7.200 euros brut par mois pour un député, 3.250 pour un professeur d’université, chercher l’erreur
Comme l’indique l’Assemblée nationale, en 2017 un député reçoit chaque mois une indemnité d’environ 5 600 euros, auxquels s’ajoutent une indemnité de résidence de 168 euros et une indemnité de fonction de 1 440 euros, soit un salaire brut mensuel d’environ 7 200 euros par mois. Et c’est sans compter l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) de plus de 5 800 euros, dont les révélations lors de la campagne présidentielle ont montré qu’un nombre non négligeable de parlementaires s’en servaient pour rémunérer des conjoint/e/s ou des enfants, ce qui en fait parfois un complément familial non négligeable.
Mais restons aux stricts 7 200 euros bruts par mois. Face à cela combien gagne un professeur d’université ?
D’abord, il faut préciser que pour devenir professeur d’université, il faut généralement faire une thèse de doctorat (bac +8), suivie d’une dizaine d’années comme maître de conférences, puis de la préparation d’une HDR (Habilitation à diriger des Recherches). Si l’on voulait s’amuser à compter, dans la plupart des cas, les professeurs auraient donc un niveau Bac+18 ou Bac +20…
S’il est recruté au plus bas échelon de la carrière de professeur (1er échelon de la 2ème classe), cet enseignant-chercheur recevra 3 100 euros brut/mois. Et il lui faudra attendre une huitaine d’années pour atteindre 4 000 euros bruts. Ce n’est qu’en passant à la 1ère classe (ce qui n’est pas du tout automatique) qu’il pourra espérer gagner à terme plus de 5 000 euros, mais au prix d’une lente progression d’une dizaine d’années.
Le maximum qu’une poignée de professeur peut atteindre (compte tenu de la durée de la progression de carrière) est de 6 200 euros bruts par mois, soit environ 1 000 euros de moins qu’un député.
Un professeur d’université gagne bien moins qu’un député ou qu’un cadre du privé, et que dire de la rémunération encore plus faible des maitres de conférences
Le salaire moyen net des professeurs d’université : 3 250 euros/mois, montre d’ailleurs que très peu arrivent au maximum théorique possible. C’est bien sûr nettement mieux qu’un SMIC, mais bien moins que le salaire net moyen d’un cadre du privé (4 580 euros net/mois) et encore moins qu’un député (entre 4 900 et 5 300 euros net/mois)
Quant aux primes des universitaires, elles sont très limitées, en montant ou dans le temps. Ainsi la prime de recherche et d’enseignement supérieur est d’environ 100 euros par mois, bien loin des 1 440 euros d’indemnités de fonction des parlementaires.
Pour finir, on ajoutera que seuls environ 22 % des universitaires atteignent le statut de « professeur ». Cela signifie que plus des trois quarts n’y parviennent pas (notamment par manque de postes) et restent sur des fonctions de maître de conférences ou d’autres statuts moins bien rémunérés, même s’ils ont aussi la plupart du temps un niveau d’étude dépassant Bac+8. Ainsi un maître de conférences, après au moins huit ans d'études supérieures (des années non-cotisées pour la retraite), va débuter à 1 700 euros net, soit 20% de moins que le salaire moyen des Français à plus de 2.200 euros net.
La carrière d’un universitaire s’aligne sur celle d’un capitaine dans l’armée
Par-delà les aspects comptables et salariaux, la déclaration ridicule d’Hervé Mariton est révélatrice non seulement d’une méconnaissance mais aussi d’un mépris de l’université en France. Ce mépris est significatif dans l’évolution des carrières. Dans les années 1950, la carrière d’un professeur d’université s’alignait sur celle d’un colonel dans l’armée. Dans les années 2010, elle correspond à celle d’un capitaine.
Cette lente régression montre comment la République française considère l’ « élite » de ses universitaires… comme des « capitaines », bien en dessous de ses « colonels » parlementaires ou hauts fonctionnaires d’autres administrations, ou de ses « généraux » grands patrons d’industrie. Et pourtant, en termes de formation, beaucoup de ces derniers n’ont pas dépassé le niveau Bac+5.
Cette dérive est aussi révélatrice d’une exception française. Alors que presque partout ailleurs dans le monde, et notamment dans les pays anglo-saxons, les élites politiques, administratives, économiques ou techniques sont issues de l’université, en France, les « élites » viennent principalement des dites « Grandes écoles », qu’elles soient d’ingénieurs, d’administration, de commerce, ou autres institutions prestigieuses comme l’ENS ou SciencePo, qui appliquent une sélection dans le but affiché de récupérer les « meilleurs ». Et pourtant, au final, ce système ne produit pas forcément les « meilleurs », mais plutôt des exécutants de haut-niveau, qui auront tendance à reproduire le système, même quand il devient obsolète. D’où par exemple l’aggravation de la situation française (endettement, chômage, paupérisation…) causée par ces « élites » non universitaires depuis une cinquantaine d’années et le déficit croissant de « penseurs majeurs » français à l’image des Montesquieu, Voltaire, Tocqueville, Sartre, Foucault…
Suivons Hervé Mariton, alignons les carrières des universitaires sur celles des députés !
Le salaire ne fait pas tout, et il y a de mauvais universitaires comme il y a de médiocres parlementaires. En outre, il y a aussi beaucoup de questions connexes qui mériteraient d’être posées, comme le clivage souvent arbitraire et artificiel entre des « enseignants-chercheurs » et des « chercheurs à temps plein » qui n’enseignent pas, avec des différences de statut et de charges qui entraînent des inégalités dommageables à la recherche. Reste que si l’on veut que la France maintienne sa place dans le monde de l’excellence, il y aurait sans doute une piste à creuser dans la remarque de Hervé Mariton. Pourquoi n’alignerait-on pas les deux carrières d’universitaires et de parlementaires ?
Cela pourrait se faire par le bas, en ramenant les salaires et avantages des députés au niveau des universitaires. Cela réduirait les déficits publics et amènerait chez les élus un peu d’humilité et une meilleure conscience de comment des gens peuvent vivre sans gagner 5 000 euros par mois.
Cela pourrait aussi se faire par le haut, en augmentant les universitaires, ce qui aurait l’avantage d’inciter les jeunes ayant le plus de potentiel à ne pas se détourner de ces carrières mal reconnues.
Cela pourrait aussi se faire d’une autre manière, par une vraie réflexion sur les conditions de travail à l’université, afin d’optimiser ce qui devrait être une des institutions les plus chéries de la République !
En tout cas, il y a des pistes à creuser et il faut espérer que la bourde méprisante de monsieur Mariton servira au moins à cela.