J'ai lu, parmi les commentaires sous mon billet sur la contre-révolutionnaire Le Pen, quelques cris d'orfraie à propos de ma critique du parlementarisme. J'aurais aimé que ces défenseurs d'un système à bout de souffle (mais qui peut durer encore, ce qui pourrit le climat politique) avancent au moins quelques arguments pour défendre la forme actuelle de l'Etat, les élections, les droits des gens bafoués une fois que lesdites élections ont eu lieu, etc. Mais, las...
Il y a, et c'est heureux, un relatif consensus parmi "la gauche" hors P"S" (l'idée de "gauche" est discutable mais c'est une autre question), pour dénoncer la passion de l'inégalité du Parti des Ténèbres, parti qui renoue avec la logique d'Ancien régime en recréant une aristocratie (et ce au mépris du réel des gens, du peuple et de la vie réelle aussi des habitants de ce pays), à ceci près que cette aristocratie (à laquelle, donc, on octroie des droits particuliers) n'est plus sociale (les nobles vs les "ignobles") mais raciale (c'est cela qu'il faut traiter, plutôt que de biffer le mot race de la Constitution) avant d'être sociale (ce sont surtout les étrangers pauvres que l'Etat persécute). En cela, précisément, le FN est l'héritier du courant politique qui n'a jamais digéré la fin de la royauté et qui, toujours, a préféré abaisser la France que de renoncer à ses jouissances amères. Il faut bien voir que la clique Le Pen et son parti sont les héritiers du Comte d'Artois, des planteurs de Saint-Domingue et des fantoches de 1815. Ils sont de toute éternité la France qui pue.
Le souci, et c'est en cela que le parlementarisme français est à incriminer, c'est que le succès rencontré par les fantoches haineux du Front fort mal nommé national (quand ont-ils défendu la nation, ces gens-là ? Jamais !) n'a été possible que parce que les autres courants du parlementarisme ont fait le lit d'une telle dérive. Et ce n'est pas un atavisme maoïste que de soutenir cela ! Les faits sont têtus, depuis plus de 30 ans. Aucun parti pouvant prétendre au pouvoir n'a jamais oeuvré pour la paix civile et la reconnaissance de l'égalité entre tous ceux qui vivent ici sans distinction d'origine, de lieux de naissance, de religion, etc. !
L'histoire de la proscription par l'Etat d'une partie du peuple de ce pays peut-être facilement retracée. La droite a sa part, bien évidemment, mais la gauche aussi ! Et sur les délires laïcards islamophobes, la gauche a un rôle historique puisque les premières déclarations de stigmatisation d'ouvriers au nom de leur religion furent le fait de MM. Defferre et Mauroy au moment des grèves de 1983-84 dans l'industrie automobile (voir ici).
Depuis Pompidou jusqu'à aujourd'hui, le consensus parlementaire n'a cessé de diviser le peuple d'ici autour d'un prétendu problème immigré (voir ici, le rapide historique du Gisti). Que je sache, en 1972 (ou en 1974), le FN était groupusculaire (0,74 % au premier tour des Présidentielles de 1974) à tel point que c'était l'extrême gauche qui tenait le haut du pavé de la subjectivité politique de ce pays - ce qui, on peut en convenir, rendait l'air mille fois plus respirable !
Les succès électoraux du F"N" viennent après le consensus xénophobe parlementaire parce qu'ils en sont le fruit. Et si le PS a fait une pause dans cette surenchère en 1981-82 avec la régularisation des sans-papiers, l'accalmie fut de courte durée puisque rapidement, par exemple, M. Fabius aura cette formule célèbre "M. Le Pen pose les bonnes questions" (Et Pétain, posait-il aussi les bonnes questions ?).
La liste des ignominies proférées par nos parlementaires respectables contre une fraction des gens de ce pays (les étrangers pauvres et/ou musulmans, en gros) est longue comme le bras. Pensons au "bruit et l'odeur" de Chirac, à "l'immigration-invasion" de Giscard, au "problème immigré" du PCF repris par Mitterrand jusqu'aux "ennemis intérieurs" de Valls à propos des islamistes supposés (on a vu le flic socialiste moins virulent contre Civitas). Cet égoût discursif creusé par nos "grands" partis est fourni comme le montre ce bon historique (là).
Ce discours parlementaire est la pierre angulaire du climat détestable qui semble se renforcer. Ce n'est, hélas, pas le Front national qui a légitimé la xénophobie ambiante. Le Parti des Ténèbres, comme dit Jacques Roubaud, n'a fait qu'extrêmiser ce consensus-là. Il faut dire que ce consensus est pratique pour le système parlementaire : immigré vient biffer ouvrier ; quant aux "ouvriers français", ils voteraient Le Pen. C'est faire d'une pierre deux coups.
Un des enjeux principaux de la politique aujourd'hui pour quiconque se dit du côté de l'émancipation est donc, contre vents et marées putrides, d'affirmer contre le consensus parlementaire lepénisé qu'il n'y a pas de problème immigré pour la raison que quiconque vit ici est d'ici.