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Billet de blog 6 mars 2018

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LOIS TERRORISTES ET LOIS ANTITERRORISTES. VIOLENCE ET TERREUR. (II)

La métaphysique législative de l'architecture judiciaire française répond à des impératifs historiques de lutte contre la radicalité, violente ou non, depuis La République Montagnarde de 1793, tirant sa légitimité face aux contre-pouvoirs populationnels prenant corps contre un Etat de fait. Dans ce deuxième volet de notre travail, nous comparons en pointillé l'arsenal judiciaire (anti)terroriste.

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ECRIRE L'HISTOIRE DE FRANCE. REECRIRE UNE HISTOIRE DE FRANCE.

ETAT REVOLUTIONNAIRE ET REGIME POLITIQUE DE LA CINQUIEME REPUBLIQUE.

LOIS TERRORISTES ET LOIS ANTITERRORISTES ; VIOLENCE ET TERREUR.

HISTOIRE D'UNE PROBLEMATIQUE HISTORIQUE TRANSPLANTEE A L'ERE POLITIQUE MODERNE.

Documents de travail :

Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, 1789-1794, tel Gallimard 2003.

« Les caractéristiques de l’antiterrorisme français : parer les coups plutôt que panser les plaies », Laurent Bonelli, in Au Nom du 11 Septembre… Les démocraties à l’épreuve de l’antiterrorisme, sous la direction de Laurent Bonelli, Didier Bigo et Thomas Deltombe, La Découverte, 2008.

Isabelle Sommier, Le Terrorisme, Dominos Flammarion, 2000.

« Loi antiterroriste, un impressionnant renforcement du pouvoir exécutif », interview de Pascal Beauvais parue dans Libération du 07 Janvier 2016, propos recueillis par Sonya Faure.

Méthodologie de travail :

Histoire d'une problématisation. En quoi l’Histoire contemporaine de l’antiterrorisme fait-elle problème ? Comment comprendre le dispositif en fonction de l’historicité (philosophique) des lois terroristes datant de l’Etat Révolutionnaire ?

I - Lois Terroristes de 1793. Lois Antiterroristes de 2016. Parallèle croisé. Contraste et convergence.

Nous l’avions dit et supposé. Il existe incontestablement un continuum historique entre la période révolutionnaire de la Grande Terreur et la période contemporaine de la Grande Sécurité Antiterroriste. Non pas en ce que les structures d'Etat qui accompagnent la fabrication législative des lois et l'appareil juridico-administrative fonctionnent de manière similaire mais bien parce qu'en certains points de fixation et d'application de la législation en vigueur elles en reproduisent les agissements et les effets.

La thèse défendue est celle-ci : les Lois Terroristes et les Lois Antiterroristes représentent au final une même symétrie. Elles sont les pendants inversés d'une semblable métaphysique législative et administrative. Elles s'ancrent, se désancrent, s'emploient et se déploient au gré de conjonctures mêlant question de pouvoir et question de souveraineté pour qualifier, disqualifier, légitimer ou bien délégitimer la violence organisée sous le prisme de la terreur. Les Lois Terroristes et les Lois Antiterroristes sont grosso modo les deux faces d'une même pièce, celle d'une configuration institutionnelle agencée entre l'appareil juridique et l'appareil politique d'un régime de gouvernement prétendument assimilé à un « régime de vérité ». Il s'agira moins en l'occurrence d'élucider la pratique formelle d'un simple système de pouvoir mettant en application la violence délibérément organisée que d'examiner la forme prise par un moyen de gouvernement alimenté par différents régimes successifs ou transitifs dans la tournure législative et exécutive de lois terroristes, contre terroristes ou antiterroristes.

L'exercice de la violence punitive, à travers l'application continuée de ses lois, appartient assurément à la rationalité libérale telle que nous l'avions défini. Autrement-dit, la pratique gouvernementale depuis l'éclosion républicaine en 1789 s'organise en praxis libérale dont le but utopique est de faire émerger l'individu et le sujet libéré des carcans de l'appartenance aux corporations. En cela, une analyse juridico-politique comparative des lois sous les deux appareils administratives d'Etat séparés par deux siècles d'exercice et de transformation en devient plus que nécessaire. La constitution originaire de l'Etat Révolutionnaire de 1789 avec la politique de la Terreur comme stade suprême de la violence révolutionnaire se confrontera dans une dimension historique d'analyse comparative à celui de l'appareil d'Etat contemporain sous la Vème République entretenant volontairement la mise en exercice effective d'une politique contre-terroriste de l'anti-Terreur. La politique Terroriste de 1793 et la politique Antiterroriste de 2016 sont-elles de l'ordre de la violence révolutionnaire ou bien contre-révolutionnaire ? L'interrogation est certes un peu osée... Comment prétendre, en effet, que la politique antiterroriste fait obstacle à une certaine modalité de la violence révolutionnaire datée de Janvier et de Novembre 2015 ? 

Notre ambition est située sur un autre espace de démonstration ; attester, établir et prouver en quoi l'appareil d'Etat telle qu'il s'est constitué depuis 1789 appartient tout à fois à la rationalité libérale et à la violence punitive. Autrement-dit, à l'interstice de la liberté et de la sécurité telle que nous les comprenons actuellement. Nous sommes en mesure d'affirmer que les fondations des lois antiterroristes d'aujourd'hui sont le contrepoint apparent des lois terroristes de l'Etat Robespierriste puisqu'elles appartiennent toutes deux au même mouvement de libéralisation politique et juridique entrainant consécutivement la possibilité de déclenchement législative de lois libérales et de violences punitives encadrées par la sphère légale juridico-administrative. Dans une sorte de pédagogie du pouvoir et de technologie de gouvernement, des formes législatives multiples liées aux techniques de la rationalité disciplinaire encadrent autant les lois terroristes que les lois antiterroristes...

Ceci étant dit, la question que nous considérons comme centrale toute droite extirpée de l'une des interrogations de Patrice Guennifey dans son ouvrage peut être la suivante : La Révolution Française est-elle entièrement terroriste ? C'est, nous semble-t-il, à partir de là qu'il faudrait pouvoir analyser le phénomène contemporain des lois antiterroristes. Sont-elles foncièrement et substantiellement terroristes ? Sont-elles à considérer de l'ordre d'une violence purement contre-révolutionnaire ?

Les lois d'exception s'opposent aux lois terroristes. La loi du 21 Octobre 1789, loi martiale dont les dispositions matérielles punissent des actes spécifiés selon des formes connues et encadrées par la jurisprudence s'exprime sous la disposition d'une violence périlleuse de l'Etat revêtue par la Justice. Elle s'oppose par essence aux lois terroristes du 19 Mars 1793 dont une partie des jugements sont effectuées par des commissions militaires ; le caractère vague des preuves apportées corrélé à la qualité des prévenus punissent les actions, les intentions voire même la passivité des inculpés. La Terreur traverse tous les gouvernements légitimes. La Révolution Française n’a pas plus le monopole des lois d’exception, que celui de l’utilisation de la violence organisée sous les lois dite terroristes. Tous les régimes successifs usent plus ou moins des lois d’exception et de l'utilisation de la violence. La Restauration et la Monarchie de Juillet en sont des exemples typiques. A eux deux, ils ressuscitent la loi des suspects de 1793 dont l'exercice principale a été déroulée par la République Montagnarde de 1793-1794 fondé sur le droit de la force (500 000 suspects emprisonnés aux termes de la loi du 17 Septembre 1793) mais aussi appliquée de manière constitutionnelle tout en fixant l'organisation et les limites par le régime légitime et autocratique de la monarchie constitutionnelle de 1815. Les lois d'exception, les lois martiales, l'utilisation de la violence et les lois terroristes y sont appliquées par une certaine modalité des pouvoirs d'Etat, celui de l'appareil administratif, législatif et judiciaire sans discontinuité. Depuis 1986, le Parlement français n'a cessé de renforcer l'arsenal judiciaire contre le « terrorisme ». L'architecture judiciaire et législative de l'antiterrorisme français est en cette circonstance exemplaire, propice à être interrogée pour le besoin de notre analyse problématisée. En quoi l'arsenal des lois antiterroristes depuis 1986 peuvent-elles être assimilées aux lois terroristes de la République Montagnarde de 1793 ?

La création de la Cour de Sureté de l'Etat, Juridiction spécialisée, date de 1963. Symbole de la répression politique et cible des organisations de gauche, la jurisprudence appliquée aux inculpés répond à une législation située hors du droit commun. Elle s'entrelace historiquement à certaines prérogatives de la Commission de la Sureté Générale de 1792. La disparition de la Cour de Sureté de l’Etat, abolie sous la présidence de François Mitterrand en 1981, entraine corrélativement une restructuration des dispositifs antiterroristes sous la présidence de Jacques Chirac et du ministre de l’intérieur de l’époque, Charles Pasqua. La Loi du 09 Septembre 1986 est la première loi ayant pour objet spécifique la « lutte contre le terrorisme ». Formulée sous le même horizon législatif ayant pleine mesure au sein de la Cour de Sureté de l’Etat, elle soutient une dérogation par rapport au droit commun. Cette dernière connaitra une actualisation en 1992, le nouveau code pénal précise la liste des infractions constituant des « actes de terrorisme » (22 Juillet) et la notion d'associations de malfaiteurs devient applicable aux actes de terrorisme (16 Décembre). Elle sera renforcée par la loi du 08 Février 1995 prescrivant les délits à vingt ans d’emprisonnement et les crimes à trente ans. 1996 sera l’année de datation de la colonne vertébrale de la législation antiterroriste française ; celle-ci engendrera un accroissement du spectre de l’action policière corrélativement à une diminution du rôle de la défense judiciaire. La loi du 22 Juillet stipulant un alourdissement des peines de prisons encourues pour les infractions liées au terrorisme est recouvert par celle du 30 Décembre 1996, législation d’autant plus ardues que les perquisitions et les saisies de nuit sont autorisées. Elle contribuera à un élargissement des pouvoirs policiers additionnée à une spécialisation judiciaire en matière terroriste, protégée par une incrimination extrêmement large et facilitée quant à elle par la doctrine de neutralisation judiciaire préventive, cœur du système antiterroriste français. Dix ans plus tard, l’arsenal antiterroriste s’amplifie. La loi du 23 Janvier 2006 proclame l’extension de la Garde A Vue à six jours, avec aggravation des peines en cas d' « associations de malfaiteurs à des fins terroristes » soutenue par un assouplissement de l'encadrement de la vidéosurveillance. Celle du 13 Novembre 2014 légifère la mise en place d'une interdiction administrative de sortie de territoire, le renforcement de la répression de l'apologie du terrorisme ainsi qu’une pénalisation des actes préparatoires. Les lois antiterroristes de 2016 consacrent un impressionnant renforcement du pouvoir exécutif au détriment du législatif et du judiciaire. Le nouveau projet renforce les pouvoirs des procureurs, des préfets et des policiers dans la lutte contre le grand banditisme et le terrorisme, au détriment du juge judiciaire, qui se voit encore dépossédé de certaines de ces prérogatives. Le dispositif privilégie le pouvoir et les décisions du procureur par rapport au juge judiciaire en accroissant les pouvoirs coercitifs de police administrative. En conservant des liens avec le pouvoir exécutif, le procureur demeure à la tête de l’institution hiérarchique au sein de laquelle on trouve le garde des Sceaux qui lui impose les instructions générales de politique pénale du gouvernement. Différentes mesures sont soumises aux prérogatives du préfet et du procureur. Les perquisitions de nuit au domicile des personnes, la sonorisation et la fixation d'image (pose de micros et de caméras) de même que la décision de l'assignation à résidence de personnes revenues du jihad sur le territoire français. Le droit en matière de sécurité s’interpose entre les personnes incriminées et le système judiciaire de telle sorte que le renforcement des pouvoirs coercitifs et intrusifs en matière de police administrative se calque à une logique préventive alors que traditionnellement, ces méthodes furent le terreau privilégié de la police judiciaire. Les pouvoirs répressifs basculent donc dans une logique préventive en même temps que la lutte antiterroriste se base non plus sur des infractions commises, mais sur des profils, la prédictibilité et la dangerosité des individus suspectés. Il existerait ainsi selon le pénaliste Pascal Beauvais une perméabilité entre les mesures de l'Etat d'urgence, temporaires, et le droit commun contaminé depuis les années 1980 par le régime du droit pénal antiterroriste.*

* " Les caractéristiques de l'antiterrorisme français : parer les coups plutôt que panser les plaies. ", Laurent Bonelli in Au nom du 11 Septembre... Les démocraties à l'épreuve de l'antiterrorisme, sous la direction de Laurent Bonelli, Didier Bigo et Thomas Deltombe, La Découverte, 2008. Et " Loi Antiterroriste, un impressionnant renforcement du pouvoir exécutif ", interview de Pascal Beauvais paru dans Libération du 07 Janvier 2016, propos recueillis par Sonya Faure. 

En postulant que les mesures du gouvernement sont dotées d’une cohérence idéologique en ceci principalement que la fin justifierait les moyens, la mise en évidence historique du dispositif antiterroriste français implanté au cœur du système législatif et judiciaire n’est pas d’émailler l’hypothèse selon laquelle le pouvoir exécutif devancerait la capacité législative et le système judiciaire mais bien plutôt d’entrevoir à travers toutes ces mesures la disponibilité continuée des lois dites terroristes ancrées au sein de l’appareil juridico-politique de la Convention Montagnarde de 1793. Lois Terroristes en ceci qu’elles suspendent le jugement impartial des personnes incriminées, la diminution du rôle de la défense judiciaire, l’expansion du spectre de l’action policière déroulée sous l’enquête préliminaire du procureur et non plus du seul juge judiciaire réhabilitant ainsi en conséquence et sous un certain prisme la loi des suspects sous la Grande Terreur, dimension politique de la Révolution.

Dans cette mesure précisée, la Terreur, telle que le conceptualise Patrice Guennifey et telle qu’elle peut être transposée à la réalité contemporaine de l’exercice du pouvoir antiterroriste, est la stratégie d’un groupe ou des détenteurs du pouvoir d’Etat recourent à la violence et à l’arbitraire dans le but d’alimenter un sentiment de crainte et d’insécurité nécessaire pour le triomphe de revendications, pour la conquête du pouvoir ou son maintien contre le vœu de la majorité. Mentor d’un jour des gouvernements légitimes appuyés par l’opinion, Elle en devient une arme des minorités se traduisant tôt ou tard en un moyen ordinaire de gouvernement, l’arme des régimes à la légitimité incertaine faiblement soutenus par l’opinion…

La Convention Montagnarde de 1793 se frictionne ici possiblement à la réforme du nouveau projet de lois antiterroristes… C’est précisément ce que nous postulons et défendons.

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