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Portfolio 5 mars 2016

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PÉRÉGRINATIONS DU TIRE-BOUCHONS

Ce poème me fut soufflé par une voix off, lors d’un pèlerinage dans ma belle et sublime montagne des phoulologues.

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  1. Illustration 1

     Lors de ma dernière virée dans ma belle et sublime montagne, celle des phoulologues en guise d'offrande aux habitués seigneurs de la dure descente, j'ai choisi de leur offrir deux grands crus au sang rouge et noir.
    Mais, à l'heure fatidique, après moult préparatifs pour faire honneur au divin breuvage,  je demandai solennellement à mon oncle:
    -  Par ici le Tirebouchon!
    - Heuuuuuu… prolongeant le euh comme un tire-fond sans fin. 
    C'est sa marque de fabrique à lui, sa chausse-trappe pour signifier sans le dire. En ajoutant presqu'inaudible: je ne sais plus, je ne sais pas ou alors j'ai oublié...
    - Allons à sa recherche, alors! lui demandais-je.

    Démarra le début d'une longue et rocambolesque traque.
    D'abord dans la maison. Mon oncle commença à tirer sur tout ce qui bouge: les rideaux, les tiroirs, les trappes, les nappes, les dessous de tables, les lits, le tapis de prière revêtu de poussière...en vain. Nul objet qui puisse ressembler à l'exécuteur testamentaire des têtes de bouchons en liège. Tandis que les lieux, passés à tabac, ressemblaient à un champ de bataille tellement l'enjeu était grand.

    Gêné face à l'évidence, il tenta de me rassurer en allant taper chez un honorable voisin. Un instant, il revint accompagné du riverain, mais sans le précieux sésame.
    Le voisin gêné à son tour décida d'aller voir son circonvoisin. Au bout d'un autre instant, le voilà à deux, les mains dans les poches, mine chagrine.

    Le voisin de mon oncle réhabilité, et les nouveaux circonvoisins gênés, prirent à leur tour la résolution d'aller à trois, chacun de son côté, à la recherche de la précieuse clef: le reclus en détention vaut bien une révolution!
    Les voici donc partis, en ordre dispersé, livrer bataille.
    Cette fois, c'était long, bien long…comme le jour du même nom.

    Sur le dernier coup de minuit, les voilà qui reviennent dans le désordre, chacun avec deux autres et d'autres, abattus, mine défaite!
    Ainsi de suite, de voisin en riverain, nous voilà avec tout ce que la montagne pouvait compter de notables suzerains de la descente, mais toujours pas de… tirebouchon: un champ de bataille en ruine.
    Et, c'est ainsi qu'on se retrouva à vingt-sept guerriers et deux canons toujours bouchonnés: une défaite!

    Mystère de mille mystères! Que s'est-il passé dans ce village durant mon absence? Le noble outil de travail, mis à mauvaise contribution, aurait-il succombé lui-aussi aux sirènes des migrations? Ou alors, sont-ce les lieux qui ont subi une profonde et laminaire mutation à tel point qu'il est devenu persona non grata? 

    Pourtant, il fut un temps où ce fidèle compagnon de nos amours et de nos peines, on le promenait en laisse, de peur d'en rater un téton: viens filou, chantons la chanson:

    Du vrille à tonneau de jadis
    A Anna G. De Mendini,
    On l'ajuste, le tourne, le visse
    Pour tirer la quintessence du fruit. 

    Les hommes avaient rivalisé
    De technicité et de créativité:
    À pince, à crémaillère et pignon
    A pompe, à levier, à pneumatique, à palan...

    Des laids, des drôles, des beaux,
    Des frigides, des impétueux, des bénis, 
    Des endurants, des presque mou, des puceaux,
    Des sérieux et des qui vous donnent le tournis.

    Il me vient en mémoire
    Une contrée de fourmis,
    Qui fourmillait de cet accessoire
    Passe au paradis.

    De la  mèche sur le front
    Aux poteaux des constructions,
    L'heure esthétique des révolutions
    Taquinaient la muse de la nation.

    Ainsi, les tiroirs s'animent
    Dès que le tirebouchon festoie,
    Ses frasques sur l'uniforme s'impriment
    Chargés du fumet de ses proies, 

    Au grand bonheur de Dame-jeanne,
    Quand s'introduisant en son sein,
    Truculent amant mélomane
    Il fait Flop! Libère le précieux butin.

    Mille et un arôme explosent et nous cernent
    Envoûtent nos vastes prairies de flagrances,
    De nos joies et de nos peines
    Retint l'ivresse de la délivrance.

    D'aucuns, venu le moment
    À l'heure de la rédemption,
    Le nomment sans discernement
    Queue de cochon pestilentielle.

    D'autres l'accusent de parjurer
    Lui qui n'avait jamais juré,
    En ouvrant prématurément
    Les portes d'entrée du ciel. 

    Mis à l'index, il tire sa révérence
    Quitte le fruit de Dame-Jeanne amère,
    Abandonnant rêves et espérances
    Dans la bouteille jetée à la mer.

    Pauvre tirebouchon
    Qui mena bon train,
    En heureux compagnon
    D'entre nos mains.

    A ses fidèles implorants
    On opposa l'abstinence,
    Aux nouvelles conversions
    On promit de fastueuses noces.

    Gare à vous si par hasard
    Vous êtes surpris,
    Avec des vices en spirale
    Qui vous trottent l'esprit.

    Les fenêtres se font armures
    Les persiennes tremblent sous la peur,
    Les portes s'enferment, les murs murmurent
    Dans le couloir, tu demeures.

    Et, moi qui revenais de loin
    Un jour béni des dieux,
    Un sarment de vigne à la main
    Je refais le tour des lieux,

    Pour dénicher le précieux sésame
    À l'heure de grande sécheresse,
    La soif et le vague à l'âme
    N'ont eu raison de ces forteresses. 

    Sauf un! 
    Celui que tout le monde fuit,
    Le fou de la contrée
    Pour ses redoutables prophéties

    Le répudié 
    Ayant compris ma peine,
    M'emmena d'un pas pressé
    Hors portée des persiennes.

    Il me tendit un drôle d'objet
    Puis s'évanouit sous l'aveuglant soleil.
    A l'ombre de mon olivier,
    Je crie: "Ouvre bouteille!"
    ....
    Et s'ouvrit le ciel!

    ©Yha

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