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Billet de blog 14 janvier 2017

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Yennayer 2967 une imposture berbériste

L’on comprend que pour les besoins de notre développement culturel nous devons réhabiliter notre patrimoine, nos valeurs, notre identité, notre histoire, mais que cela ne les pervertisse pas au profit d’une idéologie sur mesure destinée à servir les intérêts d’un groupe au détriment de celui des autres. Oui pour Yennayer comme fête nationale, mais sans récupération, ni perversion,

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C’est dans l’effervescence du mouvement culturel berbère (MCB), au tournant des années 1980, que le militant chaoui Amar Neggadi, membre de l'Académie berbère de Paris, inventa le calendrier berbère. Du moins selon les dires de la majorité des berbéristes. Car, pour des considérations régionalistes, certains lui contestent cette paternité ! Mais les ambitions de ce mouvement ethnico-conservateur étaient déjà en gestation bien avant l’indépendance nationale et se cristallisèrent dans ce que les historiens qualifieront de crise berbériste. Celle-ci s'étalera tout le long de la préparation du déclenchement de la révolution de 1954, sans jamais faiblir jusqu’à son explosion les années 1980. On connait la suite. Aujourd’hui, les plus zélés parmi les militants de ce mouvement ethnico-conservateur ils vont jusqu’à demander l’épuration ethnico-culturelle des Algériens, voir leur séparation tout court, allant jusqu’à la revendication de la partition du territoire national ! 

Comme pour toute idéologie, qu’elle soit politique ou religieuse, pour s’affirmer elle doit se doter d’un système de référents pour assoir sa structuration. Pour ce faire elle doit recourir à toute sortes de symboles, de mythes, de rituels déjà existants dans son environnement culturel et les réinterpréter à des fins de réappropriation pour assoir sa légitimation. Si l’archéologie religieuse est parvenue à nous expliquer comment les rites païens sont réinterprétés et appropriés par les religions monothéistes pour leurs besoins, cette méthode est toute indiquée pour nous éclairer sur les moyens mis en œuvre par les militants berbéristes pour opérer le choix du début du calendrier berbère et ses origines. Prenons comme exemple la Kaaba. Ce que dit la construction mythologique religieuse musulmane, ce serait Ibrahim qui l’aurait construite sur injonction du Dieu. Alors que l’archéologie des religions nous enseigne que la construction de la Kaaba fut un long processus qui résulta d’une série de facteurs qui se sont enchainés tout le long de sa cristallisation, jusqu’à son appropriation par le pouvoir politico-religieux musulman naissant. En substance, l’archéologie religieuse nous enseigne que ce sont les pratiques païennes des tribus nomades arabes qui ont présidé à son édification. Ces derniers étaient connus pour avoir comme dieu protecteur, pour chaque tente, une pierre noire, censé abriter « RAB EL BEYT » qu’ils transportaient au gré de leur pérégrinations dans le désert et qu’ils disposaient non loin de leur tente à chacune de leurs haltes. Au moment de leur sédentarisation à la Mecque une pierre fut disposée à l’emplacement actuel de la Kaaba et fut entourées d’un muret, afin d’éviter que les animaux plus nombreux ne pénètrent dans ce lieu sacré. Ce muret n’a cessé de s’élever à partir de ce moment, car en plus des animaux, la Mecque se trouvant dans une vallée, sujet à des crues épisodiques, le besoin se faisait de plus en plus d’élever ce muret afin d’éviter que la pierre protectrice ne soit emportée par le torrent de boue que les crues successives déversaient. Cette pierre est enchâssée aujourd’hui dans l’un des angles de la Kaaba.

Amar Neggadi va opérer de la même manière que l’ont fait les constructions mythologiques religieuses pour assoir la légitimation du choix du début du calendrier berbère. Il a donc choisi une référence historique, celle de l'intronisation de Sheshonq 1er , un pharaon d’origine berbère et fondateur de la XXIIe dynastie. De la date de cette intronisation il en fera le début du calendrier berbère, soit 950 avant Jésus-Christ, ce qui nous situera aujourd’hui en 2967. Il ne lui restait qu’à l’associer à une fête païenne locale, dont personne n’est en mesure aujourd’hui de dire scientifiquement ses origines, ni sa signification, en l’occurrence la célébration par les Algériens vers les 9 et 10 janvier de chaque nouvel an de ce qu’ils nomment communément, d’Est en Ouest, du Sud au Nord : Yennayer.

Amar Neggadi et l’académie berbère de Paris semblent donc s’appuyer sur le fait, tout à fait farfelu, que les Algériens fêtent Yennayer en célébration de la prise du pouvoir en Egypte de l’un de leurs ancêtres Amazighes, qui aurait selon eux battu Ramsès III à Beninesnouss avant de partir à la conquête de l’Egypte, pour y fonder la XXIIe dynastie, une dynastie amazighe, dont l’avènement mérite d’être pris comme référence à l’établissement du calendrier berbère !

Comme pour les constructions idéologiques religieuses, l’académie berbère de Paris semble ne pas tenir compte de la réalité historique telle que produite par les historiens. En fait, selon les livres d’histoire, Sheshonq n’a jamais battu Ramses III, ni que ce dernier soit parvenu jusqu’à Beninesnous, encore moins que notre héros imaginaire ne soit parti à la conquête de l’Egypte à partir des terres algériennes. Cette victoire sur Ramses III ne pouvait même pas se produire, car ce Pharaon est tout simplement mort deux siècles avant l’intronisation de notre héros national.  Il est largement décrit dans les livres d’histoire en tant que militaire au service du Pharaon. Sheshonq était général dans les armées égyptiennes et à la mort du Pharaon c’était l’homme le plus puissant, et le pouvoir lui revenait par la force. C’est ainsi qu’il fonda une dynastie égyptienne, qui n’a rien à voir avec une quelconque dynastie amazighe. Il est certes d’origine amazighe, mais ses parents et grands-parents, voire depuis plusieurs générations, ses ascendants sont établis en Egypte et complètement égyptianisés.

L’on comprend que pour les besoins de notre développement culturel nous devons réhabiliter notre patrimoine, nos valeurs, notre identité, notre histoire, mais que cela ne les pervertisse pas au profit d’une idéologie sur mesure destinée à servir les intérêts d’un groupe au détriment de celui des autres. Oui pour Yennayer comme fête nationale, mais sans récupération, ni perversion, plutôt laisser la porte ouverte aux jeunes chercheurs pour aller le plus loin dans l’explication de ses origines et son sens, à l’image du Crasc d’Oran et beaucoup d’autres.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.