Agrandissement : Illustration 1
12 octobre 2013.
Le village peu à peu sort de sa torpeur. Il fait front à la face méditerranéenne du Djurdjura qui se dresse majestueusement dans toute sa plénitude et sa splendeur.
La montagne bleue est précocement revêtue de son blanc manteau.
La rue grouille et bruisse de toutes ses âmes et odeurs qui annoncent la trêve automnale. La terre rejette ses effluves à mesure du soleil qui pointe au zénith. Un mélange évanescent d’humus et de feu de débroussailles, qui prépare le sol aux futures noces: c’est un village chargé d’humanité qui reçoit ces invités d’un jour.
- Le montagnard vous souhaite la bienvenue en libre Kabylie.
C’est par ces mots qu’il a reçu les quelques convives qui venaient de la capitale, à leur sortie de véhicules. Un évènement autour de la vieille, comme il aimait désigner la mère avec tendre ironie.
Les jeunes, alentour, semblent médusés et moi-même je tombais des nues à l’entendre s’adresser ainsi à des représentants de l’Etat, fussent-ils ses amis.
La référence montagnarde devenait décidément une manie chez lui.
La première fois que je l’ai entendu au sortir de sa bouche, c’était lors d’une de nos rencontres à Paris où il était en poste et où je vis depuis bien longtemps. Son téléphone s’est mis à sonner. Je l’entends marmonner :
- Tiens, encore un à la rescousse !
Il décrocha. L’échange fut très vif. Il conclut très bref avec cette énigmatique réplique et raccroche aussi sec:
- Et c’est un montagnard qui vous répond, mon général !
Intrigué, je lui demande :
- Des problèmes ?
Après quelques hésitations et mon insistance, il finit par s’y résoudre à me répondre, non sans son magistral et récurent détachement. Il n’aimait pas ennuyer ses proches avec ses démêlés.
- Pfff ! C’est quelqu’un qui veut placer sa nièce ici à Paris. J’ai reçu la jeune fille cette semaine. Elle s’est présentée avec arrogance et non sans altercations à l’entrée du bâtiment. Elle débarque à Paris et veut que je lui offre un poste de travail. Je lui ai expliqué gentiment que je n’avais rien à lui proposer.
Il ajouta :
- Je viens de répéter la même chose au fameux oncle qu’elle a appelé à la rescousse. Mécontent, il me rappelait sous forme de menace vulgairement voilée, que je parlais avec un militaire au grade de général. D’où ma réplique tout aussi cinglante : et c’est un montagnard qui vous répond, mon général !
Quelques années plus tard, loin de ces turpitudes parisiennes, devant ce splendide paysage qui s’offre à nous, nous nous tennâmes un long moment par le silence contemplatif, sans mots, sans gestes et sans rides. Puis, vînt le temps d'échanges élogieux qui se font pléthores sur ces crêtes qui semblent ciselées par d’illustres orfèvres peintres.
Nous entamâmes la traversée du village par la voie haute qui mène à la maison de la vieille.
Sur notre chemin, alors que ces montagnes émergent à peine de la terreur la plus aveugle que seul l'homme aveugle est capable de mettre à l'œuvre, à chaque porte restée ouverte, à chaque femme qui vient nous saluer sur notre passage les cheveux aux vents ou revêtues d’un simple foulard pour les plus vieilles, à chaque enfant qui gambade librement, à chaque mot prononcé dans cette gutturale langue, les fronts des convives se creusent et se plissent d'étonnement.
Une question me taraude: est-ce possible qu'on puisse méconnaître à ce point son pays, pour des personnes censées le représenter? Au point de lire beaucoup d'incertitudes dans leur regard.
Et si tout est comme ça dans cette contrée?
Pas anodin, mon montagnard de frère qui se conjugue à "Libre kabylie", comme pour affirmer une double et naturelle légitime rébellion.
Dès lors, « Libre Kabylie » ne signifie plus une quelconque volonté de détachement mais un droit atavique et authentique à la fronde! Comme cette feuille rebelle qui,
À l'heure courtisane
Où explosent les fleurs
Et jasent les cœurs
Du soleil d'hiver,
Une feuille se sépare
De son rameau d’olivier
Toute vêtue de rosée
Aux reflets nacre et vert.
Tel un goéland
Entre ciel et mer
Porté par l’accordéon
D'une valse à mille revers,
Elle plane, elle danse
Esquisse des aquarelles
Défiant d'insouciance
L'appel de la terre.
Va! Vogue la galère
Avec allant, allégresse
Vol plus haut que l'air
Sans peur ni faiblesse,
Vers la voie lactée
Et l'infiniment éclairé
Loin des trous noirs
De notre fade mémoire.
Chevauche la horde sauvage
Formée de crins blancs
Traversant des paysages
Mêlant prairies, jaunes moissons,
Et quand sur le fil de ton voyage
Au crépuscule étincelant
Au bout de ton ivresse en nage
Tu seras prise dans le tourbillon,
Un laboureur et son attelage
T’auraient dressé dans leur sillage
Un lit de mousse tressé
A l’ombre de ton olivier.Youcef Hadbi
Architecte
Portfolio 5 mars 2016
FEUILLE REBELLE
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