Egrener des évidences est toujours pitoyable. Mais devoir, par des évidences perdues de vue, dénoncer des mensonges éhontés qui, parce que gros, passent allègrement dans la démocratie capitalo-parlementaire, voilà qui peut en dire long sur la nasse glauque dans laquelle nous nous trouvons.
Je ne sais, à vrai dire, si les élections ténébreuses de Brignoles sont porteuses et annonciatrices d'autres désastres mais, dans tous les cas, et quitte, ici, à passer pour un patriote un peu vieillot, le fait de voir ces gens agiter des drapeaux français en beuglant "On est chez nous !" me révulse et me révulse avant tout parce que cette comédie digne de supporters avinés n'a aucun fondement réel.
Qu'il est facile d'agiter le drapeau tricolore quand on s'en prend à des gens d'ici contre lesquels le consensus médiatico-parlementaire est constitué ! Un drapeau à beugler contre les Rroms, un autre contre les Musulman-e-s, un drapeau contre le peuple multinational de France (pour les juifs, ils font gaffe ; d'abord, leurs ancêtres politiques l'ont déjà fait et, ensuite, il y a eu le Génocide...) : le fascisme français, qui a pour singularité essentielle la couardise, ne s'en prend qu'aux réprouvés (ce qui, du reste, en dit long sur le catholicisme réel des ouailles intégristo-frontistes).
Que personne, ou presque, ne relève cet enfumage lepéniste en dit long sur la nullité médiatique contemporaine. C'est là, donc, qu'il est nécessaire de rappeler quelques évidences oubliées. A commencer par la première : le FN n'a rien de patriote puisque ce mot fut, pour commencer, inventé par des gens dont le courant aujourd'hui représenté par la Famille Nationale a toujours été l'ennemi. Précisément, et l'extrait du film de Renoir (voir la vidéo jointe) le montre, à chaque fois que des patriotes ont porté une idée positive, progressiste et, parfois, internationaliste du pays, le courant issu de la haine de la Révolution française s'est constitué contre.
Le FN est l'ennemi politique de l'incandescence égalitaire révolutionnaire incarnée par Robespierre, Saint-Just, Marat et Grégoire. Pendant que Robespierre donnait le statut de citoyens aux comédiens et aux juifs et que Grégoire bataillait contre l'esclavage en disant que les hommes étaient tous les mêmes mais, parfois, avec des couleurs différentes, le courant qui aujourd'hui se retrouve peu ou prou dans le Front "national" préparait Quiberon puis, plus tard, 1814 et 1815 où les deux frères de Louis XVI (les comtes de Provence et d'Artois) furent ramenés dans les fourgons de l'étranger.
Il est notable, de ce point de vue, que globalement, le rapport à l'étranger en politique est toujours clivé de la façon suivante : il y a ceux qui en ont après les pauvres et les réprouvés de provenance étrangère mais qui se couchent devant les puissances menaçantes (le FN, l'Action Française, le mari de Martine Lehideux -André Dufraisse -...) et il y a ceux qui, sachant qu'un pays est de plus en plus appelé un être un pays monde, regardent avec enthousiasme ce pays en mouvement tout en restant intraitable sur la question de son indépendance nationale (ce fut le cas, par ex., de Jean Moulin). Ainsi, quand le blanc Touvier paradait avec sa milice aussi fantoche que criminelle dans les rues de Lyon, le camarade arménien Manouchian portait la France de Robespierre à bout de bras.
Ce point, bien sûr, souffre quelques exceptions (Soustelle ou Bidault) mais pas davantage et ce n'est toujours pas Charles Maurras qui me démentira. Lui qui vit dans le régime fantoche de Vichy, une "divine surprise" (terme repris hier par Laurent Lopez à propos de sa victoire) et qui fut, à la Libération, frappé d'indignité nationale.
Le FN, pour parler comme la femme révolutionnaire du film de Jean Renoir (film extraordinaire et pédagogique sur le début de la Révolution française et la chute de la royauté), déteste la France. Il la veut à sa merci comme jadis le club Massiac voulait les Haïtiens sous sa férule et sous la règle atroce du Code noir. Il la veut petite, craintive, criminelle et rabougrie comme jadis Pétain et sa clique la voulaient pour la punir de la Révolution de 1789. Il la veut pour sa gueule comme jadis l'OAS voulait l'Algérie. La race, c'est l'argument des minables haineux et des aristocrates de la peau. La race, ce n'est rien d'autre que le nom de la passion de l'inégalité.
Voilà donc tout ce qui, ces temps-ci, est oublié. Les quelques moments où l'extrême droite française a eu le pouvoir sont des moments d'abaissement de ce pays. Le pays du FN est un pays dans lequel, entre autres, on transfèrerait les cendres d'Alphonse Daudet au Panthéon, où le bijoutier de Nice se verrait décoré de quelque légion d'honneur et où les enfants de confession juive ou musulmane se verraient privés de cantine de façon systématique puisque les apéros saucisson-pinard constitueraient les menus incontournables des écoliers...
Tout cela dessine déjà un pays zombifié et décomposé. Cette France ressemble à un Dracula qui refuserait de s'alimenter. Les lepénistes n'ont de passion que la mort.
Rien de patriotique, là-dedans, donc. Juste de la haine, du ressentiment et de la volonté de destruction par dégoût intime et profond de l'égalité entre tous.
Cette situation n'est du reste pas du fait exclusif de la Famille nationale (on peut dire de Kim Il Sung, hein...) mais du consensus républicain dans son ensemble. C'est pourquoi, hélas, la France est déjà entrée dans l'égoïsme au poste de commande et dans le rabougrissement. Allez donc demander aux Africains francophones de Harlem à Manhattan pourquoi ils préfèrent traverser l'Atlantique à la Méditerranée...