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Billet de blog 9 février 2017

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Le revenu universel face à l’absurde espoir du retour au plein emploi

Les politiques font de la baisse du chômage une priorité absolue, mais nombre de mesures qu’ils promettent (surtout à droite) ne pourront que l’aggraver, quoique certains à gauche évoquent aussi des propositions aux effets néfastes... S’agit-il d’aveuglement, d’absence d’imagination, ou d’un triste manque de sens commun ? Cela amène en tout cas à poser la question du revenu universel.

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Délocalisation versus automatisation

Depuis les années 1970, l’emploi en France est confronté à deux menaces majeures, d’une part les délocalisations et d’autre part les suppressions liées aux progrès techniques. D’après les personnalités politiques et les grands décideurs, hors de ces deux options, les produits français ne seraient plus compétitifs face à ceux de leurs concurrents ou des pays dits « émergents ».

Les délocalisations permettent aux industriels de continuer à produire, donc à un petit nombre de s’enrichir, mais elles induisent du chômage pour la majorité de la population nationale. Jusqu’à maintenant, cela a aussi permis d’importer des produits moins chers, qui modèrent les pertes de pouvoir d’achat, mais cela a peu de chances de durer...

Le principal remède à ce péril serait-il la « modernisation » ? L’informatisation, la mécanisation ou l’automatisation permettent certes de relocaliser des unités de production en France, mais cela ne créera jamais beaucoup d’emplois.

À coté de dizaines de milliers d’emplois d’ingénieurs ou de techniciens de haut niveau créés, combien de centaines de milliers voire de millions d’emplois de base disparus ? De plus en plus de métiers sont réduits à la portion congrue : dans le traitement et la vérification des données bancaires ou postales, dans l’entretien et le nettoyage, dans le travail à la chaîne des usines, dans l’agriculture, aux caisses des supermarchés... Il faut être vraiment naïf, ou démagogue, pour croire, ou faire croire, que cette énorme masse d’emplois peu qualifiés va pouvoir être remplacée par des emplois générés par l’automatisation.

 Services à la personne, uberisation et auto-entrepreneurs ?

Il y aurait une masse considérable d’emplois potentiels dans les services à la personne, surtout avec une population vieillissante ? Ce n’est pas faux, mais encore faudrait-il que cette demande soit solvable. Si la majorité de la population voit ses retraites diminuer parce qu’elle n’aura pas pu cotiser assez d’années (chômage rampant oblige), elle ne pourra financer ces emplois, qui resteront donc l’apanage d’une classe de privilégiés, ce qui ne fera guère baisser le chômage.

La vente de son temps sous forme d’uberisation pour des sociétés privées ou l’auto-entreprenariat seraient-ils des solutions ? Certes, il y a sans doute là des sources de création d’emplois, mais là encore ils sont limités par la solvabilité de la demande, en tout cas tant que l’on restera dans le cadre de la société de consommation actuelle.

 Supprimer des postes de fonctionnaires, allonger la durée du travail hebdomadaire et reculer l’âge de la retraite ?

Face à ces problèmes structurels, la plupart des politiques, particulièrement chez les conservateurs, ne recommandent rien de mieux que trois mesures dont on peut attendre des effets encore plus désastreux sur le chômage :

1) Supprimer des centaines de milliers de postes de fonctionnaires : ce n’est pas cela qui va redonner de l’emploi à la France ! Ce serait « nécessaire » pour échapper à la hausse du déficit public ? On verra plus loin que cette vision est simpliste.

2) Allonger la durée du travail hebdomadaire ? Là encore, un minimum de sens commun montre que passer de 35 heures à 39 ou 40 heures par semaine a toutes les chances de diminuer de 10 % les besoins d’embauche par les entreprises.

3) Passer la retraite de 62 à 65 ans comme le propose la droite ? De nouveau, cela retarde la possibilité de créer des emplois, en maintenant des seniors fatigués au travail alors que des jeunes parfois plus compétents sont au chômage. Cette mesure est absurde, sauf si son but principal « non déclaré » est d’obliger les gens à accepter sans protester de toucher une retraite moindre.

Sur ce dernier point, selon beaucoup d’économistes, nous ne ferions que suivre le modèle allemand qui réussirait mieux que le nôtre. Sauf que l’Allemagne est confrontée à une situation totalement différente car elle voit sa population décliner. De 2017 à 2050, sans accueil en masse de migrants, la population allemande devrait chuter de 81 à 71 millions, tandis que dans le même laps de temps celle de la France devrait augmenter « naturellement » de 66 à 70 millions. Les problématiques de création d’emplois ne sont donc pas les mêmes, particulièrement pour les jeunes.

Pour d’autres, retarder l’âge de la retraite serait nécessaire pour « sauver le système des retraites » ? Encore une fois, on est face à des raisonnements technocratiques étriqués, comme on le verra à la fin de ce billet.

 Le retour au protectionnisme comme solution ?

La question du protectionnisme est encore plus spécieuse car, par-delà les discours, la France n’a jamais vraiment cessé de l’être dans ses pratiques. Deux exemples permettent de le montrer.

Depuis le début des années 1960, l’Europe a mis en place la PAC (Politique Agricole Commune), qui est absolument contraire au néolibéralisme. Sur un autre plan, les produits chinois nous menaceraient ? Certes, la Chine est un concurrent redoutable, mais lorsqu’elle a été intégrée à l’OMC en 2001, cela a été à condition qu’elle accepte d’y entrer sous la forme d’une « économie non-marchande », ce qui a permis aux pays de l’OCDE de surtaxer ses produits... Cela fait donc plus de quinze ans que l’Europe, et donc la France, pratique du protectionnisme envers la Chine.

En outre, dans une économie de plus en plus mondialisée, accroître la protection de nos marchés serait nous exposer à des rétorsions légitimes de nos partenaires commerciaux.

 Quelles solutions ?

La majorité des solutions absurdes ci-dessus sont proposées avec une optique étroite pour « redresser la France » face à un accroissement des déficits et dettes publics. Il y a là effectivement un problème à résoudre. De fait, le déficit public français s’est élevé à 72 milliards d’euros en 2016, tandis que la dette nationale montait à 2 160 milliards (98 % du PIB). Ce type de situation n’est cependant pas spécifique à la France. C’est même souvent plus grave ailleurs. Les États-Unis sont à 103 % d’endettement et le Japon à 248 %. Il s’agit du résultat de choix politiques des pays de la 1ère industrialisation de vivre à crédit depuis les années 1970, notamment au détriment des pays des Suds, qui reversent depuis les années 1990 plus d’argent aux pays des Nords qu’ils n’en reçoivent. C’est à corriger, mais en étant innovant, car cela fait aussi des années que l’application d’ « ajustement structurels » a montré ses limites. La situation actuelle de la Grèce le montre bien.

Pour commencer, il faut dire que l’argent n’est en fait pas un « vrai » problème. Prenons un peu de recul.

Il en circule des quantités impressionnantes au niveau international, par exemple plus de 5 000 milliards de dollars « par jour » pour le marché des devises (échanges de monnaies). Taxer même faiblement ces sommes donnerait les moyens de résoudre la plupart des problèmes mondiaux. Selon l’ONU, il suffirait ainsi de moins de 0,01 % de ce montant pour résoudre l’ensemble des problèmes majeurs des pays des Suds (via les Objectifs du Millénaire).

En fait c’est plus complexe, mais cela donne une idée des montants et on peut ramener cela au cas français. Il y a de l’argent, la bonne question est comment le répartir en évitant que ceux qui ont déjà beaucoup ne reçoivent toujours plus.

Quel sens à la Révolution industrielle ?

Si le problème n’est pas vraiment l’argent, où se situe-t-il ?

Il est dans le modèle de société que l’on veut se donner. Pour prendre une nouvelle distance, mais plus philosophique cette fois, pourquoi fait-on tout ce que l’on fait ?

Quel était le sens « profond » de la Révolution industrielle ? N’était-ce pas de libérer les hommes des tâches ingrates ? Et que nous propose-t-elle aujourd’hui ? : une société de production et de consommation de masse, non viable d’un point de vue environnemental (effet de serre, pollutions, épuisement des ressources), qui ne permet pas de créer de l’emploi pour tout le monde (délocalisations, automatisations) et qui pressure de plus en plus l’homme (allongement de la durée du travail).

Les hommes seraient-ils devenus complètement aveugles ? Pour une partie de la classe politique, cela ne fait plus guère de doute (les autres peuvent être cyniques ou idiots).

Les « machines » ne devraient-elles pas être mises au service de l’homme pour produire une richesse qui puisse être redistribuées à tous (revenu universel), en prenant en compte une nécessaire modération afin de ne pas outrepasser la capacité de la planète à produire suffisamment et à absorber nos rejets (empreinte écologique) ?

À ce titre, n’oublions pas que l’Accord de Paris, à l’issue de la COP21, implique désormais que tous les pays du monde s’orientent vers des sociétés « zéro carbone fossile » à l’horizon des années 2070. Pour l’instant, seule la Suède a pris des mesures allant dans ce sens et peu de politiques français semblent avoir conscience que l’on ne sait pas comment avoir de la croissance sans émettre de CO2.

Il faudrait donc plutôt réduire le temps de travail (hebdomadaire et retraite) afin de permettre à tous de mieux partager. On pourrait maintenir, voire augmenter, le nombre de fonctionnaires pour améliorer leurs conditions de travail et répondre aux attentes de la population. Cela signifierait aussi passer la durée hebdomadaire de travail de 35 à 25, puis 15 heures voire moins, sauf pour les intellectuels et les passionnés dans mon genre qui resteront toujours à plus de 50 heures par semaine !

Les « machines » permettraient alors à l’homme d’échapper au stress et au burn out, pour tourner son esprit selon ses aspirations vers la culture, la convivialité, la joie de vivre et pourquoi pas même l’oisiveté !

La Révolution industrielle aurait alors vraiment libéré l’Humanité !

Oups ?

Me suis-je égaré ? Ai-je déliré ? Ai-je dit des obscénités ?

Libérer l’Humanité ? Vous n’y pensez pas !

Je pensais que la Terre était peuplée d’êtres intelligents. J’ai dû me tromper de planète...

Excusez-moi pour le dérangement. Désolé, vous pouvez retourner à votre travail... Si vous parvenez à en trouver un...

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