"Il est allé parfois tellement loin dans ses comparaisons, qu'il ne se gênait plus de s'aventurer à mettre dans le même sac le Général et ses hommes avec un Général étranger parmi les plus pervers que comptait leur armée, au risque de choquer les survivants parmi les anciens combattants de la Révolution. Un Général qui voulait tout détruire après la défaite de son pays, allant jusqu'à saboter tous les liens d'amitié que les différentes communautés qui peuplaient notre patrie avaient essayé de nouer entre elles. C'est ainsi que lorsqu'il piquait une grande colère à cause des humiliations que lui faisaient subir les hommes du Général, il n'hésitait pas à les qualifier de mercenaires de Satan, un surnom par lequel il désignait le Général étranger. Comme pour les hommes de notre Général, il s'est trouvé beaucoup d'hommes parmi les étrangers, partout dans les villes et les villages, qui partageaient aveuglement sa folie et qui s'étaient mis à sa disposition pour l'aider à accomplir le saccage. Parmi eux se trouvait le propre instituteur de mon père. C’était un ami au petit fils de madame Chambou. Il l'appelait monsieur Serres le vampire. Il m'expliqua un jour l'avoir appelé ainsi, parce que, disait-il :
« Monsieur Serres était instituteur à l'école des garçons d’El Khroub, le jour, et la nuit il se transformait en mercenaire dans l'armée parallèle de l'autre General, qui s'est constituée juste après qu'il s'était rebellé contre sa propre armée, parce qu'il n'avait jamais accepté l'idée de voir les indigènes se réapproprier leurs terres et leur patrie. C'est ainsi que, depuis le cessez le feu, qui fut signé entre leur armée et les combattants de la révolution, qui s'affrontaient depuis plus d’un siècle déjà, monsieur Serres avait constitué son propre groupe de saccage et s'était mis à commettre toutes sortes de sabotages, avec le petit fils de madame Chambou flanqué toujours à ses côtés. Une nuit, son groupe avait ciblé la dernière lueur d'espoir qui restait allumée dans notre village, pour pouvoir contribuer à préserver l'amitié entre toutes les communautés qui vivaient sur nos terres. C’était un groupe d'instituteurs mixtes, composé d'indigènes et de leurs collègues étrangers. Tous des fils de pauvres. Ils se sont mis à se réunir clandestinement tous les soirs dans l'unique librairie du village, pour préparer une grande action de sensibilisation, en espérant parvenir à tisser un lien d'amitié irréversible entre les différentes communautés et les préserver ainsi d'autres tragédies qui viendraient se rajouter à celle que la guerre engendrait déjà par sa cruauté et sa déraison. Cette nuit-là, monsieur Serres avait réussi à s'infiltrer dans la librairie avec son groupe et a surgi en pleine réunion des instituteurs, pour les mitrailler tous, avant de prendre la fuite, les laissant pour morts, gisant dans leur sang, et l'espoir qu'ils avaient fait naître de s'envoler avec eux. Plus personne n'avait réussi depuis à rapprocher les différentes communautés et la tragédie n'avait pu être évitée. Ceux qui avaient pu survivre, étaient obligés de partir, abandonnant leurs morts en se contentant de se réfugier dans la douleur du souvenir. »
C’était ainsi, qu’après le départ des étrangers, les Habitants s’étaient retrouvés face à eux-mêmes, avec l'exacerbation de leurs propres divisions, que notre Général ne manquera pas de reprendre pour son compte. Un autre saccage celui-là, qui ne laissa pas mon père indifférent, pour trouver autant de similitudes en nuisance contre les Habitants, entre l'armée du Général et celle des étrangers. Un saccage qui a été jusqu'à détruire tout ce qui pouvait constituer un socle de solidarité sur lequel ils pouvaient construire leur vie commune. Celui-ci a été travesti par un grossier mensonge que le Général importa d’Orient, de chez ces mêmes conquérants arabes qui avaient autrefois imposé par la force des armes à nos ancêtres leur religion, leur langue et leurs mœurs. Balayant d’un revers de la main leur résistance opiniâtre, qui s'était déroulée aussi longtemps dans le temps et dont les échos étaient parvenus jusque dans le cœur des combattants de la Révolution. Effaçant de la mémoire des Habitants toute la richesse qu’ils avaient accumulée au détriment des invasions étrangères contre notre patrie depuis toujours et qui avait continué jusqu’au départ des tout derniers. Faisant d’eux des hères sans repères, après avoir effacé de leur mémoire le souvenir des ancêtres, pour leur imposer celle des conquérants venus d’Orient et faire de nos plus anciens martyrs des traîtres à la patrie. Exactement comme si on transposant ces faits dans la guerre qui opposa les combattants de la Révolution aux derniers occupants, à supposer qu’ils avaient annexé définitivement notre patrie, et qu’ils avaient réussi à faire de nous des Gaulois, comme ils le prétendaient, on les aurait considérés comme des authentiques patriotes, y compris les harkis qui s’étaient joints à leur barbarie, et les combattants de la Révolution comme des traîtres ! Mon père n’avait jamais caché son dégoût pour ce grossier mensonge. Outre ce saccage, les hommes du Général en charge de l'état civil, trouvaient même le culot de priver les Habitants d'attribuer des prénoms de ces héros des temps anciens à leurs enfants. Son dégoût allait encore plus pour l’escamotage de la richesse humaine des Habitants, qui se mesure à son fort taux de métissage, qui fait de notre patrie l'un des plus hauts lieux de confluence des hommes de la terre depuis l'antiquité et même bien avant. Au plus, les Arabes de souche, auxquels le Général s’entêtait à assimiler les Habitants, se trouvaient surtout au commandement de leurs armées conquérantes, secondées par des hordes de mercenaires à qui était promise une part de butin des razzias, qu'elles entreprenaient systématiquement sur leurs passages destructeurs et meurtriers."