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Billet de blog 14 mai 2025

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Il y a 90 ans disparaissait le Père du Mouvement LGBTQIA+ à Nice

Le 14 mai 1935 disparaissait à Nice Magnus Hirschfeld, un médecin juif allemand. Homo, drag queen et membre du SPD, il est le père du Mouvement LGBT+. Connu à travers le monde il y a 90 ans, il est méconnu aujourd'hui. Victime du nazisme, une bonne partie de ses études pionnières a fini dans les flammes. Malgré certaines théories revues depuis, son travail reste une référence.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Une du n°119 de l’hebdomadaire français Voilà, publlié par Gallimard (1er juillet 1933). Hirschfeld, est accompagné du Dr Tao Li, son compagnon et disciple de l’époque. Musée Nicéphore Niépce.

Les articles utilisés comme sources sont issus de la presse française des années 1900 à 1930. Hirschfeld étant connu en France à cette époque, et étant mort à Nice, il a eu une visibilité médiatique. Les propos tenus peuvent être considérés LGBTphobes notamment aujourd'hui. 

Le père du mouvement LGBTQIA+

Hirschfeld est né en 1868. En 1897, il crée le Comité Scientifique-Humanitaire, la première association de défense de ceux qu'on appelle alors "homosexuels" notamment.

Le premier objectif d'Hirschfeld est l'abolition du Paragraphe 175, utilisé pour emprisonner des personnes LGBT+. Des propositions de loi pour l'abolir seront même envisagées.

Dans les années 1900-1910, il mène des recherches scientifiques sur celles et ceux qu'on a appelé en France des "homosexuels", "invertis", "anormaux" et "transvestis"*. Certaines de ses actions sont déjà mentionnées voire critiquées par des médias français. En 1907, il est expert dans l'affaire Harden-Eulenburg. 

L'historien Nicolas Le Moigne affirme que « Magnus Hirschfeld [...] contribue ainsi à la fois à la fondation du mouvement d’émancipation homosexuelle et à la psychiatrisation de "l’inversion" ». 

Une figure sous Weimar

En 1919, il défend l'idée d'une république allemande démocratique et socialiste. Le journal français L'Humanité retranscrit un appel qu'il a écrit avec des pacifistes, le journaliste Kurt von Tepper-Laski et la doctoresse en philosophie Helene Stöcker.

Il crée en 1919 son Institut de Sexologie à Berlin. Il participe à des films sur les personnes LGBTQIA+, présentant notamment le Code Napoléonien français comme progressiste comparé au Code Allemand. En 1921, il crée la Ligue mondiale pour la réforme sexuelle, qui a plusieurs branches nationales dans le monde.

Ses recherches pionnières sur les soins transidentitaires, sa défense de l'avortement etc. lui valent d'être "l'homme le plus détesté d'Allemagne". Mais aussi d'être d'être visité par des journalistes français ou mentionné dans des articles. Il aide des personnes trans fançaises, parle d'éducation sexuelle notamment. Helene Stöcker, qui est une figure du féminisme et des droits des homos, travaille à l'institut. 

Banni sous le IIIe Reich

Les Nazis le visaient déjà depuis des années (campagnes de harcèlement, dénigrement, agressions, attentats...). En 1920, il avait même été déclaré mort jusque dans la presse française, suite à une attaque antisémite contre sa conférence.

Mais en 1933, Hirschfeld découvre dans un cinéma parisien ce que le Ministre de la Propagande Joseph Goebbels a prévu : la destruction de son travail par les flammes.

C'est dans le cadre de la campagne contre l'esprit "non-allemand" que des étudiants nazis saccagent son Institut (6 mai) et organisent l'autodafé du 10 mai à Berlin. Des chercheuses et chercheurs affirment qu'Hitler le considérait comme "le Juif le plus dangereux d'Allemagne". Il était classé parmi les 8 auteurs les "plus dangereux" pendant l'autodafé du 10 mai.

L'Amour et la Science

Hirschfeld, grâce à l'insistance de son ancien compagnon, Karl Giese, recrée en avril 1934 un institut à Paris : l'Institut de Psychobiologie. Et la Ligue mondiale pour la réforme sexuelle a installé son siège à Paris.

Cependant, Giese est condamné par la France à l'expulsion pour "outrage public à la pudeur" (comprenez pour "homosexualité" ici) suite à une affaire de bains publics. Conséquence du Code Napoléonien.

C'est le jour de son 67e anniversaire, le 14 mai 1935, qu’Hirschfeld meurt à Nice. Plusieurs docteurs assistent à l'enterrement. Ses héritiers sont Karl Giese et Li Shiu Tong son compagnon de l'époque. Plusieurs médias français font référence à sa vie et ce jusqu'avant la Seconde Guerre mondiale. 

Per scientam ad justitiam ?

Reprises après la guerre, ses recherches permettent le redéveloppement des soins transidentitaires notamment. Harry Benjamin qui l'avait rencontré, en est à l'origine.

Plusieurs théories d'Hirschfeld restent vérifiables encore aujourd'hui. Mais d'autres sont obsolètes. Ses idées eugénistes et racistes limitaient son champ de recherche sur la sexologie.

Des membres des Communautés LGBTQIA+ et féministes ont rejeté le darwinisme social et la psychanalyse. Des pseudosciences que des socialistes, féministes et sexologues ont pu intégrer dans leurs discours. Ce qui crée un flou concernant la défense de la dépénalisation et de l'émancipation face à la pénalisation et la psychiatrisation. Hirschfeld reste, comme le disent les historiennes et historiens, un pionnier.

Notes.

*Les termes "homosexuels", "anormaux", "invertis" et "transvestis"* pouvaient être utilisés pour désigner les homos, les drags, les personnes bi et trans...

*L'eugénisme et le racisme "scientifiques" pouvaient être utilisés par des médecins à l'époque. Des théories revues depuis. Hirschfeld a d'ailleurs écrit un livre parlant du racisme, paru de manière posthume.

*Il est à noter que la psychanalyse est considérée comme une pseudoscience. Mais la sexologie est d'une certaine manière une science désintitutionnalisée. Des livres de Freud, comme d'Hirschfeld, tous deux Juifs, ont été brûlés par les Nazis. La psychanalyse était considérée comme une "science juive" par le régime. Il est possible qu'il en était de même pour la sexologie. 

Per scientam ad justitiam, en français "La justice grâce à la connaissance", est une expression utilisée par Hirschfeld. On la retrouve sur sa tombe à Nice.

Références.

D'Artagnan, Bégous, Sidéris. "La fluidité de genre de l’Antiquité à nos jours. Des faits trans à
toutes les époques". Institut La Boétie.

Laurie Marhoefer. Racism and the Making of Gay Rights: A Sexologist, his Student, and the Empire of Queer Love. 2022. Presses Universitaires de Toronto.

Agathe Bernier-Monod. Les stratégies de communication de l’Institut de Magnus Hirschfeld (1919-1933). Sciences de l’Homme et Société. 2010

Le Moigne, Nicolas, 2005, « L’affaire Eulenburg : homosexualité, pouvoir monarchique et dénonciation publique dans l’Allemagne impériale (1906-1908) », Politix, no 71, p. 83-106.

Sources.

E. Vermeil (réd.). Bulletin de la presse allemande. 14 octobre 1920.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3217333x/f1.item.r=Magnus%20Hirschfeld.zoom

Henri de Weindel et F-P. Fischer. L'homosexualité en Allemagne. La Lanterne. 14 mai 1908.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k7516940c/f2.item.r=Fran%C3%A7ois%20de%20Menthon%20homosexuels.zoom#

"L'Amour et la Science par le Docteur Magnus Hirschfeld, directeur de l'Institut de Sexologie de Berlin". Voilà n°119. Gallimard (1er juillet 1933).

Crips Liliane. Magnus Hirschfeld (1868-1935), un eugéniste social-démocrate. In: L'Homme et la société, N. 87, 1988. La démocratie en défaut. pp. 104-114. https://doi.org/10.3406/homso.1988.3210

Romain Rolland. La Ligue "Nouvelle Patrie" et la Révolution Allemande. Journal L'Humanité. 27 janvier 1919.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2555376/f1.item.r=Magnus%20Hirschfeld.zoom

Edmond Zammert. Extrait d'Archives internationales de neurologie : revue trimestrielle des maladies nerveuses et mentales. 1er mars 1934.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9584326r/f42.image.r=Magnus%20Hirschfeld?rk=450646;0

Louis Charles Royer. À l'Institut. Gringoire. 12 septembre 1930.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4746932h/f2.item.r=Magnus%20Hirschfeld.zoom

La Tribune Juive Paris-Strasbourg. Lettre niçoise / La mort de Magnus Hirschfeld. 31 mai 1935.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k63258335/f10.item.r=Magnus%20Hirschfeld.zoom

Pierre Scize. Aux assises des temps nouveaux. Voilà. N°83. Gallimard. 22 octobre 1932.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bd6t51125292f/f9.item.r=Magnus%20Hirschfeld.zoom

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