Villers-sur-Fère
À Denise et Jules
s'éloignent même les corps
dans la terre
qui se resserre
gelés par les hivers
oublieux
séchés par les étés
à rire
la peau même morte
des morts
meurt
gisant
enfouis
et non plus
ployés
courbés
sous la vie
ils s'éloignent
encore
et s'effacent
continuant
- de périr
***
Jivago
lignes
sur ta blancheur
gorgées du monde
congédié
soleil de plume
étincelant
et monotone
s'efface
toute présence
vide
et lasse
au son du cor
langage
étreint
ce qui n'est pas
ou plus
plus fort
que les ors
tangibles
des couchants
de nos vies
***
s'affaisse
l'horizon
sous nos paroles
- au vent
passe
un monde
puis
la nuit
en guise de présent
vacillante
la lumière
d'un lointain
en arrière
instants perdus
sous le frimas
que seule
une note
relève
souffle
fagots crépitants
du temps
sur le sentier
étiolé
aux astres
éteints
***
simples phrases
comme une bourrasque
colorée
où se tiennent la main
les vivants
les morts
simples phrases
où ressortent
de terre
les vaincus
de toujours
mots seuls
salubre musique
où se brise
toute difficulté
dialectique
***
Ciel ouvrier
palimpseste provisoire
sous la lame des frimas
d'octobre
la ville fuligineuse
et ses vies ouvrières
ici
l'acier trempé
jusqu'aux os
s'agrippe au ciel
et
les diagonales
de fer
étreignent
les nuages
à l'ombre
des barres
de la cité
fantômes
grues
fondues
de Toussaint
silhouettes grises
indécises
comme dévolues
jadis
aux chemins creux
cogne
au poème
la parole
enterrée
du monde
***
rugueuse
la banlieue
ne se donne pas
désertée
par la lyre
des paysages
sans âge
au vent
qui
dans sa lame
se rit bien
des clameurs
d'époques
écarlates
***
Prolétariat
que s'engouffre
entre tes cordes
lyre
le souffle clair
des voix coupées
qu'y résonnent
sous les ciels d'usine
stades Lénine
avenues Robespierre
ou Marat
- car rien n'a disparu
dans le silence obscur -
endosse aussi
lyre
les mains
et les visages
qu'on ne voit
ni n'entend
plus
surprends l'étincelle
des machines
et des outils
dont sont tus
même les noms
la terre entière
ignore opiniâtrement
les malheureux
puissances de la terre
ils ont le droit
pourtant
de te parler en maîtres
lyre
-que tu cesses
de ne même plus
les dire
***
Banlieue
la lyre
n'épouse plus
la cause des hommes fourbus
et les cités
s'effondrent
sur leurs fondations
vides
- frémirait
la colère
d'un peuple
retrouvé
fait d'un seul
et de tous
ô poètes
de la grue
du goudron
de la chaîne
et des échafaudages
vous
noirs de suie
noirs
ou blancs -
salubre
le vent bat les blocs blêmes
dans l'espoir
d'un retour
des corps
***
Invisibilité provisoire
se réveillerait la ville
bannie
de nouveau à l'écoute
des mânes chuchotantes
du peuple constitué
je pense à toi
sur ton tonneau
hélant les invisibles sortant de l'usine
et réveillant les morts
endoloris
leurs mains noueuses
entaillées
pétries par la machine
avaient tant à nous apprendre
sur ton tonneau tu le sais bien
en eux
grondaient volcans
forges brûlantes
matière
des éclats
du métal
et du fer
s'ébauchait un monde
rouge
partageux
renversé
poètes de l'acier
aujourd'hui
au silence
insufflez la révolte
à l'étrange contrée
où tout s'est tu
réel
où nul
ne se cogne plus
***
les mots n'ont pas de sépulture
sous la pierre
grésillent
des paroles
sans gîte
tournoyantes
et dans l'épaisseur
du ciel
nulle extinction
ce qui fut dit
s'entend
- en doublure du temps
***
la neige
- ou le soleil -
pétrira
limoneuse
les mots sortis du temps
leur silence
s'ébruite
dans le dévalement
des jours
et l'échancrure
de ce qui fut
leurs paroles blêmes
fixe ce qui passe
***
dans le paysage
nulle métaphysique
s'y heurte
qui veut dire
décomposé
au pied du mur
vide
le peuplier implore
les champs pris au feu
ne dissimulent rien
- je ne porte pas le réel -
la muraille
en mouvement
ne se découvre pas
***
Pour Ismaël
ton corps s'étire
remue
cherche
en lieu d'imprononçable
pas même balbutié
vers l'avant
tes pieds
cherchent un sol
ta parole
pas encore
reste
- pour l'instant
en corps
***
retirés dans la nuit
sans mémoire
leurs mots
disparus
ne font pas silence
sans lieu
ni temps
en surplomb
de ce qui passe
***
ce qui reste
nos paroles
d'autres
au vent léger
du peuplier
ensoleillé
s'entend
ce qui n'a plus ni lieu
ni temps
elles sont là
pourtant
avec elle
suspendues
aériennes
à jamais là
au-delà des prés verts
dans la lumière
***
touffeur au ciel
rien ne tremble
au-delà du pré jaune
malgré le vent
tenu par le soleil
- seul temps -
passe ici
ce qui ne passe plus
- paroles qu'on croyait mortes -
dans un paysage suspendu
pour les vivants
- les morts
***
Sauzon
au soleil
- simplifié -
un monde
géométrique
palimpseste renversé
où renaissent les lignes
leurs éclats de couleurs
ma langue coupée passe presque
en guise de gouache et d'huile
et l'indicible - sans matière -
est à demi congédié
sous mon pinceau
à la gorge d'encre
lignes silencieuses
maintenant
au soleil
orgueilleuses
et tout en traits tenu
un monde polychrome
- revenu
***
où se terre
la terre
quand bue par le ciel
elle s'étire à l'épure
de traits de couleurs
***
le feu du jour
réveille les lignes
l'horizon
tout aussi bien
se perd en verticales
en éclats
- de retour
***
Aux lanières
aux sangles
n'échappe
que l'intervalle ------------------------------------
Extirpée de sa gangue
une déflagration
la secousse d'un corps
au risque d'une absence
de lieu