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Billet de blog 10 juin 2024

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1974-2024 : pourquoi l’écologie n’a pas décollé en France depuis 50 ans ?

Aux élections présidentielles françaises de 1974, le candidat écologiste n’avait fait que 1,32 %, mais celui du Front National n’obtenait que 0,75 %, soit presque moitié moins. 50 ans plus tard, aux élections Européennes de 2024 en France, le Rassemblement National est monté à plus de 31 %, et les écologistes ne font que 5,5 % Comment expliquer un tel retournement ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Aux élections présidentielles françaises de 1974, la plupart des Français découvraient l’écologie, à travers la candidature de René Dumont. Cet agronome tiers-mondiste n’a alors obtenu que 1,32 % des voix, mais c’était presque le double du score du Front National de Jean-Marie Le Pen, qui n’avait fait que 0,75 %.

50 ans plus tard, en juin 2024, le Rassemblement National de Marine Le Pen et Jordan Bardella monte à plus de 31 % des suffrages français aux élections européennes, contre seulement 5,5 % pour la liste Les écologistes, menée par Marie Toussaint.

Un tel retournement peut paraître incohérent, sachant que tous les gens sensés s’accordent à reconnaître que les enjeux environnementaux planétaires sont devenus cruciaux, et qu’ils ne pourront être gérés sans une volonté internationale capable d’aller au-delà des intérêts étroits de chaque pays.

Pourtant les résultats sont là.

Et ce n’est pas qu’aux élections européennes, car le meilleur score écologiste aux présidentielles françaises restent celui de Noël Mamère en 2002 avec 5,25 %.

Comment expliquer un tel retournement entre écologie et extrême-droite ?

Indéniablement, le Rassemblement National a bien su mener sa barque, surfant sur les erreurs des gouvernements successifs et surtout le manque d’attention accordé aux classes populaires et à la France rurale. Il a également réussi à se donner progressivement une image de respectabilité, le Premier ministre Gabriel Attal allant jusqu’à accepter de débattre en tête à tête, et à serrer la main de Jordan Bardella en souriant devant les caméras en mai 2024.

À l’inverse, le gouvernement et le Rassemblement National n’hésitent pas à fustiger une écologie qu’ils qualifient de « punitive », et même à parler d’ « écoterrotistes » quand des militant.e.s viennent manifester face à l’imposition ou au fait accompli de projets aberrants d’un point de vue environnemental.

De leur côté, la plupart des médias consacrent plus de temps à évoquer les querelles entre écologistes (voire à les fustiger aussi) qu’à présenter leurs objectifs communs et à discuter de leur bien-fondé.

Cela étant, les soucis ne viennent pas forcément que de l’extérieur. On pourrait ainsi énumérer un certain nombre d’éléments expliquant le manque d’adhésion de la population aux partis écologistes :

* une tendance à se laisser entraîner par les sujets sociétaux, qui certes sont importants, mais conduisent à perdre de vue le cœur de leur cible ;

* un souci exacerbé de démocratie, face à de multiples micro-courants et egos, qui empêche l’apparition de lignes de leadership claires (à l’inverse de la dynastie Le Pen) ;

* la difficulté à concilier les aspirations écologiques de gauche, du centre et de droite ;

De fait, lors des élections européennes de juin 2024, certains petits partis ayant de fortes préoccupations environnementales ont certainement enlevé des voix aux Verts, comme le Parti animaliste (2 %), L’écologie au centre (1,2 %), Écologie positive et territoire (0,5 %), Nouvelle donne (0,1 %), Paix et décroissance… Reste que, tous ces mouvements confondus ne dépassent pas les 10 %, alors que les partis d’extrême-droite français agglomérés avoisinent les 40 %.

On pourrait aussi avancer deux arguments plus structurels et en partie liés.

* Depuis une trentaine d’années et l’avènement d’un « développement » prétendu « durable » (1992), tous les partis politiques prétendent se préoccuper d’environnement. Dans ce contexte, beaucoup de citoyens et citoyennes ne voient sans doute pas pourquoi voter pour des partis écologistes prônant des changements de comportements, alors que d’autres leurs promettent toujours plus de consommation, de pouvoir d’achat, de bien-être, tout en respectant l’environnement, et en ayant le beurre, l’argent du beurre, et le sourire de la crémière… Les vrais écologistes n’ont pas réussi à se faire entendre dans leur dénonciation de cette démagogie ou de cette hypocrisie, notamment auprès des classes populaires.

* Le dernier argument réside dans la peur de « faire peur » ou de passer pour des « catastrophistes ».

Par-delà quelques envolées à propos des menaces sur les générations futures, la plupart des discours des partis écologistes sont bien en deçà de la gravité des situations, afin d’éviter d’effrayer les populations. Le réchauffement, l’érosion de la biodiversité, les pollutions… ont pourtant bien atteint des niveaux catastrophiques !

Ne faut-il pas le dire plus explicitement ?

Comme le dit régulièrement le Secrétaire général de l’ONU, ne faut-il pas annoncer plus explicitement aux populations qu’elles sont face à courte échéance à des menaces existentielles, qui concernent les pays au Nord comme au Sud, et que sans réaction majeure à l’échelle planétaire, d’ici quelques décennies beaucoup d’humains (y compris d’Européens et notamment de Français) en seront réduits à devenir des migrants ou à se priver de presque tout pour essayer de survivre.

Certes ce n’est pas réjouissant d’annoncer cela, et même quand cela est dit, beaucoup de gens préfèrent ne pas l’entendre. Mais ce n’est qu’ainsi que l’on pourra mettre en place les mesures nécessaires pour limiter les dégâts.

Reste que, si les partis écologistes ne sont pas capables – ou n’ont pas le courage – de montrer la véritable ampleur des menaces, ils ne doivent pas s’étonner que les populations préfèrent voter pour les discours démagogiques et rassurants de la part des nationalistes extrêmes ou des productivistes bon teint, qui assurent qu’il suffit de se replier sur les frontières et/ou de produire toujours plus pour résoudre tous les problèmes aux échelles locales et/ou globales.

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1974-2024 : pourquoi l’écologie n’a pas décollé en France © Yann Quero

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