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Billet de blog 28 février 2018

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LA SOCIETE DU SUJET DJIHADISTE. PUISSANCE DES SUJETS ET IMPUISSANCE DES PARENTS.

L'analyse de la chercheuse Amélie Myriam Chelly propose une étude de la structure de la fratrie. Nous nous proposons ici de résumer les principaux axes de démonstrations tenus dans l'argumentation proposée. Il nous semble que cet article est un incontournable de la sociologie de la radicalisation. Nous pénétrons en profondeur et par paliers les étapes de l'enrôlement dans la violence.

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La force légitime de la sociologie d'Amélie Myriam Chelly est de recueillir des témoignages de radicalisés. Elle nous indique de prime abord que le profil des "puissants", minoritaires, se trouve intégré dans une matrice plus générale de radicalisés et qui englobent d'autres profils. Ceux s'éloignant de leurs parents "kofar", ceux s'avisant d'un repechage de leur famille par l'esprit salutaire de leur départ et ceux optant pour le déchirement de la cellule parentale, ultime bastion de l'ancienne vie.

La sociologue aborde la centralité de la structure de la fratrie dans les phénomènes de radicalisations. La volonté de recouvrer la puissance par l'impuissance des parents se décline en deux possibilités. Elle émerge lors de la fermentation durable d'un sentiment d'incompréhension (impuissance-désespoir). Ou bien en raison d'une perception de l'autorité parentale perçue comme écrasante par les sujets (impuissance-irréalisation). Deux représentations de la figure parentale qui se recoupent dans un départ-vengeance et qui trouvent deux voies d'expression. L'impuissance-désespoir (je suis devenu l'acteur de votre impuissance) et l'impuissance-irréalisation (j'inverse désormais les rôles) sont subtilement étayées par les discours recueillis. La chercheuse fait état d'un accomplissement sur le modèle de vases-communiquant. Puissance obtenue par Impuissance permanente.

La Puissance est ici un sentiment. Se sentir puissant n'indique pas une position dans l'espace social. Des dominés ou des invisibles exercent une action tendant vers la quête de la puissance dans l'action à mesure que les parents se sentent déposséder de leur influence sur leurs enfants. Car le sentiment de puissance est une tentative de récupérer une prise sur une réalité qui leur échappe. D'être traversé par le sentiment d'exister. Puissance et Existence. Ce sentiment de puissance recouvré par une existence à vivre traverse les milieux sociaux. Tous les milieux sociaux. Classes populaires et Classes moyennes dont dans cette dernière la problématique de l'identité culturelle n'est pas une donnée majeure et essentielle.

Chez les femmes, la souffrance de l'impuissance exprimée vis à vis des parents (désespoir et irréalisation) s'exprime dans une certaine incompatibilité à vivre l'idée traditionnelle du bonheur (le mariage durable) et une réalité perçue comme instable (la fidélité n'est plus un principe fondateur) engageant ainsi le creux entre l'idéal et le réel. Sinistrées d'un entre-deux-mondes, elles souffrent de la dégradation des mœurs et de la dichotomie actuelle entre le conditionnement des structures mentales et la déstructuration des modèles sociaux qui sévit.

Chez les hommes, le discours se maintient. A une chose près. Les hommes placent la question du corps au centre de leur action. Celui-ci demeure un capital physique et symbolique à faire valoir. Les femmes versent dans l'affect et la douleur affective infligée aux proches. Les hommes, dans un discours qui pointe l'impuissance, soulignent le corps comme marqueur réel et indélébile d'une impuissance (désespoir et surtout irréalisation). Les femmes, en inversant les rôles et en devenant les détentrices de sens, bénéficient d'une force psychique et affective. Chez les hommes, la dimension physique est prépondérante. La relation au père est un rapport d'incompréhension conflictuel. Le sujet retrouve sa virilité en s'émancipant du cadre légiféré par le père. Faire La Guerre est gage de rétablissement d'un ordre jugé comme naturel par le fils. Expression consciente de sa pleine puissance, le fils légitime son émancipation par l'arme qu'il porte, prolongement de sa virilité. La relation au daron constitue alors l'axe de mise en action. En s'y émancipant, le fils promet une autre loi familiale dépassant le cadre réglementé de l'être dépassé sur le plan physique. Le fils réinstaure ainsi le rapport à la force physique comme emblème majeur de la loi à instituer dans le domaine familial. Le père est désormais perçu comme un corps étranger. Le spectre de la mort qu'ils laissent voguer est un instrument de puissance affectif et physique. " Le jeune lie la puissance à l'affirmation totale de soi, là où le parent incarne la faiblesse du compromis. "

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