Comme tout article qui transgresse la ligne rouge, qui consiste à ne pas dénoncer l'imbrication de la dictature, des médias et de la corruption en Algérie, il tombe sous la sentence de la censure ! En effet, cet article a été proposé à plusieurs journaux algériens qui ont pignon sur rue et qui sont chargés de relayer la propagande de la dictature militaire contre une rémunération sous forme de publicité et toutes sortes de passe droit, octroyée généreusement par l'oligarchie mafieuse de la dictature algérienne, qui se sont tous abstenus de le publier, alors qu'ils ne cessent de publier des articles sur le même sujet sans aller au fond des questions qui y sont soulevées, tout en se gardant de ne pas dénoncer les impostures successives constitutives de la propagande de la véritable nature de la dictature, de l'implication directe des généraux dans le vaste réseau de corruption qui gangrène la société et dont les dernières en date sont celles de la "réforme du secteur de la santé et celui de l'éducation nationale," dont traite le sujet de cet article !
Benghebrit, une imposture au-dessus de tout soupçon !
08 AOÛT 2015 | PAR YOUSSEF BENZATAT
À chaque fois que la dictature militaire s’est retrouvée dénudée face au paroxysme du mécontentement de la société civile, la stratégie qu’elle a dû adopter pour calmer les esprits surchauffés a été de répondre par l’imposture. La dernière en date fut la nomination de Nouria Benghebrit à la tête de l’éducation nationale !
Le recours à l’imposture a été de tout temps le cheval de bataille des décideurs de la dictature algérienne, monté de toutes pièces pour une clientèle intéressée à divers degrés. Allant du personnel politique chargé de gérer la façade d’un gouvernement civil, de partis politiques jouant sournoisement le rôle de l’opposition, aux médias assurant le rôle de relais de la propagande concoctée dans les laboratoires du système.
Dès l’instant fondateur de ce régime dictatorial en 1965, que l’on pourra faire remonter plus loin encore, à savoir depuis la prise du pouvoir illégitime par l’armée des frontières, ses décideurs avaient déjà inauguré l’imposture comme mode de communication. Depuis ce moment fondateur, cette stratégie s’est systématisée, allant se perfectionnant jusqu’à devenir une rhétorique de justification. C’était déjà l’imposture du coup d’état de 1965, par la justification du « redressement révolutionnaire », qui fixait comme objectif dans sa rhétorique l’édification d’une « République Algérienne Démocratique et Populaire », pour déboucher au final sur une dictature militaire des plus liberticides et des plus répressives.
À chacune de ses étapes, et à chacun des grands dangers qui viennent la menacer, il fallait sortir les gros moyens. C’était aussi le slogan qu’elle a adopté au moment de la transition Boumediene Chadli : « L’homme qu’il faut à la place qu’il faut » ! L’imposture devrait être au-dessus de tout soupçon ! Mais à chaque fois elle était trahie par les termes mêmes de son énonciation, qui résonnaient comme le retour d’un refoulé : le souci de la préservation du système de pouvoir en s’appuyant sur des hommes sûrs du sérail. Comme il fallait s’y attendre on a eu droit à une libéralisation économique sauvage, sans aucun souci de rationalisation, ni objectifs d’intégration économique, mais seulement l’émergence d’un système clanique qui a instauré la corruption comme mode de gouvernance, en abandonnant la société à elle-même.
Si à l’époque de Chadli on avait placé aux postes de responsabilité les hommes qu’il fallait aux places qu’il fallait, pour préserver la dictature et pour que rien ne change, tout en annonçant le contraire, on fera de même en 1992, en mettant fin au processus démocratique pour le même objectif. Car, sous prétexte d’éradication du terrorisme islamiste, ce ne fut pas seulement le processus électoral qui fut suspendu, mais tout le processus démocratique qui fut annulé. On chercha alors « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut » ! Il fallait se tromper deux fois de suite avec Mohamed Boudiaf et Liamine Zeroual pour finir par trouver l’homme de la situation en la personne d’Abdelaziz Bouteflika. Car ce dernier a toujours représenté, parmi les hommes du sérail, celui qui incarne à la perfection le statut d’imposteur, depuis qu’il a été mandaté par l’Etat-Major de l’armée des frontières à aller chercher l’homme qu’il falait parmi les responsables du FLN faits prisonniers en France pour préparer le coup d’Etat au GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) en 1962.
Il fallait s’y attendre, qu’avec un homme qui respire l’imposture, d’assister à la dérive de la dictature militaire en un véritable système de prédation intégré, n’épargnant aucune institution au passage. La justice qui s’est transformée en une machine de blanchiment de la corruption et de toute autre forme de criminalité. L’école devenue une voie de garage produisant des chômeurs « analphabètes » par millions. Le système de santé qui tombe en ruine, abandonnant sans soins des pans entiers de la population, et l’on pourra dire cela de tous les autres secteurs de la société.
Aujourd’hui, la dictature militaire n’a jamais été aussi menacée depuis son coup d’Etat de 1962. D’une part, elle doit faire face à une pression sans précédent de la part des puissances impérialistes, et de l’autre, elle doit contenir le mécontentement exacerbé de la société civile, qu’alimentent ses dérives qui s’apparentent à la limite de la terre brulée, à défaut de proposer une sortie de crise épargnant son hégémonie sur la société.
Il lui fallait donc réagir énergiquement pour tenter d’éteindre les deux grands foyers de l’incendie qui se profile et qui risquerait d’emporter son pouvoir. En effet, parmi les secteurs les plus affectés par l’exacerbation de ce mécontentement, on trouve celui de l’éducation nationale et celui du système de santé, où le mécontentement de la population s’est installé dans la durée, allant de plus en plus vers le paroxysme de son exacerbation.
Pour ce qui est de la crise que connaît le système de santé, l’imposture a été d’un niveau de grossièreté jamais égalé ! Dans un premier temps ce fut une équipe de la télévision publique, ENTV, qui fut mandatée pour aller réaliser un reportage sur l’état catastrophique de la maternité de Constantine. Une première dans les annales des voies de propagande du système, habituées à réaliser sur commande des reportages apologétiques sur des réalisations d’infrastructures et de services sociaux imaginaires. L’objectif de cette imposture, qui était de donner en pâture à la vindicte populaire quelques lampistes chargés de la gestion de ce service, pour faire apparaître ensuite le ministre de la santé dans une posture de bonne volonté à assainir ce secteur de santé publique en ruine, était tellement grossier que l’opinion publique, à travers les réseaux sociaux, n’hésitera pas à pousser son humour jusqu’à l’absurde, en accusant l’ENTV de trahison et en demandant la tête de ses responsables. Au-delà de cet humour sarcastique, l’opinion publique reste convaincue qu’il ne s’agit que d’effets d’annonce dans l’objectif de repousser au plus loin possible l’explosion sociale qui se profile. Car ce n’est pas maintenant qu’il fallait se décider à assainir ce secteur, fatalement cela peut paraître même un peu trop tard, au regard de l’état avancé de la dégradation de celui-ci à l’échelle nationale et des moyens financiers qui viennent à manquer pour le réaliser. Il aurait fallu certainement agir avant d’avoir dilapidé près de 1000 milliards de dollars, partis en fumée dans un gigantesque réseau de corruption organisé et concerté par ces mêmes décideurs, alors que le baril de pétrole connait aujourd’hui un niveau qui ne peut même pas faire face à l’importation des denrées essentielles nécessaires à l’alimentation de près de 40 millions de bouches.
Concernant le secteur de l’éducation nationale, marqué par ses résultats catastrophiques, et qui ne cesse de provoquer l’indignation et la révolte de ses syndicats autonomes, menaçant de s’installer dans un mouvement de grève illimitée, pouvant dégénérer en une forme de désobéissance civile, avait donné l’alerte aux décideurs sur les dangers émanant de cette situation, qui risquait de venir menacer sérieusement leur pouvoir par effet de contamination des autres secteurs. Il fallait aussi réagir dans ce cas énergiquement, non pas pour sauver l’école, mais plutôt pour sauver leur pouvoir. Encore une fois, il fallait trouver « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut » ! Ce fut une femme cette fois-ci, en la personne de Nouria Benghebrit, bardée de diplômes et la mine traduisant sans aucun doute une femme émancipée des conservatismes qui sont à la base des échecs qui minent ce secteur, et dont les intentions affichées portent sur sa réforme depuis la petite enfance. Assez convainquant aux yeux des incrédules, ceux qui n’y croient pas en la volonté du pouvoir pour « sauver » ce secteur de la catastrophe. Mais sitôt l’imposture fut trahie par les sorties médiatiques intempestives de Nouria Benghebrit à travers l’ambivalence de sa rhétorique de justification. Annonçant d’une part, la nécessité d’introduction de la langue maternelle, derdja, au niveau du préscolaire, pour faciliter l’acquisition de la langue arabe, pour sitôt nier sa légitimité en affirmant que la langue arabe reste la langue de l’enseignement, en prenant à témoin la Constitution et la loi d’orientation ! S’attaquer de la sorte à la langue de l’enseignement n’a pas seulement réussi à semer la confusion et diviser la société en pro et anti derdja, mais a surtout réveillé le clivage qui la mine autour de la crise identitaire. Alors qu’il aurait fallu commencer d’abord par régler cette crise structurelle, véritable obstacle à la constitution de tout consensus, par une refondation de l’Etat, avant de s’attaquer à la réforme de ses institutions. Il s’agit en apparence d’une première victoire de l’imposture improvisée, par l’instrumentalisation de la crise identitaire, une fois de plus, qui est en passe de réaliser ses objectifs : la division de la société et la neutralisation de la dynamique de contestation qui s’est installée autour des syndicats autonomes du secteur. D'autant que la ministre avait affiché ouvertement son intention de s'attaquer au droit de grève, pour empêcher sa tenue dans une durée illimitée. Pour leur part les syndicats ont déjà entamés les divisions entre pro et anti derdja à l’école ! Par ailleurs, par une minutieuse et subtile médiatisation de cette imposture par ses relais, qui s’étaient engouffrés en masse pour distiller sa propagande, chacun dans son rôle, en propageant l’idée que les réformes qu’elle est en train d’accomplir sont d’ordre scientifique et non d’ordre idéologique ! Une autre façon de « tromper la société », car les réformes scientifiques devraient commencer au préalable par supprimer la morale religieuse et la remplacer par la morale laïque, pour permettre l’annulation à la référence au créationnisme et libérée de l’emprise religieuse pour lui substituer une recherche scientifique sur des fondements expérimentaux. Les décideurs avaient réussi encore une fois à faire croire à l’enclenchement d’une véritable dynamique de réforme de l’éducation publique, en réussissant à reléguer au deuxième plan la revendication de sa refondation et noyer tout consensus autour de la contestation de la refondation préalable de l’État lui-même. L’imposture de Nouria Benghebrit est en passe de se réaliser au-dessus de tout soupçon.
PS : Voir le fil des commentaires sur l'article d'origine ou plusieus articles et déclarations sont publiés et qui viennent étayer un peu plus le sujet.
http://blogs.mediapart.fr/blog/youssef-benzatat/080815/benghebrit-une-imposture-au-dessus-de-tout-soupcon