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Billet de blog 31 août 2016

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Bienvenus dans l’Anthropocène ?

Après des années de discussions et de reports de décision, un groupe de chercheurs réunis en comité spécial a présenté le 29 août 2016 des conclusions positives au Congrès géologique international sur la pertinence de créer une nouvelle ère géologique : l’Anthropocène.

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Le terme d’ « Anthropocène », popularisé depuis une quinzaine d’années par le prix Nobel de chimie Paul Crutzen, amène à accepter l’idée que la Terre est sorti de l’Holocène, l’ère géologique chaude qui a débuté à la fin de la dernière ère glaciaire, il y a environ 12 000 ans, pour entrer dans une nouvelle ère géologique où le moteur des bouleversement de l’environnement est devenu l’ « Homme ».

Le fait que l’ « Homme » puisse devenir une « force géologique » était bien sûr controversé. Lors de ses précédentes réunions, l’Union internationale des sciences géologiques (IUGS) avait d’ailleurs préféré reporter son avis. Cependant, ce mois d’août 2016, une commission de 35 membres a largement validé l’idée, puisqu’il y a eu 34 « pour » face à une seule abstention.

Le réchauffement climatique est en première ligne des causes des changements observés, même s’il est aussi associé à d’autres phénomènes comme la déforestation et l’acidification des océans (elle-même liée aux rejets massifs de CO2).

Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que le concept d’Anthropocène soit vivement combattu, notamment par les climatosceptiques et par ceux qui s’opposent à tout ce qui leur paraît risquer de remettre en question l’usage des énergies fossiles ou les logiques de la société de production et de consommation de masse. À ce titre, plutôt que le terme « Homme », il serait d’ailleurs plus exact de dire que ce sont les « sociétés techno-scientifiques » qui sont à l’origine des changements observés, car les sociétés dites « traditionnelles » ne modifient généralement pas leur milieu au point d’avoir un impact planétaire majeur, et il serait abusif de les englober dans la responsabilité des transformations à venir.

Le débat n’est toutefois pas clos. Il reste encore beaucoup d’étapes et de procédures. La proposition de ce comité d’experts doit désormais être étudiée par une sous-commission sur la stratigraphie du Quaternaire, qui elle-même devra soumettre son avis à la Commission internationale de stratigraphie, qui en rendra compte à son tour à l’Union internationale des sciences géologiques (IUGS). Sachant que l’IUGS a seulement le statut d’ONG, il restera encore sans doute pas mal de démarches pour faire admettre l’Anthropocène au niveau des instances internationales et notamment de l’ONU. Le débat a d’ailleurs commencé à l’intérieur du comité initial en août 2016, car si 34 membres étaient prêts à reconnaître que la marque de l’entrée dans l’Anthropocène était visible dans les couches géologiques, seuls 30 estimaient qu’il fallait officialiser ce concept.

Il restera aussi un point de discussion crucial et qui sera sans doute le plus houleux. Quand faire débuter cet Anthropocène ? De nombreuses dates ont été proposées, sachant qu’un des critères essentiels est que la transition doit être visible dans les sédiments géologiques. Parmi les périodes proposées, il y a notamment :

* le début du néolithique, avec l’invention de l’agriculture,

* l’année 1610 qui a marqué l’effondrement démographique natif en Amérique, consécutivement à la découverte du continent et à la propagation de maladies,

* l’année 1769, avec le 1er brevet du moteur à vapeur par Watt,

* le milieu du XIXe, avec l’essor de la Révolution industrielle,

* 1945, date de la 1ère explosion atomique...

 Toutes ces datations seraient « possibles », car elles sont repérables dans les couches géologiques et marqueuses d’étapes de l’augmentation de l’emprise humaine sur la planète. Mais le choix ne sera pas neutre. Prendre une date située au début du néolithique ou même l’année 1610 reviendrait à noyer l’Anthropocène dans un lent mouvement d’expansion de l’Humanité. Inversement, prendre l’année 1945 serait donner à cette nouvelle ère géologique un caractère nettement politico-militaire et en tout cas peu « économique ». Dans les deux cas, ce serait un nouveau moyen de masquer ce qui est sous-jacent dans cette nouvelle ère géologique : que ce sont les sociétés industrialisées de production et de consommation de masse qui ont vraiment commencé à déstabiliser l’Holocène, qui était une ère géologique « relativement stable ».

Certains objecteront probablement que l’Holocène n’était pas si « stable » puisqu’elle a connu des périodes localement aussi marquées que ce qu’on appelle le Petit Optimum Médiéval (POM) ou le Petit Âge Glaciaire (PAG). Reste que vu le manque d’effort déployé pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et l’ampleur des changements à prévoir, sauf miracle technique, il a fort à parier que les changements qu’amènera l’Anthropocène seront considérablement plus importants et meurtriers que ceux de l’Holocène. De fait, si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas drastiquement réduites, l'amplitude de la variation de la température terrestre moyenne prévue d’ici la fin du XXIsiècle, par rapport à l’ère préindustrielle, risque d'être cinq à dix fois plus forte que lors du POM ou du PAG.

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