J'ai 35 ans, bientôt 36. Je suis donc d'une génération dépolitisée sauf que, comme mes parents étaient de valeureux militants maoïstes jusque dans les années 1980, j'ai échappé aux ravages du mitterrandisme et à son opiniâtre volonté de dépolitisation générale.
Ecolier, je faisais de l'allemand et comme je m'intéressais, très jeune, à la politique et à l'histoire, je me suis débrouillé pour aller en RDA. C'était il y a 20 ans, plus exactement en juillet 1989. On ne se rend pas bien compte mais en juillet de cette année-là, le château de cartes ne montrait que peu de faiblesses puisque l'exode de milliers d'est-Allemands via la Hongrie commença réellement en août 1989.
J'avais 15 ans, avais été agacé par certains aspects de la RDA - l'omniprésence de la police, par ex. - mais, pris dans le voyage officiel France-RDA, avais été en partie séduit. Après tout, comme dans une colonie lambda, je m'étais fait des amis de rejetons de membres du Parti...
Rétrospectivement, je ne trouve pas que la RDA d'alors fût pire que la France (celle d'aujourd'hui, du reste, est pire que feu la RDA). Les gens avaient du travail, les consultations médicales étaient gratuites, l'école - pour tous - était vraiment synonyme d'instruction et les salariés ne se suicidaient pas au travail.
Certes, la chute du Mur entraîna celle de la Stasi mais après tout, pour les sans-papiers vivant en France, je n'affirmerais pas que Hortefeux est très différent du chef de cette police-là.
Surtout, après 20 ans de monde unipolaire sous l'égide des USA et de l'Occident en général, je ne vois vraiment pas ce qu'il y a à fêter pour l'anniversaire de la chute du Mur. Le taux de chômage à Francfort sur Oder ? La guerre sans fin menée par les USA et leurs valets contre le Moyen-Orient et plus généralement contre des musulmans proclamés, au moins implicitement, ennemis publics ?
La liberté pour les peuples d'Europe de l'Est, hormis les bananes livrées en novembre 1989 et en grande quantité, que fut-ce d'autre que la liberté du renard dans le poulailler ? Quoi de positif ? Quel fait politique peut-on saluer ? Du côté du peuple, il y eut, en France, Décembre 1995 et Saint-Bernard en 1996, mais depuis ? Et à l'Est, quid des espoirs et des aspirations des ouvriers militants de Solidarnosc en Pologne ? Quid des aspirations des militants de Neues Forum et des manifestants de Leipzig ? Quand ceux-ci ont à nouveau manifesté en 2004 contre la Loi Hartz 4, concoctée par Schröder et le patron de Volkswagen, il n'y avait bizarrement plus aucun média pour les entendre, les questionner...
Même la guerre en Afghanistan continue.
J'avais donc 15 ans, presque 16. Je me souviens que la thématique de la mort du communisme se portait comme un charme, qu'elle était prisée chez les renégats de tout poil et chez les plumitifs de Libé en particulier, eux qui furent de toutes les modes, du maoïsme au sarkozysme en passant par les courbettes devant Mitterrand. Cette idée du communisme disparu m'étreignait et me faisait penser, même, à ces paroles d'Apollinaire dans Zone : l'angoisse de l'amour te serre le gosier / Comme si tu ne devais jamais plus être aimé. Que l'idée de justice, d'égalité, de Tout-pour-tous puisse, comme cela, être jetée au feu sous les rires et les sarcasmes me faisait frémir. Je me disais : - Et il va falloir vivre dans ce monde-là ?
Je me suis senti terriblement romantique, à la Musset, né trop tard dans un monde trop vieux. Je me souviens d'ailleurs que vers cette époque, un film d'Eric Rochant, Un monde sans pitié, traitait de cette question avec le personnage d'Halpern, joué par Yvan Attal, disant à de futurs cadres de la bourgeoisie qu'au constat de la mort des utopies, "c'est toutes les larmes de [leurs] corps, qu'[ils devraient] pleurer". Au fond, cette nécessaire solitude a été un vrai baptême politique.
Finalement, même si la réaction a repris de l'épaisseur, même si sans l'URSS, le P"C"F est devenu pire que sous Brejnev, les choses ne sont pas absolument passées comme l'annonçait Fukuyama. Il y a eu les grèves de novembre-décembre 1995, le Sous-Commandant Marcos au Chiapas, des grèves énormes de prolétaires sans-papiers aux USA, des révoltes ouvrières en Chine et, surtout, il y a eu, depuis peu, une nouvelle intellectualité de la politique d'émancipation.
Je ne trouve rien à fêter dans les 20 ans de la chute du Mur. En revanche, je salue celles et ceux qui n'ont pas, sans être des suppôts des régimes disparus, renoncé à l'Idée du communisme.