ont atteint un record ce même 2ème trimestre 2022 avec 6,3 millions de fins de contrats. Et la différence nette n'est pas du tout un record : depuis 2008 on a connu 15 trimestres plus prospères que le 3ème trimestre 2022, le 2ème trimestre 2022 se place dans la moitié la moins prospère de l'ensemble des trimestres et la France avait connu des destructions massive d'emplois pendant le Covid.

Le seul record ici c'est un record d'instabilité, de volatilité dans la relation contractuelle entre employeurs et salariés, rien de réjouissant d'autant plus qu'il s'agit d'une tendance amorcée depuis 2016. D'ailleurs on nous laisse entendre que les employeurs auraient des difficultés à recruter, or les données de la DARES sont édifiantes : depuis début 2021, on atteint chaque trimestre un record absolu de licenciements hors motif économique, y compris dans les secteurs dits en tension comme le bâtiment. En somme, les employeurs se débarrassent de plus en plus de leurs salariés mais ils se plaindraient d'en manquer.

1 offre sur 10

Dernier élément : les emplois disponibles, là tout de suite. Le site pole-emploi.fr, qui agrège de nombreuses offres d'autres sites, donne aussi un instant l'illusion de l'abondance : plus d'1 million d'offres d'emploi à pourvoir ! Hélas, à temps plein il ne reste que 230 000 offres et en CDI on tombe à 125 000 offres. Pour 3 millions de chômeurs sans aucune activité.

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