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Billet de blog 29 janvier 2022

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Le Dilemme du Titanic

Tout le monde connaît l’histoire du Titanic, supposé insubmersible, qui coula en 1912, en ayant heurté un iceberg. Ce drame est parfois utilisé comme parabole du réchauffement climatique. Par-delà le naufrage lui-même, une question mérite aussi d’être posée : Y aurait-il pu y avoir moins de victimes ? Et donc par analogie : comment limiter les dégâts liés aux crises climatiques ?

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Une des choses les plus terribles dans l’histoire du Titanic est qu’il aurait pu y avoir nettement moins de morts. En effet, même s’il est notoire qu’il n’y avait pas assez de canots de sauvetage pour tout le monde, les vingt embarcations de secours disponibles permettaient d’accueillir jusqu’à 1178 passagers, soit 53 % des 2200 personnes à bord.

Or, seules 712 personnes ont survécu, soit 32 %.

Cela signifie que 466 décès étaient évitables (21 % des personnes à bord).

Deux tiers de morts, alors que plus de la moitié des personnes auraient pu être sauvées !

La proportion est terrible, et la différence est généralement expliquée par l’attentisme du capitaine, qui a tardé à réaliser la gravité de l’accident, puis à prendre les mesures nécessaires. Cela s’explique aussi par le fait que l’équipage a préféré cacher cette gravité aux passagers, en faisant notamment croire que la montée dans les canots de sauvetage était un « exercice ».

Sur ces bases, que ce serait-il passé, si le capitaine avait réagi plus vite et révélé rapidement l’ampleur de la menace aux passagers ?

Les gens auraient-ils sagement obéi aux ordres, en attendant de voir qui ferait parti des 53 % sauvables ? Ou bien beaucoup se seraient-ils battus pour prendre une place dans un canot ? Cela aurait-il pu créer un désordre et des drames encore plus importants que ceux qui ont eu lieu ? Au point de réduire encore le nombre de survivants ?

Il est virtuellement impossible de le savoir. Certes, si tout le monde s’était comporté intelligemment et comme des gentlemen, le bilan humain aurait été moins lourd, mais on peut craindre qu’un nombre non négligeable aurait cédé à des impulsions égoïstes, voire à la panique.

La situation actuelle de l’environnement n’est pas sans mériter un parallèle ou une analogie avec le Titanic.

Il est impossible de donner un chiffre précis quant au coût humain que causera l’aggravation désormais en partie inévitable du réchauffement climatique et de la 6ème extinction de masse de la biodiversité. Cependant, les prévisions en cas de basculement de la Terre vers un scénario de type « planète étuve » laissent penser que plus des deux tiers de l’humanité pourraient périr, comme avec le Titanic.

Ce scénario « planète étuve » est ce qui attend la Terre si nos dirigeants n’impulsent pas un changement radical des activités et des pratiques, vers beaucoup plus de sobriété, très loin du leurre du pseudo « développement durable » ou de l’illusoire « croissance verte ».

Une des principales différences avec l’analogie du Titanic est que nous disposons d’un peu plus de temps, mais pas tant que cela.

Le capitaine du Titanic n’a eu que quelques heures pour réagir et les a mal utilisées. L’humanité a perdu beaucoup de temps, mais elle dispose encore d’une dizaine d’années, peut-être une quinzaine, pour modifier radicalement la trajectoire afin d’éviter le pire, sachant que de toute façon, compte tenu de l’inertie climatique, il n’est déjà plus possible de sauver tout le monde.

La question ou le dilemme est désormais plutôt : sera-t-il possible d’empêcher que plus de la moitié de l’humanité périsse ?

Cela montre l’ampleur possible des catastrophes amorcées.

Est-ce possible d’éviter cela, notamment en commençant au plus tôt à se préparer et à s’adapter, au Nord comme au Sud ? Pas sûr ?

On peut néanmoins se demander : quelle serait la meilleure stratégie ?

Pour l’instant trois stratégies se profilent :

1) Celles des dirigeants planétaires actuels. Tout en reconnaissant de plus en plus que la situation s’aggrave, ils s’efforcent de se montrer rassurants et mettent en œuvre des mesures d’autant plus insuffisantes qu’ils ne veulent pas révéler l’état d’urgence, qui justifierait pourtant des actions bien plus radicales. C’est particulièrement vérifié au Nord, où les chefs d’États font faussement croire à leurs populations qu’elles seraient moins menacées que celles du Sud.

2) La stratégie des lobbys. Pragmatiques, ils profitent de la peur légitime de certains, pour vendre leurs produits, même s’ils n’apportent pas de solutions sérieuses et qu’ils risquent même d’empoisonner la vie des survivants. L’exemple le plus emblématique est certainement la filière du nucléaire, qui ne résoudra rien, mais qui sera ingérable en cas d’effondrements ou de conflits locaux, et a fortiori globaux.

3) La stratégie des militants, qui poussent à une reconnaissance mondiale de la véritable gravité de la situation, avant de mettre en place des changements à la hauteur des enjeux, même si assez peu de gens ont conscience de l’ampleur des changements nécessaires vers une sobriété à l’échelle planétaire.

Les deux premières stratégies mènent indéniablement l’humanité vers des horizons sinistres. Mais qu’en est-il de la 3ème ?

Si les dirigeants de la planète reconnaissaient demain l’ampleur réelle des menaces à échéances de quelques années ou décennies, les gens seraient-ils capables de changer pour limiter au maximum le nombre de victimes ? Ou bien cela créerait-il un chaos et un désespoir encore pire ?

Une des différences dans l’analogie entre le Titanic et les crises environnementales actuelles peut nous aider. Nous avons un peu de temps. Pas beaucoup comme on l’a vu, mais 10 ou 15 ans. C’est suffisant pour un changement majeur, même si les délais deviennent de plus en plus courts.

L’humanité sera-t-elle capable de cela, et de prendre les bonnes décisions face à ce dilemme ?

Il faut l’espérer, car sinon, ce qui attend la Terre sera bien pire que des millions de Titanics.

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La Terre-Titanic © Yann Quero

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