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Billet de blog 9 janvier 2025

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Nucléaire 2050 : le black-out énergétique en France ?

Doit-on se féliciter du démarrage de l’EPR de Flamanville avec 12 ans de retard et des coûts 6 fois supérieurs aux prévisions? Non, car ce pseudo succès masque une menace grave: un black-out énergétique en France d’ici 2050. En effet, à cause du vieillissement des réacteurs, même avec les nouveaux EPR prévus, le nucléaire devrait alors produire au plus 6 à 10 % des besoins énergétiques français.

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En France, la part du nucléaire dans l’énergie est moins importante que ce que beaucoup croient.

Au milieu des années 2020, le nucléaire représente certes 70 % de la production « électrique » française, mais l’électricité n’est qu’une partie de la consommation énergétique nationale. En fait, toutes énergies confondues, le nucléaire correspond à seulement 17 % de la consommation française totale, contre 16 % pour les renouvelables, et 67 % pour les fossiles.

Illustration 1
Les énergies consommées en France dans les années 2020 © Yann Quero

Cela signifie que le pétrole, le gaz et le charbon représentent encore les 2/3 de notre consommation.

L’EPR1 de Flamanville n’y changera pas grand-chose. En effet, même s’il ne rencontre pas de soucis, il produira au plus 0,4 % de la consommation énergétique française. Or, pour que la France respecte ses engagements sur le climat (l’Accord de Paris de 2015), le pays va devoir se passer de ces 67 % d’énergies fossiles à partir de 2050 (soit l’équivalent de 170 fois la puissance de l’EPR1).

Le nucléaire est-il capable de remplacer les fossiles à cette date, sachant que la France vise l'électrification d'un nombre toujours croissant d'équipements, à commencer par le parc automobile ?

Non, et pour 2 raisons :

1) première raison : la France pourra construire « au plus » 6 réacteurs EPR2 d’ici 2050.

« Au plus », car les nouveaux EPR2 sont encore expérimentaux (ils sont différents de l’EPR1 de Flamanville) ; et car EDF n’a même pas fini d’en dessiner les plans. EDF reconnaît d’ailleurs que le calendrier de construction de 6 réacteurs en 25 ans sera très difficile à tenir.

Même si ces 6 réacteurs sont construits dans les temps, et même s’ils produisent une fois et demi plus que les anciens, leur électricité représentera « au plus » l’équivalent de 2,7 % de la consommation énergétique française du début des années 2020.

2) deuxième raison : les promoteurs du nucléaire oublient souvent de dire à quel point le parc actuel est vieillissant. Il avait été conçu pour durer une trentaine d’années. EDF voudrait les pousser jusqu’à 60 ans, ce qui est loin d’être garanti, car le matériel n'a pas été conçu pour. Cependant, même si les réacteurs actuels peuvent être prolongés jusqu’à 60 ans, plus de 80 % d’entre eux (46 réacteurs sur 56) atteindront ou dépasseront cet âge en 2050.

Suite à ces fermetures, le parc nucléaire français sera réduit de 82 % (divisé par 5) en 2050, et produira « au plus » 18 % de sa capacité actuelle, soit 3,1 % de la consommation énergétique nationale. Cela pourrait même être moins, en cas de pannes ou d’arrêts plus fréquents, sans parler des aléas climatiques liés au manque d’eau, ou d’autres soucis induits par des accidents ou les difficultés d’approvisionnement en uranium.

Même sans prendre en compte ces éventuels soucis, si on fait l’addition pour savoir ce que représenterait alors « au plus » le nucléaire en France en 2050, cela donne :

3,1 % (réacteurs actuels ayant moins de 60 ans) + 0,4 % (EPR1 de Flamanville) + 2,7 % (6 nouveaux EPR2) = 6,2 %.

D’ici 25 ans, le nucléaire représenterait donc « au plus » en France 6,2 % de la consommation nationale actuelle, et peut-être moins si la construction des 6 EPR2 prend du retard ou que d’autres problèmes surviennent.

Certes les plans « très ambitieux » de RTE (Réseau de Transport d’Electricité français) projettent que la consommation énergétique française totale pourrait baisser de 40 % d’ici 2050. Là encore, ce n’est pas du tout garanti. Une réduction moindre est à craindre. Et même si la France parvient à réduire sa consommation d’énergie de 40 %, le nucléaire ne représenterait alors toujours « au plus » que 10,3 % de l’énergie nationale en 2050 (Cf. tableau).

Illustration 2
Pourcentage maximal de couverture de la consommation énergétique française par le nucléaire en 2024 et 2050 © Yann Quero

Comment seront produits les 90 % ou 94 % restants de énergie dont la France aura besoin en 2050 ?

Certains objecteront peut-être que, dans les « plus ambitieux des scénarios », RTE envisage la construction de non pas 6, mais 14 EPR. Cela paraît assez irréaliste, tant sur les délais que sur les coûts, car la dette d’EDF est de plus de 50 milliards d’euros alors qu’il faudrait a minima 150 milliards d’euros pour construire ces nouveaux EPR. De surcroît, même avec 8 EPR supplémentaires (en plus des 6 EPR déjà hypothétiques), le nucléaire ne permettrait de couvrir que 11 % du niveau de consommation actuel (et 18 % des besoins en cas de réduction de 40 % de la consommation nationale par rapport aux années 2020).

Il resterait donc de toute façon de 80 % à 90 % de l’énergie à produire autrement que par le nucléaire en 2050, notamment via les renouvelables, à condition que ces filières soient financées à la hauteur des besoins. Cet enjeu sera crucial pour l’économie, comme pour le climat.

Il s’agit là de questions fondamentales. Vu les délais, elles auraient dû être abordées depuis longtemps par nos gouvernants, mais les pressions et tabous sont nombreux. Ces questions nécessitent pourtant un vrai débat, en complète transparence, tant sur les coûts des projets, que sur leur faisabilité au cours des 25 prochaines années, en termes de production et de réduction de la consommation d’énergie.

Illustration 3
Nucléaire 2050 : le black-out énergétique en France ? © Yann Quero

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