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Billet de blog 7 mars 2018

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LOIS TERRORISTES ET LOIS ANTITERRORISTES. VIOLENCE ET TERREUR. (III)

La violence criminelle déchainée d'un Etat n'est pas l'organisation d'une politique appliquant La Terreur comme système et moyen de pouvoir. Pas plus que l'organisation d'une violence collective d'un groupe n'est assimilable à un déferlement de violences aveugles et spontanées. Dans cette dernière partie, nous proposons d'opérer une distinction entre pédagogie et intransigeance du pouvoir.

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ECRIRE L'HISTOIRE DE FRANCE. REECRIRE UNE HISTOIRE DE FRANCE. 


ETAT REVOLUTIONNAIRE ET REGIME POLITIQUE DE LA CINQUIEME REPUBLIQUE.

LOIS TERRORISTES ET LOIS ANTITERRORISTES ; VIOLENCE ET TERREUR.

HISTOIRE D'UNE PROBLEMATIQUE HISTORIQUE TRANSPLANTEE A L'ERE POLITIQUE MODERNE.

Documents de travail :


Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, 1789-1794, tel Gallimard 2003.


« Les caractéristiques de l’antiterrorisme français : parer les coups plutôt que panser les plaies », Laurent Bonelli, in Au Nom du 11 Septembre… Les démocraties à l’épreuve de l’antiterrorisme, sous la direction de Laurent Bonelli, Didier Bigo et Thomas Deltombe, La Découverte, 2008.


Isabelle Sommier, Le Terrorisme, Dominos Flammarion, 2000.


« Loi antiterroriste, un impressionnant renforcement du pouvoir exécutif », interview de Pascal Beauvais parue dans Libération du 07 Janvier 2016, propos recueillis par Sonya Faure.


Méthodologie de travail :


Histoire d'une problématisation. En quoi l’Histoire contemporaine de l’antiterrorisme fait-elle problème ? Comment comprendre le dispositif en fonction de l’historicité (philosophique) des lois terroristes datant de l’Etat Révolutionnaire ?

II - Violence et Terreur. 1793 et 2015. Confusion dans le discours général dominant. Impératif d'une stratégie intellectuelle...de distinction des termes, des notions et des concepts.

La Terreur au cœur de L'Antiterrorisme ?

 Nous avions stipulé que la violence spontanée, collective, sauvage et aveugle n'est en tout point aucunement similaire à la planification d'une politique de la Terreur organisée dans une stratégie de diffusion de la peur à l'ensemble des protagonistes d'un groupe ou d'un Etat. Les dispositions matérielles de la loi du 21 Octobre 1789 punissent des actes spécifiés selon des formes connues. Elle conduira notamment au massacre du Champ-de-Mars le 17 juillet 1791. Elle revêt ainsi selon l'historien Patrice Guennifey un caractère non terroriste, contrairement aux dispositions de la loi du 19 Mars 1793 organisant un appareil administratif et juridico-politique orienté par une institution idéologique et un système de pouvoir terroriste. « Etrangère à la justice par l'arbitraire de ses arrêts et de ses formes, par son universalité et son absence de terme marqué ; elle ne l'est pas moins à ces moyens violents auxquels les Etats sont parfois contraints de recourir dans les circonstances périlleuses. »* La Terreur est une violence punitive, une pratique planifiée et organisée conduisant, par l'intermédiaire de la loi des suspects, ces mêmes derniers à l'échafaud. En opérant une distinction tranchée entre la pratique de la violence et la mise en place d'une institution politique nommée « Terreur » ou « Grande Terreur », nous visons à sortir du trouble de la confusion sémantique générale à laquelle nous renvoie tout le commentariat juridique, sociologique et politique concernant les attaques terroristes ayant été accomplies sur le sol national durant le mois de Janvier et de Novembre 2015. Nous n'effectuons bien sûr aucune transposition complète et totale de la violence révolutionnaire à la séquence historique actuelle. Mais celle-ci a le mérite d'entrouvrir une brèche épistémologique à même de discerner la nature, la teneur et la portée des attaques subies dans une approche strictement historique, ou du moins se basant sur elle, afin d'apporter une grille de lecture et d'interprétation faisant table rase de la grande confusion généralisée qualifiant n'importe comment et à tout va le caractère terroriste des attaques.

* Patrice Guennifey, La Politique de La Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, 1789-1794, tel Gallimard 2003, plus particulièrement le chapitre 1 " Violence et Terreur ". 

Si les attentats du 7 Janvier 2015 revêtent bien toutes les caractéristiques de la définition de la Terreur telle que le mentionne l'historien spécialiste dans son approche critique de la violence révolutionnaire, alors les attentats du 15 Novembre 2015 sont bien de l'ordre de la pratique d'une violence aveugle et déchainée, non terroriste... L'hypothèse est certes osée puisqu'elle comporte en substance une qualification à géométrie variable de la violence criminelle qui déboucherait in fine sur une politique publique de défense nationale revisitée de fond en comble. Qualifier la violence criminelle différemment du sens commun revient à suspendre un jugement sur la mise en exercice des possibles politiques en y élargissant le champ même de possibilité et d'action. Bien sûr, comparant les attaques du 07 Janvier 2015 et ceux du 13 Novembre 2015, la frontière demeure grandement brouillée entre violence aveugle et terreur organisée. Les assassinats perpétrés à l'égard de Charlie Hebdo sont bien de l'ordre d'une violence terroriste puisque les cibles ont été au préalable visées par toute une propagande antérieure. Ceux du 13 Novembre 2015 au Bataclan n'ont pas fait l'objet de cibles visées ; ils ont été au contraire la conséquence d'une violence aveugle, collective et sauvage sans précision sur l'implication des personnes abattues dans le domaine de responsabilité politique. Et cela même si les attaques perpétrées ont été revendiquées pour le compte d'une organisation d'Etat terroriste, nous privilégions le fait qu'il s'agit ici beaucoup plus d'une violence criminelle déchainée que d'actes terroristes planifiés et organisés sur la base d'un commando agissant pour le compte d'un groupe et dont les cibles visées n'ont pas fait l'objet au préalable d'un choix politique et idéologique. Cependant, quitte à le répéter, la frontière entre violence et terreur concernant la qualification des attaques du 13 Novembre 2015 demeure absolument confuses et troubles. En découlerait potentiellement une analyse historiquement validée et justifiée des attentats du 7 Janvier 2015 que l'on pourrait assimiler à la Terreur, même si la centralité d'un pouvoir étatique dans l'action organisée n'est pas pleinement établie, et ceux du 15 Novembre 2015 que l'on pourrait plutôt assimiler à une violence collective, spontanée et sauvage, exprimant en cette occasion le déchainement de la soudaineté de la violence d'un groupe d'individus affiliés de manière supposée ou réelle à un Etat qualifié de terroriste.

Afin d'étayer notre hypothèse, il conviendrait avant tout de définir ce que la notion de Violence et le concept de Terreur recouvrent tous deux. Nous nous appuyons définitivement sur les travaux de Patrice Guennifey. La violence, physique comprenons-nous, se diffuse dans l'espace public lorsque la désagrégation de l’Appareil d’Etat entraine conséquemment l'absence du monopole total de l'exercice de la violence légitime qui n'est rien d'autre en définitive qu’une violence d'Etat. Transplantée dans la société civile, la violence apparait dans un contexte de désordre politique et d’angoisses communautaires quand l'Etat entre en crise et perd ses propres repères traditionnels. 1789 et la prise de la Bastille en est l'exemple type.

La Terreur, quant à elle, requiert deux acteurs : un terroriste et un terrorisé. Elle s'interpose dans une relation où le bourreau et la victime se font face avec une certaine prédomination de l'exercice de la peur par le terroriste. La Terreur n'est pas réductible à la violence, elle en est une de ses modalités tandis que la violence est un phénomène global, plus général. La Terreur est disposée par son caractère délibéré d'identification de la victime et de la cible, par une application libérée de la violence affranchie de tout encadrement légal à une victime choisie en vue d'atteindre une cible. La violence quant à elle ne fait pas la distinction entre la victime et la cible choisie, elle est sans préméditation et apparait lorsque, comme nous l'avons précisé, il se produit un affaiblissement progressif ou momentané de l'Etat dans sa capacité à s'assurer de l'exercice du monopole de la violence, un affaissement de son autorité légitime. Les attaques du 13 Novembre 2015 répondent en tous point à ces particularités distinctives. Les actes terroristes font défaut à la violence spontanée de la foule ou du groupe.

Les caractéristiques distinctives de la Terreur peuvent ainsi être énoncées : Elle recouvre une dimension stratégique et vise la distinction entre la victime et la cible réelle de la violence. Elle est une stratégie mobilisant un quantum de violence avec l'intention explicite de provoquer le degré de peur jugé nécessaire. D'une nature délibérée, donc rationnelle, elle procède d'un calcul et vise à produire certains effets en vue d'une fin déterminée. Elle est fonction d'un calcul sur le coût respectif des moyens disponibles pour atteindre la fin qui est la sienne. Stratégie marquée au coin de la Rationalité Libérale, la Terreur est un instrument au service de la politique ou de la conduite de la guerre. Violence calculée, elle est surtout une relation indirecte entre les différents protagonistes. Lorsque La violence requiert deux acteurs, la foule et la victime, la terreur en revendique trois, le terroriste, la victime et la cible réelle. Alors dans ce cas précisée, le Terrorisme relève de l'action d'un groupe (politique) frappant délibérément une fraction plus ou moins large de la population pour la terroriser dans son ensemble et ainsi, par son intermédiaire, atteindre son gouvernement.

Ne sommes-nous pas ici en mesure d'appliquer toutes ces définitions à la violence criminelle du 07 Janvier 2015 pour la qualifier de violence purement terroriste ? Effectivement, rien ne semble échapper à cette définition de la Terreur appliquée lors des attaques contre le local et les journalistes de Charlie Hebdo...

Plus encore, si nous voulons conforter notre assertion selon laquelle la violence déchainée et aveugle n'est pas la terreur organisée et planifiée, - dire autrement que 1789 n'est pas assimilable à la politique de la dictature robespierriste de 1793, cela revient par contrecoup à affirmer que les attaques du 07 Janvier 2015 sont de l'ordre de violences terroristes (révolutionnaires, contre-révolutionnaires ou non) contrairement à ceux du 13 Novembre 2015 relevant de violences collectives non terroristes - , alors outre cette hypothèse et pour une juste perception de cette histoire de France qui s'écrit spontanément dans l'ordre catégorique qui joue la partition et la division entre violence et terreur, il faudrait revenir en tout état de cause à l'économie du châtiment telle qu'elle s'inscrit dans le code pénal et la pratique punitive avant et après 1750.

Avant la réforme de la procédure criminelle, le cérémonial traditionnel des supplices observe une visée dissuasive. L'ancienne économie du châtiment recouvre une modalité spécifique de l'intransigeance du pouvoir, voire même une violence punitive du pouvoir. Les violences du 13 Novembre s'y inscrivent sans commune mesure. Celle-ci est supplantée par une nouvelle approche utilitariste de la sanction pénale après 1750. Le mouvement général en Europe pour la réforme de la procédure criminelle prône l'individualisation, la fixité et l'adoucissement des peines. La sanction par la peine capitale s'articule à une utilité sociale ; l'utilitarisme pénal devient le maitre d'œuvre d'une nouvelle pédagogie du pouvoir. Punir pour réparer, c'est punir pour prévenir. C'est ce dont se prévalent les terroristes de 1793. Ici, la Terreur ne revêt pas nécessairement le caractère d'illégalité et d'arbitraire, elle est une utilisation de la violence à des fins d'intimidation. Cette nouvelle économie du châtiment prévoyant l'individualisation de la peine capitale est préalablement utilisée par le groupe terroriste du 07 Janvier 2015 en ceci que la pédagogie d'une pratique punitive d'un groupe criminel vise à interpeller, par l'intermédiaire de ses attaques, le gouvernement en question. Elle s'oppose en toute circonstance à la violence sauvage du 13 Novembre 2015 qui n'est autre chose en définitive qu'un retour régressif et révolue de l'application d'une ancienne économie du châtiment, à travers des corps suppliciés, et dont le cadre jurisprudentiel en a définitivement abolie l'exercice sur son territoire national... et ce dont aucun justiciable ne s'en revendiquerait en y faisant état.

07 Janvier 2015, pédagogie d'un pouvoir criminel et 13 Novembre 2015, pratique de l'intransigeance d'un pouvoir criminel retournant à une ancienne économie du châtiment... C'est ce que nous validons comme hypothèse.

Dans cette configuration précise d'une politique antiterroriste d'Etat qui répondrait aux actes entrepris par des groupes multiples et variés, l'intransigeance d'un pouvoir imbriquée dans une pédagogie du pouvoir se trouve momentanément transplantée dans le domaine administratif et bureaucratique de l'appareil juridico-politique. A une terreur répond une autre politique, celle d'une terreur légale et légalisée qui emprunterait l'appellation, à tort ou à raison, de l'antiterrorisme. Mais alors, pour en cerner les attributs par un détour historique, qu'est-ce que vise la politique terroriste de l'Etat Révolutionnaire central de 1789-1794 ? Elle inspire la crainte universelle et déploie la violence affranchie de tout encadrement légal dans un règne indéfini de l'arbitraire soutient Patrice Guennifey. Dès lors, comment interpréter historiquement les diverses mesures antiterroristes préconisées par le pouvoir législatif et judiciaire actuels, l'assignation à résidence et les perquisitions de nuit entre autres ? Comment ne pas objecter que les mesures soumises par le Tribunal Révolutionnaire du 10 Mars 1793 préconisait aussi l'application de la Terreur sous la forme de la Justice ? La conservation de l'arbitraire de ses arrêts comme son ressort principal, l'insécurité comme condition de son efficacité et l'asservissement de tous les suspects inspirant la crainte perpétuelle des nouveaux citoyens...

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