Agrandissement : Illustration 1
Le 31 décembre 2016, j'ai passé les fêtes de fin d’année avec mes proches, à Biskra dans le sud algérien, à 400 kms de la capitale Alger: un cortège de deux voitures, avec hommes, femmes dont la doyenne, ma mère.
Durant notre séjour, nous avons élu gîte à l’hôtel Les Zibans.
Ah ! Pour qui se souvient et tous vous autres qui ne le savent pas, ce fut un somptueux et splendide havre de paix: une rafraîchissante halte pour les passants et les aventuriers écrasés par l'épaisse chaleur qui vous barre les yeux. L'Hôtel Les Zibans était entouré de vertes orées, à la lisière de la vieille cité des fiers berbères Zénètes, Biskra. Une cité au pied de la légendaire et rebelle Aurès qui s'étend en chapelet le long des crêtes rocailleuses ocre et lunaire que le soleil rase inlassablement et embrase belliqueusement avant de briser ses rayons dans les profondeurs intimes de ses gorges que les eaux charrient inexorablement.
Les Zibans ont écrit leurs lettres de noblesse et connu leurs heures de gloire. Mais hélas, ils sont tombés depuis en disgrâce. Un mal qui ronge les belles et nonchalantes Cités du Sud aux jadis pouvoirs envoûtants qui convoitaient tant le cœur des tendres.
Des Cités qui défièrent plus d’un millénaire durant les vicissitudes de l’histoire et les aléas du temps. Elles avaient su apprivoiser modestement et méthodiquement sans les réduire, ces sols ingrats et l’infiniment immensité, grâce au génie et la maîtrise des hommes et femmes, incarnations du vivant. En créateurs, ils avaient donné vie à des étendues inertes : ce furent des primo écologistes de la première heure en humbles précurseurs du savoir-être.
D’aucunes tentent de résister vaillamment à leur érosion annoncée, quand d’autres cités tombent sous les ruines collectives des lois de l’anarchie, de la laideur et... du sac plastique noir. Cet arrogant nouvel étendard qui jette l'opprobre et le voile impudique de la victoire sur l’encore vierge nature qu'il soumet…sans gloire!
Dans ces étendues sans limites, dès le jour levé qui, dans ses errements tente désespérément de rejoindre la nuit dans son grand berceau étoilé, au soleil couchant qui sème sur ses traces un bonheur infini de lueurs qui dansent...le désert n’a point trouvé grâce aux gestes des « nouveaux rapaces».
Ses fabuleux paysages ne sont plus épargnés par la prolifération et l'extension de ces tâches tentaculaires qui se répandent inexorablement sur ces vastes prairies rocailleuses, telle une indélébile encre sombre sur un buvard immaculé. Peuplées sans âmes et inhospitalières, ces Cités ne tiennent plus les pas du passant qui passe et ne retiennent plus le regard du voyageur harassé.
Que fuient-elles, de qui se voilent-elles ? Est-ce d’avoir trop résisté aux temps et d’avoir brillées longtemps, que ces villes s’éteignent dans l’indifférence générale, bouffées par les trous noirs de nos mémoires.
J’avais longtemps recherché des yeux l’âme de ces cités... ils n’ont rencontré que des corps putréfiés.
J’étais encore en immersion dans mes pensées, sur le chemin du retour à quelques heures de l’année écoulée, quand Dihya (1) assise à l’arrière du véhicule, me fît part d’un besoin pressant.
Je répondis normalement :
- Si tu peux tenir jusqu’au prochain hameau, avec un peu de chance, on y trouvera un café.
Et là, toc ! Toc et encore toc ! Une voix venue d'ailleurs remet les pendules à l'heure:
- Toi qui reviens de loin, sais-tu seulement comment font les femmes qui voyagent éloignées de chez elles ici, pour se soulager d'un besoin pressant ? Tu serais encore sur la flamboyante et déjà souffrante nouvelle autoroute qui relie le levant au couchant, cette urgence aurait trouvé peut être un rapide dénouement. Certaines stations-services devraient être forcément dotées de toilettes pour femmes, étant donné que, désormais dans le cahier de charge des concessions autoroutières, il est fait obligation d’y prévoir des salles de prières.
Mais là, présentement sur cette route qui longe à perte de vue les rougeoyantes rocailles et cette étreinte qui l’éreinte ? Une certitude, il ne faudra compter désormais que sur sa résilience!
Quelques courageuses retenues plus loin qui paraissaient une éternité, nous arrivâmes enfin à ce qui semblait être une nouvelle bourgade, ou plutôt un enchevêtrement de constructions hybrides qui s’étalent le long d’une large voie, aux contours tellement flous qu'on la croirait rognée sur ses franges par un incurable vent de sable.
Je m'arrête dans ce quelque part qui ne ressemble à nulle part. Ça tombait bien ! De l’autre côté de la voie, il y avait un café ouvert. Mon cousin qui nous suivait au volant de la seconde voiture s’arrêta à son tour devant nous. Il ouvrit la fenêtre et nous demanda pourquoi cette soudaine halte qui n’était pas prévue sur notre itinéraire?
Je lui répondis que Dihya avait besoin d’aller aux toilettes. Il me regarda perplexe. Ma belle-sœur qui entend tout, même quand elle jacte, sort à son tour sa tête de la vitre ouverte de la voiture pour me murmurer, presqu'une mise en garde:
- Pas dans le café, j’espère. Tu n’y penses quand même pas ! Il n'y a que des hommes.
- Et si! Et sinon où, répliquai-je? Dans la nature peut-être ?
Sous l’équivoque soleil de cet après-midi de janvier, je me revois en train de traverser la large voie, puis la courte terrasse en prenant soin de saluer les hommes attablés autour de cafés qui refroidissaient tranquillement, tellement la concentration semblait à son comble : ils s’affrontaient au jeu des dominos. Et autour d’eux, d’autres hommes plus nombreux, mi- assis, mi- debout. Je longe la salle pour rejoindre le comptoir en face. Et juste à sa droite, je repère les toilettes.
Un monsieur d’un certain âge était en train de servir deux jeunes hommes. Vint mon tour, je déclinai l’objet de mon entrée dans son établissement. Sans hésiter, il me répondit en me souhaitant la bienvenue :
- Les toilettes sont à droite!
Comme mon arabe est approximatif, j’avais réitéré ma demande pour être sûr qu’il ait bien compris ce dont il s'agissait: Une femme qui avait besoin de se rendre au cabinet d’aisance.
Et là, il leva ses yeux verts gris, me scruta et me répondit :
- J’ai bien compris cher monsieur. Aller dire à la dame qu’elle peut utiliser les toilettes. Elles sont tout de suite sur votre droite.
Je retraversai la salle alertement en manquant de renverser une table, puis la terrasse courte et la large voie. La tension semblait être montée d’un cran sur la terrasse quand dans les voitures, elle était tout simplement à l’apothéose. Ma belle-sœur avait la fenêtre fermée, son fils un pied sur l'accélérateur. Elle l’ouvrît à nouveau en me voyant arrivé :
- On part ?
- Non, on reste !
J’ai ajouté avec un large sourire :
- Détends-toi ! On peut utiliser les water-closets du café sans problèmes.
Mais c’est compter sans le sarcastique cousin qui refroidit l’atmosphère d’un « je suis sûr que le cafetier pensait à une femme voilée ».
Mince, je n’avais nullement envisagé cet aspect des choses!
- Mais bon sang, pourquoi tout semble si compliqué, murmurai-je en me tapant la tête?
Me revint en mémoire la réplique de cet émigré italien en Suisse, devant ses juges qui avaient décidé de le renvoyer chez lui pour avoir profané les terres de cet autre pays où on ne badine pas avec les mœurs, lâcha : « tout ça, pour un petit pipi en pleine nature» !
Je regardais Dihya qui visiblement n’en pouvait plus. Je la parcourus du regard de la tête aux pieds. On ne pouvait vraiment pas prétendre qu’elle était habillée de sainteté !
- On y va, lui demandai-je?
Elle ne demandait pas tant. Nous voilà en train de traverser la voie qui nous sépare du café et qui me paraît d'un coup infiniment plus large, très large, puis la terrasse où les mêmes hommes continuent de bouder le même café froid, autour du même jeu de dominos, avec les mêmes hommes autour. Au total, ils étaient 4 joueurs et 12 autres qui suivaient la bataille à mi- assis, mi- debout, en passant d’une main-l’autre et en chuchotant à voix très basse, d’une oreille-l ’autre, les prédicateurs de la fin de partie. Tout ce monde-là semblait nous ignorer littéralement.
Nous longeâmes la salle jusqu’au comptoir. Dihya s’éclipsa sans attendre par la droite et referma la porte qui continue de grincer après la fermeture du loquet. Pendant ce temps-là, je demeurais debout. Le cafetier lui ne manifestait aucune curiosité, ni animosité, ni un quelconque sentiment particulier. Il continuait méthodiquement à ranger, nettoyer...Seul, le tintement des verres et des dominos qui claquaient sur la table, rythmaient cet aparté de plus en plus pesant. Une gouttelette de suée dévale soudainement ma joue droite et plouf…elle explose sur le sol! Un chien sort péniblement de sous table, s'approche de la goutte, la renifle avant de rejoindre sa guérite. C’était peut-être la proximité du réchaud à gaz tous feux allumés sur lequel bouillonnait l’eau d’une grosse théière.
Deux tableaux habillaient remarquablement les murs décrépis. Une réplique jaunie par le temps du président de la république debout et une autre de la Mecque, la même qu’on peut voir trôner désormais dans nombre d’épiceries et boucheries des villes d’Occident.
Dihya sortit enfin du cabinet d'aisance, la porte grinçante. Elle me rejoignît visiblement soulagée et dans l’euphorie de la délivrance, je m’entendis dire :
- Deux thés s’il vous plaît, Monsieur!
A cet instant, je me rendis compte que jusque-là, le cafetier n’avait exigé de nous aucune contrepartie commerciale, genre « OK, mais vous consommez quoi ! »
Ainsi, nous bûmes nos breuvages au comptoir. Le thé qui avait ravi nos palais était de très bonne facture et je le fis savoir au monsieur, tout en louant son hospitalité. Il semblait content et me remercia. Je paie et nous primes congés.
- Bonne route nous lança-t-il. N’oubliez pas votre monnaie.
Nous retraversâmes la salle sereinement, la terrasse un peu rapidement, puis la voie presque en courant…les joueurs continuaient à jouer, les spectateurs mi assis, mi debout, à spectater et à continuer de lire dans leurs mains, je veux dire les mains des domineurs pour écrire le sort de la partie, tout en chuchotant entre eux, d’une oreille-l’autre. La tension était montée encore d’un cran tandis que les nôtres avaient les yeux rivés sur nous.
- Vous avez tardé nous lança ma mère qui commençait à s’inquiéter, sur le point de venir nous rejoindre, elle qui en avait vu bien d'autres dans sa vie.
- Y a-t-il de nouvelles prétendantes aux aisances, demandai-je d’un grand rire moqueur qui se perd dans l’éclat soudain d’une explosion, accompagnée de répliques de bris cassés, qui jetât l’effroi parmi nous.
Tout notre beau monde se terra derrière les voitures, accroupis, les bras serrant les têtes. Au bout d'un instant infini, nous osâmes les relever.
C’était juste le coup de grâce du dernier domino abattu littéralement sur la table avec une force telle que les cafés froids et tout ce qui se trouvait sur le plateau furent catapultés à quelques mètres de là, avant de retomber et se briser dans un grand fracas sur le sol. S’ensuivît le cri d’orgasme guttural, longtemps contenu du plus chétif d’entre les joueurs, délivré enfin de la tension qui le tenaillait, après avoir livré une bataille incertaine. Son cri rédempteur sonna le glas de la partie de dominos.
Le cafetier accourut de son comptoir, sur le pas de porte, nous fît un signe rassurant des mains.
Nous nous engouffrâmes dans nos voitures et démarrâmes pour rejoindre l’autoroute qui va sur Alger.
De là où je suis aujourd’hui, je repense à tout ça. Je me dis que la bêtise humaine nait du quiproquo. Et de quiproquo en malentendus, la discorde s'installe, la haine avec. Et les hommes ont oublié que dans cette contrée, le jour flirte toujours avec la nuit sous les étoiles qui leur dansent leurs infinies couleurs.
Dans cette envoûtante Oasis
À portée de lèvres et,
Du mauvais œil, à l’abri
J’avais croisé Dihya
A bicyclette, pubère et,
Le cheveu qui rit
Dans le vent (2)
Yha
(1) DIHYA….Nom d’une reine guerrière berbère des Aurès, née en 664 et tuée au combat le 09 octobre 701.
(2) Dans cette Cité de Biskra et dans la ville d'El Bayadh, j'avais effectivement vu quand j'étais étudiant, des lycéennes allaient à vélos à leur lycée les cheveux dans le vent.
Portfolio 1 juillet 2017
LE JOUR ET LA NUIT
Le 31 décembre 2016, j'ai passé les fêtes de fin d’année avec mes proches, à Biskra dans le sud algérien, à 400 kms de la capitale : un cortège de 2 voitures, avec hommes, femmes dont la doyenne, ma mère.
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.