Pour une Sociologie des élites.
FRANCE REVOLUTIONNAIRE ET SOULEVEMENT POPULAIRE : NOUS SOMMES TOUS DES GILETS JAUNES.
Monique Pinçon Charlot et Michel Pinçon. « Retour sur 30 ans d’enquête dans la classe dominante »
Compte-rendu du livre « La Violence des Riches ; Chronique d’une immense casse sociale ».
" Mais pourquoi, et surtout au bout de quoi, les Conti envahissent-ils la sous préfecture de Compiègne, les Goodyear séquestrent-ils leur direction, les Air France se font-ils une chemise de DRH, et certains gilets jaunes sont-ils au bord de prendre les armes ? Qu'est-ce qu'il faut avoir fait à des gens ordinaires, qui ont la même préférence que tout le monde pour la tranquilité, pour qu'ils en viennent à ces extrémités, sinon, précisément, les avoir poussés à toute extrémité ?
Le déni de la violence sociale est cette forme suprême de violence à laquelle Bourdieu donnait le nom de violence symbolique, bien faite pour que ses victimes soient réduites à merci : car violentées socialement, et méthodiquement dépouillées de tout moyen d'y résister "dans les formes" puisque tous les médiateurs institutionnels les ont abandonnées, elles n'ont plus le choix que de la soumission intégrale ou de la révolte, mais alors physique, et déclarée d'emblée odieuse, illégitime et anti-démocratique - normalement le piège parfait. Vient cependant un moment où la terreur symbolique ne prend plus, où les verdicts de légitimité ou d'illégitimité volent à leur tour, et où la souffrance se transforme chimiquement en rage, à proportion de ce qu'elle a été niée. Alors tout est candidat à y passer, et il ne faudra pas s'en étonner : permanences de députés, banques, hôtels particuliers, préfectures, logiquement plus rien n'est respecté quand tout a failli. "
Frédéric Lordon, Fin de monde ?, 05 Décembre 2018. Article consultable sur son blog, La pompe à phynance.
https://blog.mondediplo.net/fin-de-monde
I - Haute Finance Mondialisée versus Capitalisme Industriel Nationalisé.
Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot accomplissent, par le recueil de données chiffrées et la reconstitution de trajectoires socio-professionnelles d’individus issus des classes sociales supérieures, une étude chronique des méfaits du système capitaliste portés à son paroxysme par la doctrine du néolibéralisme. Il s’agit en l’occurrence d’un examen clinique, à l’interstice des pôles du savoir sociologique et historique et du journalisme politique et militant. En forçant un peu le trait, nous pouvons affirmer que les auteurs se penchent cliniquement sur le phénomène de compartimentation sociale entre riches et pauvres. La violence économique et sociale expérimentalement vécues par les classes dominées se double d’une violence symbolique (Pierre Bourdieu)1. Les circuits mafieux d'une finance gangrénée par des mouvements de capitaux parasitaires substituent à l’économie réelle des forces productives de travail (Karl Marx)2 une économie entièrement basée sur le phénomène spéculatif.
Dans les nouveaux rapports sociaux de production économique, le capitalisme industriel de type paternaliste a été supplanté et progressivement éliminé par la mondialisation et la financiarisation de l’économie. La spéculation boursière et virtuelle devance dorénavant largement la production industrielle inscrite dans l’économie réelle. Celle-ci entraîne coup sur coup désindustrialisation et délocalisation massives. L’inscription territoriale de ce phénomène économico-social se définie concrètement par la disparition des friches industrielles dans les Ardennes. L’exemple de l’entreprise familiale de François Dury, dont la famille Dury a acheté au début du XXème siècles les usines Thomé-Génot (usines d’estampage) symbolise cette mort industrielle. Mise en liquidation judiciaire après avoir été ruiné par un fonds d’investissement américain, le groupe Catalina alors dirigé par Greg Willis, le groupe industriel familial conçu par un capitalisme de type paternaliste entre les patrons et les salariés a été battu en retraite par un nouveau système économique et politique permissif à l’entrée de ce que les auteurs sociologues nomment les « patrons-voyous ». Philippe Jarlot est une figure représentative du repreneur chasseur de primes dans le paysage industriel hexagonal. Nous assistons par conséquent à un rapport de force, social et idéologique, entre la haute finance mondialisée et spéculative et le capitalisme industriel. Ce fait se traduit par la désindustrialisation entière de régions, des délocalisations de sites industriels et des investisseurs étrangers agissant économiquement contre les dynasties bourgeoises familiales et les patrons-nationaux.
La situation de l’usine PSA Peugeot Citroën en est une attestation. La famille Peugeot est une dynastie bourgeoise et familiale qui prend ses racines au sein de la Noblesse d'Etat, de la Haute Aristocratie. L’annonce de la fermeture de l’Usine d’Aulnay-sous-Bois le 12 Juillet 2012 par Philippe Varin, le P-DG de PSA et président du cercle de l’industrie entraîne à terme la disparition de 11200 emplois et de 6800 délocalisations inscrites dans la stratégie du groupe en 2011. Pourtant sous la présidence de Nicolas Sarkozy, le groupe industriel PSA a bénéficié de 8 milliards d’argent public. En 2010, des dividendes de 250 millions d’euros ont été distribués à ses actionnaires dont 72 millions aux seuls membres de la Famille Peugeot. Philippe Varin dispose en 2011 d’un revenu fixe de 3 253 700 euros. Un prêt de 110 millions d’euros de la BERD (Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement) fut attribué au groupe PSA pour la construction des automobiles en Russie. La prise en considération de l’enrichissement des dirigeants et des actionnaires du groupe PSA, alors que dans le même temps le cours de la bourse du groupe fut divisé par huit, entraîne des pertes avoisinant les 700 millions d’euros en 2012. La plus-value financière considérable potentiellement réalisée par la spéculation sur le terrain à l’occasion de la création du Grand Paris sont pour les auteurs certainement à l’origine du démantèlement industriel. Seul Arnaud Montebourg, homme politique, ministre du redressement productif sous la présidence de François Hollande (2012-2014) fut récalcitrant à la dissolution du groupe du site d’Aulnay-sous-Bois.
1. Cette notion, celle de violence symbolique, est issue de l'oeuvre sociologique de Pierre Bourdieu. Lire à ce propos, l'étude proposée par le sociologue dans La Noblesse d'Etat.
2. Les forces productives, relatifs aux capacités de production industrielle résultant de l'action humaine et collectif des travailleurs, est une notion présente dans toute l'oeuvre du philosophe Karl Marx. Lire à cet effet Le Manifeste du Parti Communiste.
II - Système Economique, Régime Politique et Fraude Fiscale.
La transformation progressive du capitalisme industriel patronal et familial en un capitalisme néo-libéral de type financier et spéculatif met en évidence un contraste autrement plus important, celui des privilèges et des avantages accordés aux classes supérieures laissant ainsi dans l’impasse les classes inférieures, faisant l'épreuve de la domination socio-économique dont leur situation sociale en est le reflet. Ce contraste se précise à l’orée de la pénalisation et de la criminalisation des plus pauvres tandis que les paradis fiscaux et l’exil fiscal des plus riches sont tolérés par le système oligarchique. La guerre idéologique contre les travailleurs se manifeste par la stigmatisation des plus pauvres. En atteste l’exemple des fraudes à la Sécurité Sociale. Estimé à environ 16 milliards d’euros, la représentation des allocataires fraudeurs est seulement de 1 %. La représentation des cotisations patronales impayées est quant à elle de 80%. La mise en évidence de la fraude généralisée par les patrons les plus riches constituent le mobile unanime au principe du fonctionnement systémique du capitalisme financier.
Bernard Arnault et Jérôme Cahuzac sont deux personnalités publiques emblématiques de positionnements pleinement situés au cœur du capitalisme néo-libéral financiarisé, mondialisé et dérégulé. L’une est entrepreneur, l’autre est politique. A eux deux, ils symbolisent la mise en marche d’un système financier fonctionnant sur des bases de tolérances fiscales à l’égard des plus riches. Bernard Arnault, première fortune de France avec 24.3 milliards d’euros et dirigeant de la société LVMH occupe une position de choix dans l’identité mondiale du capitalisme dérégulé. Sa tentative d’exil fiscal en Belgique reflète le conditionnement mental des individus issus des classes les plus aisées. Affiché dans une volonté de non-paiement des impôts et donc de non redistribution des richesses accumulées par le capital, la notion de classe internationalisée dépassant celle de la nation localisée, Bernard Arnault dévoile par son action le système de fiscalité frauduleuse rendue permissive par sa tentative d’exit fiscal en Belgique. Jérôme Cahuzac, quant à lui, alors ministre du budget sous la présidence de François Hollande (2012-2017), disposait d’un compte bancaire en Suisse. La Fraude Fiscale d’un des membres du gouvernement révèle les fondements d’un système économique au cœur duquel le régime politique gouvernemental se trouve englué.
En évoquant ces deux cas bien particuliers, les sociologues postulent l’hypothèse selon laquelle l’isolement d’individus agissant indépendamment des structures financières propices à ce type de manœuvre n’est aucunement valable. Ils ne sont point des cas isolés et n’agissent pas de façon individuelle. Membres de l’oligarchie planétaire, ils se situent au cœur de stratégies anciennes et massives globales du système financier largement perméable aux plans de fraudes fiscales. Le libéralisme incluant simultanément laxisme individuel et laxisme collectif poursuit l’objectif finalisé de l’oligarchie mondialisée : néolibéralisme, déréglementation et création de paradis fiscaux.
Les conséquences de la déréglementation des échanges sur les comportements individuels ne sont pas sans effet. Elles enclenchent ce que les auteurs nomment « l’individu néolibéral ». La loi du marché devient la nouvelle loi juridique réglementaire transposée, par un mécanisme d’assujettissement, dans les corps et les structures mentales des individus. Les individus néolibéraux appartenant à la classe dominante deviennent les agents sociaux d’un système oligarchique dont la violence économique agrémente les rapports sociaux de domination à l’égard des classes dominées. « La déréglementation de la vie économique a donc permis l’éclosion d’un cynisme individuel et collectif. »1
1 Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, La violence des riches, La Découverte Poche, Page 56.
III - Grande Délinquance Financière.
Les riches fraudeurs disposent de la tolérance judiciaire. Eric Woerth en 2009, ministre du Budget sous le gouvernement de François Fillon, met en place une cellule spéciale de dégrisement conçue exclusivement pour les riches fraudeurs. Cette cellule permet dès lors l’activation légale d’une clause contractuelle entre les services de l’Etat et les personnes en infraction fiscale. Elle souscrit à la régularisation de leur situation par rapport à l’administration fiscale, à l’acquittement de leurs dettes sans pénalité d’usage ni même poursuites judiciaires. Le montant estimé de l’administration fiscale en 2012 représente environ 18 milliards d’euros. 3000 fraudeurs français sont recensés. Les fraudes fiscales inscrites à leur actif sont estimées à 3.8 milliards d’euros. Cependant, la cellule de dégrisement autorise la négociation entre le fraudeur et le fisc. La grande délinquance économique et financière est tolérée par tout un appareillage : système politique et appareil d’Etat. En effet, depuis 2012, d’abord sous l’égide de Nicolas Sarkozy et ensuite de François Hollande, la délinquance financière est de moins en moins inquiétée. La lutte contre ce type de criminalité organisée s’est vue déchue par la disparition progressive des pôles financiers des tribunaux. La logique de classe politique s’est accouplée à une justice de classe économique. L’investigation des affaires politico-financières par les juges d’instructions et les magistrats a décru au vue de l’abandon de la politique pénale financière par les services de l’administration d’Etat. Ni la droite de parti, ni la gauche de parti ne souhaitent résoudre le problème de la grande délinquance financière dont le lieu le plus emblématique est situé à La Défense.
Cette grande délinquance financière a partie liée avec un ensemble totalisant de relations sociales dans lequel elle occupe une position située socialement dominante. En mettant en évidence le pouvoir politique et la présidence de François Hollande en contradiction avec les idéaux historiques de la gauche républicaine sur le plan économique, politique et social, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot engagent une étude d’investigation sociologique et journalistique des réseaux dans cette nouvelle France. Ils y analysent avec des ressorts issus de la théorie marxiste des rapports de classe la violence économico-sociale qui s’exprime à l’égard des classes inférieures et dominées et cela au travers de la complicité et de la collaboration du personnel politique. Le monde de la finance n'est pas sans noms et sans visages. Des individualités, des personnalités, des acteurs historiques, des agents sociaux, des structures sociales et des institutions économiques composent cette nouvelle réalité économique de prédation internationale. Des proches collaborateurs de François Hollande intégrés au sein de l’élite sociale, politique et économique, circulent dans les différents réseaux et les différentes institutions gravitant autour, sinon au sein même de la finance internationale. Jean Pierre Jouyet, socialiste, est inspecteur général des finances après son passage à l’ENA. Directeur du Trésor de 2000 à 2004, il deviendra en mai 2007 sous la présidence de Nicolas Sarkozy secrétaire d’Etat aux Affaires Européennes pour accéder en décembre 2008 à la présidence de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Pierre Moscovici, ministre de l’Economie, est membre du Siècle dont les célèbres diners réunissent l’élite des hommes politiques et des journalistes. Il fut également de 2004 à 2012 l’un des vice-présidents du Cercle de l’Industrie regroupant l’essentiel des dirigeants du grand patronat. Politiquement député de la circonscription de Sochaux-Montbéliard, Pierre Moscovici est économiquement le président de l’Association des collectivités sites d’industrie automobile. Emmanuel Macron, nouveau ministre de l’Economie et des Finances est associé-gérant de la banque Rothschild et fut aussi secrétaire général adjoint de l’Elysée.1 Les mêmes formations supérieures traversent les trajectoires sociales et politiques de ces agents sociaux : l’ENA, Sciences PO et HEC sont des institutions d’enseignement qui favorisent les futures orientations économiques de ces acteurs historiques. Les formations supérieures au sein des mêmes institutions et leurs circulations permanentes au cœur du champ politique au-delà des clivages partisans agissent comme des soupapes de conditionnement économiques au nouveau rapport de domination financière.
1. Cette étude date de 2014. A ce jour, Emmanuel Macron n'est plus Ministre de l'Economie. Il est Président de La République...