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Billet de blog 4 mars 2018

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LOIS TERRORISTES ET LOIS ANTITERRORISTES. VIOLENCE ET TERREUR. (I)

Les Lois Terroristes légiférées sous L'Etat Révolutionnaire Robespierriste et les Lois Antiterroristes administrées sous la Cinquième République sont des Pièces Symétriques incluses dans Une même Histoire Nationale... Qu'est-ce donc La Violence ? Qu'est-ce donc La Terreur ? Dans cette première partie, nous nous attelons à la définition des termes en proposant des hypothèses de recherche.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

ECRIRE L'HISTOIRE DE FRANCE. REECRIRE UNE HISTOIRE DE FRANCE. 

ETAT REVOLUTIONNAIRE ET REGIME POLITIQUE DE LA CINQUIEME REPUBLIQUE.

LOIS TERRORISTES ET LOIS ANTITERRORISTES ; VIOLENCE ET TERREUR.

HISTOIRE D'UNE PROBLEMATIQUE HISTORIQUE TRANSPLANTEE A L'ERE POLITIQUE MODERNE.

Documents de travail :

Patrice Guennifey, La Politique de La Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, 1789-1794, tel Gallimard 2003.

« Les caractéristiques de l’antiterrorisme français : parer les coups plutôt que panser les plaies », Laurent Bonelli, in Au Nom du 11 Septembre… Les démocraties à l’épreuve de l’antiterrorisme, sous la direction de Laurent Bonelli, Didier Bigo et Thomas Deltombe, La Découverte, 2008.

Isabelle Sommier, Le Terrorisme, Dominos Flammarion, 2000.

« Loi antiterroriste, un impressionnant renforcement du pouvoir exécutif », interview de Pascal Beauvais parue dans Libération du 07 Janvier 2016, propos recueillis par Sonya Faure.

Méthodologie de travail :

Histoire d'une problématisation. En quoi l’Histoire contemporaine de l’antiterrorisme fait-elle problème ? Comment comprendre le dispositif en fonction de l’historicité (philosophique) des lois terroristes datant de l’Etat Révolutionnaire ?

Début Février 2016 en conseil des ministres, le nouveau projet de loi antiterroriste du gouvernement entend renforcer les pouvoirs des procureurs, des préfets et des policiers dans la lutte contre le grand banditisme et le terrorisme. Il répond à une situation urgente « d'attaques terroristes » perpétré dans l'Hexagone en 2015. 07 Janvier 2015 : le local abritant le journal satirique Charlie Hebdo est assailli et pris d'assaut par les frères Kouachi. Amedy Coulibali tue une policière municipale et prend en otage les clients de l'Hyper Casher. On dénombre au total 19 morts pour la seule journée du 07 Janvier. 13 Novembre 2015 : des groupes armées envahissent le Bataclan et font plus de 130 morts et plus d'une centaine de blessés. Radios et Télévisions, Internet et Réseaux Sociaux s'attellent à cette approche spécifique de l'évènement ; le temps de la vitesse des mesures des lois répond au terrorisme ambiant. La confusion sémantique entre violence et terrorisme règne désormais au sein des différents espaces sociaux, journalistiques et scientifiques, pour qualifier cet évènement politique. Projets gouvernementaux de lois antiterroristes et terrorisme criminel perpétrés par des groupes clandestins se répondent l'un l'autre... Voici en somme la verve médiatique exprimée à travers les canaux de diffusion hertzienne.

L'objectif de notre court travail est de démontrer la chose suivante. Les Lois Antiterroristes examinés en conseil des ministres début Février 2016 puisent l'historicité de leur philosophie au cœur même des Lois Terroristes de l'Etat Révolutionnaire de 1789-1794. Une forme de ressuscitation du Tribunal Révolutionnaire du 10 Mars 1793 émerge partiellement du nouveau dispositif antiterroriste (assignations à résidence, perquisitions de nuit, sonorisation et fixation d'images). Le Tribunal Révolutionnaire est ainsi défini : Il est l'application de la Terreur sous la forme de la Justice. En affirmant catégoriquement cette thèse, notre démonstration postule comme par ricochet l'hypothèse suivante, loin, très loin du règne de la confusion sémantique banalisée. La Violence déchainée n'est pas la Terreur organisée. La Loi Martiale d'Octobre 1789 n'est pas la Loi Terroriste du 17 Septembre 1793. Par conséquent, la violence spontanée, collective, sauvage et aveugle du 13 Novembre 2015 ne peut résonner en écho aux actes terroristes du 07 Janvier 2015. La frontière entre violence et terrorisme demeure brouillée, pour le moins en ce qui concerne les attentats perpétrés durant l'année 2015.

En empruntant la définition telle que caractérisée par Isabelle Sommier dans son livre intitulé « Le Terrorisme »*, le Terrorisme est une des qualifications de la violence politique utilisée par le registre discursif du pouvoir dominant et de la classe dominante. L'objectif visé est précisément de délégitimer et de disqualifier la violence prescrite ou active de certains groupes non affiliés à l'Etat, lui-même seul légitime à l'exercer. Si le Terrorisme est une déqualification de la violence, politique ou non, par un appareil juridico-politique dominant, la Terreur, quant à elle, se situe dans un espace au sein duquel l'application de la violence arbitraire est légitimée par un régime d'Etat et prescrite dans des formes telle que la Justice Révolutionnaire en délimite les contours et en limite les effets. En opposant diamétralement Terreur et Terrorisme, précisément par le point d'application située de leur activité (appareil d'Etat ou bien groupes et individus hors champ de l'appareil), ils s'excluent mutuellement de leur zone d'action. Il existe pour ainsi dire une politique de la Terreur qui n'est autre chose qu'une des multiples formes de la violence révolutionnaire ou bien si l'on veut un Terrorisme d'Etat rendu légitime par un régime politique. En s'accaparant le monopole de l'exercice du Terrorisme, elle en dénigre sa mise en activité officielle par des groupes ou des individus non assermentés par les réseaux de l'appareil juridique et politique.

* Isabelle Sommier, Le Terrorisme, Dominos Flammarion, 2000. 

La Terreur est un système de pouvoir, produit de toute dynamique révolutionnaire, qui est en elle-même une des modalités de la violence révolutionnaire. Dans la longévité de l'utilisation et de l'exercice de la violence punitive, elle se convertit en moyen de gouvernement traversant toutes les formes successives de régimes politiques, depuis la Ière République jusqu'à la Vème République en passant par la Restauration, le Second Empire, la Monarchie de Juillet. Elle ne se laisse pas enfermer dans des bornes chronologiques précises. La Terreur ainsi re-contextualisée dans sa période d'émancipation de la violence déchainée et collective et de justification par l'autorité légitime débute bien avant 1789 pour se poursuivre bien après 1794.

En considérant alors la continuation et le prolongement de la politique de la Terreur, ce qui nous intéresse précisément réside dans la tournure de la Terreur en tant que moyen de gouvernement et non plus comme simple système de pouvoir limité dans une temporalité institutionnelle, historique et géographique. Ou bien comment Celle-ci se prolonge dans le temps jusqu’à en devenir un phénomène contemporain qui ne traverse non plus le seul régime du pouvoir du gouvernement mais bien la succession historique des formes de gouvernance. Politiques terroristes et antiterroristes, fabrications législatives et exécutives du pouvoir d'Etat qui peuvent en un certain sens se revendiquer d'un Terrorisme d'Etat comme lors de la Grande Terreur en 1793 répondent quant à elles aux actions criminelles portées et revendiquées par des groupes excommuniés de la « religion d'Etat ».

A partir de cela, notre perspective de recherche se porte sur l'analyse politique et historique de l’Appareil d’Etat contemporain. Elle est rendue intelligible grâce au prisme de la Politique de la Terreur et de la Violence Révolutionnaire de 1789-1794. Il ne s'agit bien évidemment pas d'un décalque fondé sur la construction historique de l'Etat Révolutionnaire mais bien plutôt d'une façon de percevoir la continuité historique des appareils juridico-politiques plantés au cœur du mouvement issu de la rationalité libérale. Puis, non pas proposer une analyse historique de la cristallisation d’un système de pouvoir même si notre sujet porte en lui-même la focalisation sur cet aspect précisé mais bien plus à partir de là, examiner la Politique de la Terreur comme celle d'un moyen de gouvernement qui débute avant, qui se poursuit pendant et se termine bien après la période révolutionnaire. Si nous postulons son extension à travers les régimes politiques successifs, l'interrogation principale se manifeste d'une certaine façon par la question suivante : Sommes-nous en pleine période révolutionnaire ? Question fondatrice puisque si l'Etat Révolutionnaire de 1789-1794 pratique une certaine forme de politique terroriste à travers ses lois (notamment celle du 19 Mars 1793) et par son exercice de la violence révolutionnaire rendue légitime par l'organisation planifiée de la dissémination de la peur instituée par l'appareil juridico-politique, alors est-ce à dire que les politiques antiterroristes menées par le gouvernement actuel prônent l'exercice effective d'une violence contre-révolutionnaire ? Violence contre-révolutionnaire qui serait ici l'antidote et ferait contrepoids à la violence collective menée par des individus...

Il ne s'agit point d'élucider la pratique d'une violence dite terroriste à l'heure moderne, ce qui est en soi fondamentalement un non-sens (la violence est aveugle et déchainée, le terrorisme poursuit la visée d'une planification scrupuleusement organisée) mais bien plutôt de concevoir l'espace d'une pratique punitive, répressive et oppressive, à l'égard d'une population cible comme le résultat d'un Etat n'exerçant plus totalement le monopole de la violence légitime, liant conjointement affaissement idéologique, affaiblissement de l'autorité légitime et perte de repères traditionnelles. Plus que cela, le déclenchement de violences ponctuelles est rendu possible par la perméabilité dans le tissu social d'un vide culturel, idéologique et religieux. C'est ce que postule Emmanuel Todd.*

Emmanuel Todd, Après La Démocratie, 2008, Folio.  

Notre ambition n'est donc pas de participer au débat sur la nature originelle des actes de terreur, qu'ils soient effectuées entre 1789 et 1794 et 2015. Nous postulons seulement l'hypothèse suivante : les politiques antiterroristes momentanément mises en exercice par le pouvoir exécutif et législatif s'avèrent incompréhensives et dénuées de sens pour qui veut en comprendre les ressorts si nous ne n’avisons pas de remettre en perspective historique le déchainement aveugle ou bien organisé de la violence révolutionnaire telle qu'il s'est mis en place durant les premières années de la Révolution Française. Car bien que soustrayant les libertés individuelles et collectives pourtant topiques proclamés par l'idée de justice et de tolérance sous l'évènement historique de la Révolution, la violence révolutionnaire constitue bien précisément la matrice originelle du système de pouvoir et du moyen de gouvernement actuels et contemporains. Outre cela, c’est également observer le mouvement de la rationalité libérale dans ce qu’il génère en termes de confusion sémantique et épistémologique. On parle de violences, de terrorisme, de violences terroristes et d’actes terroristes sans en préciser les définitions et les caractéristiques. Faire une analyse de cette violence punitive non anachronique à travers des conceptions établies par le savoir historique nous semble être une tâche disciplinaire urgente. Nous effectuerons en conséquence un détour et un retour dans les diverses séquences historiques pour d'une part proposer une analyse du moment politique actuel et d'autre part afin de participer à l'écriture renouvelée d'une Histoire de France à travers le biais de la rationalité libérale et de la violence punitive, génératrices tout à la fois de lois terroristes et de lois antiterroristes. Voici, selon nous, le prisme le plus intéressant pour analyser l'antichambre politique de La Terreur contemporaine. Parallèle croisé entre deux états, voire même deux Etats, ici réside toute la marche de notre courte étude.

Les Lois Terroristes et les Lois Antiterroristes traversent ainsi tous les régimes successifs issus du mouvement de la Rationalité Libérale. La Rationalité libérale est ce mouvement de libéralisation politique qui a succédé à l'ascension révolutionnaire. De la Première à la Cinquième République, la fabrication législative et le pouvoir exécutif ont mis en application un système de pouvoir alimenté par la perspective de la terreur ponctuelle mais qui s'est cependant progressivement convertit en moyen de gouvernement, au sein duquel les lois terroristes et antiterroristes ont joué un rôle surdéterminant dans la qualification et la délégitimation de la violence politique. Si les lois antiterroristes de 2015-2016 sont le pendant inversé des lois terroristes de 1793-1794, ce dont nous faisons l'hypothèse, elles sont néanmoins symétriquement incluses et potentiellement inscrites au cœur d'un dispositif administratif et d'un appareil juridico-politique de gouvernement convertible lors de conjonctures définies en un strict système de pouvoir... lorsque nous assistons à une fixation des lois correspondant à son application surdimensionnée dans le système juridique devenant en cette occasion, une législation, une institution et une idéologie.

Si notre travail a pour finalité d'élucider le phénomène du pouvoir ancré au cœur de l'Etat Révolutionnaire dans ce qu'il contient de dynamismes et de potentielles violences pour alors les circonscrire de manière mesurée à l'application des lois antiterroristes contemporaines, ce qui demeure une méthode d'analyse historique de comparaison entre deux manifestations du pouvoir que nous considérons similaires sous certains aspects, alors la question lancinante qui se pose à nous est la suivante. Mais alors, au-delà même des lois terroristes et antiterroristes incluses dans un système de gouvernementalité libérale, qu'est-ce que La Terreur ? Pour répondre à cette interrogation, nous soutenons les principales caractéristiques et définitions arguées par Patrice Guennifey tout au long du chapitre 1 « Violence et Terreur » de son livre nommé La Politique de la Terreur.

La Terreur, telle que le mentionne Patrice Guennifey, est non pas seulement une période historique de la Révolution Française, elle n'est pas délimitée par des bornes chronologiques précises, mais est aussi et surtout une forme indélébile et un instrument propre de la Politique Révolutionnaire. Episode centrale de la révolution française, Elle se situe à l'interstice d'une des trois formes de la violence révolutionnaire, celle de l'usage de violences collectives des années 1789-1792 et celle de l'extermination générale de populations en 1793. La Terreur, structure organisée et planificatrice de violences ciblées ne peut être confondue avec les autres formes de violences, la plupart du temps résultant de déchainements aveugles. Elle représente l'Evènement politique par essence et tient dans l'Histoire de France une place prééminente en ce qu'elle fut une des plus grandes tragédies de l'Histoire Française. Bien plus, La Terreur n'est pas fondamentalement l'illustration des effets de l'illimitation du pouvoir, mais bien plutôt, par sa dynamique révolutionnaire singulière la part obscure du pouvoir lui-même.

5 Septembre 1793, La Convention Nationale la met à l'ordre du jour sous la pression des sections parisiennes. Elle prend officiellement fin le 27 Juillet 1794 (9 Thermidor An II) lors du renversement de Robespierre. La mort de l'Incorruptible entraine conséquemment la chute de la Dictature Robespierriste conduisant ainsi au démantèlement progressif de l'appareil juridique et politique. La Terreur, moyen de la politique révolutionnaire de 1789 se transforme en 1791 en pouvoir révolutionnaire central. 1793, Elle en devient une institution et un système pour enfin se convertir en 1794 en idéologie, fondement d'un système de pouvoir laissant ainsi pleine mesure au principe de légitimation d'une politique d'extermination « des ennemis du peuple ». La Terreur disparaît en tant que système de pouvoir mais se manifeste toujours sous la forme d'un moyen de gouvernement. La pratique de la violence punitive débute dès Juillet 1789, elle se manifestera toujours autant après 1795.

L'apparition simultanée de La Révolution et de la Violence mène à la problématique centrale. La Révolution Française est-elle entièrement terroriste ? Son irruption dans les pratiques comme dans les discours fait suite à la tournure prise par les évènements. La Révolution de 1789 est proclamée au nom de la Liberté, de la Tolérance et de la Justice. Mais en 1793, celle-ci s'abime dans la violence et le despotisme. La Révolution Française si tôt violente culminera en 1794 avec la Grande Terreur. Irait-on jusqu'à affirmer que Toute Politique est potentiellement terroriste... même sous l'angle de l'antiterrorisme ?...

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