J'ai commencé Quoi ? L'Eternité de Marguerite Yourcenar ce soir (entre mes copies - pfff - et Freud ) et me suis dit ce que je pense souvent, à savoir qu'en littérature, je suis un réactionnaire épris de la langue classique. Enfin...
Bossuet, Chateaubriand, Proust, Breton, Yourcenar... Il est possible que je tienne un fil, là, de ce que j'aime en littérature. Bizarrement, Quoi ?... me fait penser à Vie de Rancé du Chateaubriand de la fin que Gracq adorait (ah, celui-là, qui s'inscrit dans la filiation susnommée, comment ai-je pu l'oublier ?).
Je me suis un peu perdu au début dans ma lecture mais, pas grave, les phrases m'ont enchanté et je crois qu'à la limite, ce qu'elles racontaient m'importait peu. Je me suis laissé bercé par leur rythme, leur musicalité, sans parfois - mais sans que cela n'entravât mon plaisir de lecteur - tout saisir de la généalogie des Crayencour mais enfin, tant que la musique va, tout va.
Tout d'un coup, cela dit, dans le doux roulis de la langue, surgit une histoire clairement identifiable par une accélération et des faits aussi précis que prosaïques. C'est ce qui me fait penser à Rancé ; ces cercles dont tout à coup une belle phrase apparaît. Je l'avoue, j'aime les phrases. Elles sont hautement nécessaires à ma vie. Elles concernent souvent le temps qui passe, notre finitude et la certitude que la fin est sans lendemain et sans résurrection.
Yourcenar parle de cela dans son rythme lent et classique. Elle écrit par exemple à propos de l'accident de chasse qui tua sa tante Marie et de ses suites : Le petit garçon et la petite fille dont Marie tenait les petites mains le jour de l'accident ont grandi, ont vieilli, sont morts (p.64, édition Folio-Gallimard). C'est à la fois le tragique de nos vies qui est là, la mélancolie dont on ne peut se défaire mais aussi le rôle de la littérature, seul remède - bien plus que la philosophie - à la corruption physique des corps. Je pense aussi à Aragon qui, en 1956, écrivait dans le poème Le vieil homme qui figure dans Le Roman inachevé : Que s'est-il donc passé La vie et je suis vieux.
J'aime les livres qui rendent impérissable la contingence de nos vies soumises au temps qui passe. Le temps mange la vie, dit à peu près Baudelaire. J'aime la littérature - ses phrases, surtout - qui éternise le fugace et le transitoire mais je ne sais pourquoi je puis me repaître indéfiniment d'une phrase. Il y a là un mystère.
D'autant plus que je me demande si le sens des phrases que j'aime n'est pas absolument secondaire. Ce serait l'aboutissement, pour moi, de la fonction poétique du langage. Le rythme, le tam-tam comme dit Sartre dans Orphée noir et ce, indépendamment du sens.
Mais est-ce possible ?