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Je suis le tranchant du verbe qui cisaille les moeurs

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Billet de blog 22 mars 2023

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Parce que c'est notre rejet

On se rassemble partout en France, parce que cette tyrannie de la minorité sur la majorité est insupportable, parce que ce 49.3 nous reste en travers de la gorge. On manque de s’étouffer quand on entend que « la foule » n’a pas de « légitimité » face aux élus. La démocratie = on vote tous les cinq ans et on se tait ? Jetons un pavé dans la mare, cela fait monter le niveau.

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–      Parce que c’est notre rejet –

Le sort du gouvernement tient à seulement 9 voix, et pourtant, qu’à cela ne tienne : ni dissolution, ni remaniement, ni référendum, tout va bien madame la marquise, changeons seulement de méthode. Borne reste bornée, Macron inflexible, droit dans ses bottes au milieu des ordures apportées par le ressac de sa politique. Si le philosophe Castoriadis prêchait que l’Europe se caractérisait par sa capacité d’autocritique, le président, pourtant fier Européen, s’illustre tristement par son intransigeance qui confine à l’idiotie : on ne capitule pas, c’est à cela qu’on reconnaît un homme qui en a. Ding dong, pour qui sonne le glas ? Là-haut, sur les champs élyséens, on reste sourd… Après tout, il n’a plus rien à perdre, deux mandats en poche, à la cinquantaine fringante, Macron trouvera aisément, lui, à se recaser dans une organisation internationale, ou une holding de gros calibre, tiens pourquoi pas dans une société financière privée, spécialisée dans l’assurance retraite, ce marché prometteur que lui a susurré BlackRock à l’oreille. C’est le gouvernement qui se barricade ; le pouvoir doit s'exercer, vertical, quitte à écraser, et pas que les black blocks.

Depuis le vote de la loi, malgré des mobilisations monstres, des sondages qui assènent tous, que non, non et encore non, nous n’en voulons pas, on se rassemble partout en France, parce que c’est notre rejet, parce que cette tyrannie de la minorité sur la majorité est insupportable, parce que ce 49.3 nous reste en travers de la gorge. On manque de s’étouffer, alors, quand on entend que « la foule » n’a pas de « légitimité » face aux élus… Quoi ? On nous ressortirait, encore, cette vieille antienne de la psychologie des foules, aveugles, ignares, dangereuses ?

M. le Président, vous avez la mémoire courte quand ça vous arrange, n’est-ce pas vous qui déclariez, le soir de votre élection « ce vote m’oblige pour les années à venir » ? Beaucoup, en plissant le nez de dégoût, ont mis votre bulletin dans l’urne pour un énième barrage dont on sentait, sourdement, qu’il ne repoussait l’extrême-droite que pour mieux lui ouvrir la route. Les derniers mois n’ont fait que confirmer cela : vous créez la tempête brune que vous prétendez combattre. Après moi le Déluge ! semble être votre seule devise.

La démocratie = on vote tous les cinq ans et on se tait ? Permettez-nous de jeter un pavé dans la mare, on sait bien que cela fait monter le niveau. Ce qui est appelé démocratie dans toutes ces prises de parole désigne en réalité un régime représentatif hautement imparfait, à sans cesse remettre en question pour que, justement, les principes démocratiques s’exercent, et les institutions de Ve République nous paraissent, n’en finissent pas de nous paraître rouillées. Ce sont elles qui sont urgemment à réformer. Nous voulons un grand aggiornamento, et vous préférez nous plonger dans l’obscurité – notre devoir est donc d’allumer le feu.

Car ce qui provoque « la crise du gouvernement démocratique n’est rien d’autre que l’intensité de la vie démocratique », comme le rappelle Jacques Rancière dans La Haine de la démocratie. Vous opposez la rue et les Chambres ; or notre histoire, notre sang, notre ADN nous le rappellent : la politique se fait, aussi, sur nos places, dans nos avenues, les murs le proclament : « tu nous 49.3, on te refait 1789 ». Les Françaises & Français rassemblées par une même colère font au contraire honneur à leur pays et à son héritage.

Le président a la haine, en réalité, du « gouvernement de n’importe qui ». Il y aurait tout le peuple dans la rue qu’il continuerait à dire non pas « je vous compris », mais qu’il sait mieux que lui. Il faut juste encore faire preuve de pédagogie…quitte à utiliser coups de bâton, tirs LBD, et autres nassages, vraiment, ça ne veut décidément pas rentrer, foutus Gaulois réfractaires… Une seule chose vous effraie, un petit goût de déjà-vu : le fond de l’air est jaune… ça fait mauvaise presse chez les partisans de l’ordre et du progrès, même si la barricade fait, après tout, partie du folklore local.

Alors on réquisitionne, on arrête, on brutalise la jeunesse, on veut lui faire peur, on la met à genou, un pays qui se tient sage, voilà ce que l’on veut. On s’est trop habitué à ses scènes sanglantes, à ses hordes bleues marines suréquipées qui accompagnent chaque cortège, bien sûr j’entends déjà, la violence est partagée, les débordements courants, les forces de l’ordre à bout, mais la responsabilité n’est-elle pas de prôner la désescalade plutôt que de souffler sur les braises du discrédit ?

N’oublions pas l’affaire Benalla, n’oublions pas la répression des Gilets Jaunes, et désormais votre mépris écœurant envers les présentes mobilisations : toutes ces dernières années auront été celles du bruit et de la fureur, d’un pays sous tension qui ne supporte pas la vision du monde qu’on cherche à lui imposer. On entend la même propagande des chantres néolibéraux depuis des mois, sur les chaînes publiques comme privées : cette réforme est nécessaire, on vit plus longtemps, nos partenaires européens travaillent jusqu’à 67 ans, ce n’est pas Germinal, et même, sur France Culture, un billet politique qui comparait cet attachement mordicus de la population à la retraite à 60 (62) ans comme l’équivalent sécularisé du Paradis sur Terre…Un tel attachement relèverait alors d'une religiosité un peu rance, qu’il faudrait encore combattre en allumant nos Lumières, cette croyance eschatologique d’un autre âge s’opposant à la froide raison qui assène qu’il faut travailler plus, quoi qu’il en coûte (de misère, de maladie, de souffrance) – c’est la seule (sans) issue. Vision monolithique, obtuse, péremptoire de cette dictature du « réalisme capitaliste » (Mark Fisher) à laquelle on pourrait pourtant opposer point par point d’autres perspectives, pour faire entrer une nouvelle lumière ; nous avons désespérément besoin de matins clairs.

Car « 49.3 », en plus de renvoyer à une arme autoritaire du « parlementarisme rationalisé », seront les chiffres qui s’afficheront sur les thermomètres de nos étés à venir. Un nouveau rapport du GIEC vient de tomber, encore et encore, dans un bruit mat, sans produire l’écho qu’il devrait. On lui vole la vedette. Or, dans les deux cas, réforme des retraites comme alarmes climatiques, c’est notre avenir qui est attaqué. Plutôt que de vouloir copier les autres, être de banals suiveurs sur une voie mortifère, qu’il serait galvanisant de vivre dans un pays prônant un green new deal, aux avants postes d’un changement de société comme il l’a été précédemment, ouvrant un horizon, essaimant d’autres pratiques, projets, idées !

Mégabassines, superprofits, répression policière, régression politique : parce que c’est notre rejet. Le monde de Renaissance est condamné à mourir, qu’il ne nous entraîne pas avec lui. Ce qui nous soulève : un vent contraire, pour partager l’intelligence, le courage, la joie.

Demain dans la rue, ailleurs, partout.

Restons en mouvement – soyons ingouvernables – bifurquons. 

Illustration 1
La charge, Félix Valloton / Crédits : © Centre Pompidou/ MNAM/ Pierre Guenat, Besançon

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