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Billet de blog 16 septembre 2016

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Sarkozy et le climat : climatoscepticisme ou coup de pub ?

Comment Nicolas Sarkozy a-t-il pu passer de : « Ne rien faire [contre le réchauffement climatique] ne serait rien d’autre que criminel au regard de l’avenir de la planète » et « L’objectif de 50 % de réduction des émissions d’ici à 2050 est une absolue priorité pour éviter une catastrophe mondiale », à : « L’homme n’est pas le seul responsable de ce changement » ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les déclarations de Nicolas Sarkozy de septembre 2016 à propos du changement climatique pourraient apparaître comme un revirement vers le climatoscepticisme. Il s’agit en fait plus probablement d’un coup médiatique d’un candidat à la Présidence qui se sait distancé dans les sondages. 

Quelques citations de Nicolas Sarkozy sur le climat peuvent éclairer ce revirement de discours :

Cérémonie d’installation à la Présidence de la République Française, mai 2007

Je ferai de la défense des droits de l’homme et de la lutte contre le réchauffement climatique les priorités de l'action diplomatique de la France dans le monde.            Nicolas Sarkozy, Président de la République Française

Conférence de l’ONU sur les changements climatiques, septembre 2007

Je veux pour ma part dire que ce défi climatique sera une priorité absolue de l'action de la France.

Soyons clairs : nous, les pays industrialisés, nous avons une responsabilité particulière à exercer ; la France donnera l’exemple en s’imposant des règles plus dures que les règles définies dans un cadre multilatéral.

Nous n’avons pas le choix. Les constats économiques, les constats scientifiques sur le réchauffement climatique sont sans appel. On pouvait hésiter sur les chemins de l’action quand on ne savait pas, aujourd’hui, on sait. Ne rien faire ne serait rien d’autre que criminel au regard de l’avenir de la planète, quelque soit le continent. L’inaction, ce serait accepter un point de non retour, franchi dès lors que le réchauffement moyen de la planète aurait augmenté de deux degrés. A deux degrés de plus, on ne pourra pas revenir en arrière. C’est maintenant, c’est tout de suite, c’est immédiatement qu’il nous faut décider.

Le défi climatique n’est pourtant pas hors de portée. Nous devons fixer des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Si nous ne nous fixons pas d’objectif, nous ne ferons rien. L’objectif de 50 % de réduction des émissions d’ici à 2050 est une absolue priorité pour éviter une catastrophe mondiale.            Nicolas Sarkozy, Président de la République Française

Discours à l’issue du « Grenelle de l’Environnement », octobre 2007

Il faut avoir le courage de reconnaître que nous ne pouvons plus définir des politiques en ignorant le défi climatique, en ignorant que nous détruisons les conditions de notre survie.

Premier principe : tous les grands projets publics, toutes les décisions publiques seront arbitrées en intégrant leur coût pour le climat, leur « coût en carbone ». Toutes les décisions publiques seront arbitrées en intégrant leur coût pour la biodiversité. Très clairement, un projet dont le coût environnemental est trop lourd sera refusé.            Nicolas Sarkozy, Président de la République Française

Conférence de l’ONU sur le climat de Copenhague, décembre 2009

Il y a un point qui nous rassemble tous, c’est que l’échec de Copenhague serait catastrophique pour chacun d’entre nous. Quelles que soient nos positions de départ, l’échec nous est absolument interdit. Tous, nous aurions des comptes à rendre devant l’opinion publique mondiale et devant nos opinions publiques.

Les scientifiques nous ont dit ce qu’il fallait faire, ils nous ont dit que nous étions la dernière génération à pouvoir le faire. L’échec est interdit.

Deuxième chose, il faut changer de braquet pour cette conférence ou nous allons droit à la catastrophe. La Conférence de Copenhague ne peut pas consister en une succession de discours qui ne se confrontent jamais. Nous ne sommes pas ici pour un colloque sur le réchauffement climatique, nous sommes ici pour prendre des décisions. (...)

Troisième remarque, tous, nous devons faire des compromis, tous, l’Europe et les pays riches, nous devons reconnaître que dans la pollution de la planète, notre responsabilité est plus lourde et plus grave que les autres et donc que nos engagements doivent être plus forts.

(…) Qui osera dire que les deux degrés d’augmentation de la température ne passent pas par la réduction de 50 % des émissions dont 80 % pour nous les pays riches, parce que nous avons une responsabilité historique ? Qui osera contester cette réalité historique ? Qui osera la contester ?

(...) Mesdames et Messieurs, pas un seul d’entre nous ne s’en sortira s’il n’est pas à la hauteur de la responsabilité historique de Copenhague.    Nicolas Sarkozy, Président de la République Française

Et puis les discours ont changé…

Salon de l’agriculture de Paris : mars 2010

Je voudrais dire un mot de toutes ces questions d’environnement. Parce que là aussi, ça commence à bien faire. Nicolas Sarkozy, Président de la République Française

Institut de l’entreprise, Paris, septembre 2016

Il faut être arrogant comme l’homme pour penser que c’est nous qui avons changé le climat. (…) On a fait une conférence sur le climat. On parle beaucoup de dérèglement climatique, c’est très intéressant, mais ça fait 4,5 milliards d’années que le climat change. Le Sahara est devenu un désert, ce n’est pas à cause de l’industrie. L’homme n’est pas le seul responsable de ce changement. Nicolas Sarkozy, candidat à la Présidence de la République Française

S’agit-il vraiment d’un revirement ? ou d’un coup de pub ? Sans doute plutôt d’un coup de pub.

En effet, si on analyse en détail cette déclaration, Nicolas Sarkozy a très soigneusement pesé ses mots pour ne pas être vraiment « attaquable »…

* Il faut être arrogant comme l’homme pour penser que c’est nous qui avons changé le climat.

Certes. Mais l’homme est souvent « arrogant ». L’ancien président a suffisamment pratiqué la politique pour le savoir. Donc, en déclarant cela, il ne dit pas que l’homme n’est pas responsable du changement climatique contemporain. Cela renvoie au débat sur l’Anthropocène de savoir si l’homme est devenu ou non une force géologique. Une importante avancée a d’ailleurs été faite sur ce sujet au mois d’août 2016, comme nous l’avons évoqué dans une publication précédente de ce blog.

* On a fait une conférence sur le climat.

Là, il serait possible d’objecter à Nicolas Sarkozy une grande « imprécision ». En effet, il y a eu des « centaines » de conférences sur ce sujet depuis une trentaine d’années, ou au moins vingt-et-une, si l’on se limite aux grandes COP (Conférences of the Parties) de l’ONU, puisque la conférence de Paris de décembre 2015 était la 21ème COP. Nicolas Sarkozy pourrait toutefois se défendre en arguant qu’il ne s’agit pas d’une véritable « erreur ».

* On parle beaucoup de dérèglement climatique, c’est très intéressant, mais ça fait 4,5 milliards d’années que le climat change.

Ce n’est pas faux. Le climat a changé de très nombreuses fois depuis la création de la planète Terre. On pourrait cependant faire remarquer que la formulation est tendancieuse en raison de son incise : c’est très intéressant, mais… En effet, par cette incise, Nicolas Sarkozy laisse entendre que le dérèglement contemporain serait de nature similaire à celui des changements climatiques des ères géologiques précédentes. Il est toutefois assez habile pour se contenter de laisser planer une ambiguïté.

* Le Sahara est devenu un désert, ce n’est pas à cause de l’industrie.

C’est vrai, mais cette phrase ne sert qu’à entretenir l’ambiguïté tendancieuse précédente, et donc la confusion.

 * L’homme n’est pas le seul responsable de ce changement.

Là aussi c’est vrai, comme le reconnaissent le GIEC et la quasi-totalité des chercheurs sur le climat. L’homme n’est pas le « seul » responsable, mais les sociétés industrielles portent la responsabilité la très grande majorité de ce changement (vraisemblablement au moins 80 %). Nicolas Sarkozy sait tout cela. Ses discours devant l’ONU le prouvent. Les ambiguïtés de son programme aussi. Ainsi, sur le site Web de l’Institut de l’entreprise, le think tank (sic) de l’entreprise devant lequel il a fait ses déclarations controversées, on peut trouver un résumé synthétique du programme de Nicolas Sarkozy. À la rubrique : « Energie et Environnement », on peut lire :

Confirmer le choix du nucléaire, énergie qui émet le moins de gaz à effet de serre, pour ne pas augmenter le prix de la facture d'électricité, tout en poursuivant le développement des énergies renouvelables.

Ce paragraphe montre bien que, lorsque cela lui permet de faire la promotion du nucléaire, Nicolas Sarkozy est toujours d’accord pour reconnaître que les émissions de gaz à effet de serre posent problème... Mais la lutte contre le réchauffement climatique n’apparaît plus du tout comme une « priorité ».

On préférera se souvenir du Nicolas Sarkozy qui disait devant l’ONU en 2007 :

« Ne rien faire [contre le réchauffement climatique] ne serait rien d’autre que criminel au regard de l’avenir de la planète ».

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