Le discours actuel anti-religieux - et singulièrement islamophobe - se porte hélas comme un charme. Que des réactionnaires officiels s'y engouffrent à propos de pains au chocolat, soit. Mais que des militants supposés du côté des masses et de l'émancipation reprennent l'antienne délirante de l'Occident menacé d'une islamisation (ici, par exemple), voilà qui mérite une mise au point.
La question de la religion n'est pas centrale dans la politique, contrairement à ce que soutient un marxisme vulgaire, et le fait d'être ou non croyant ne dit rien, en soi, du caractère progressiste ou conservateur-réactionnaire de vos opinions par ailleurs. Il y a dans les monothéismes - je me limiterai à cela, connaissant fort mal les autres religions - de quoi soutenir des idées contestables mais il y a aussi un souffle messianique enthousiasmant quant à un grand renversement du monde. L'idée d'une gloire des pauvres existe dans l'islam et dans le christianisme et il serait étrange que dans une période de reflux du messianisme matérialiste, les humbles du monde entier n'y soient pas sensibles.
Croire en Dieu ou croire en la révolution sont deux convictions proches - ou qui peuvent l'être. Elles sont unies par ce que dit, par exemple, le Magnificat, c'est à dire, le renversement du trône des puissants, mais également, dans l'islam, par le zakât qui illustre la place des pauvres dans la religion. Cette proximité s'explique par un messianisme en partage entre croyants et certains athées. C'est pourquoi, évidemment et comme le remarquait Lénine, le simple fait de croire en un au-delà salvateur n'est pas incompatible avec un engagement politique marxiste. Mieux, à lire certains poètes communistes, comme Aragon, là par exemple, on note un messianisme matérialiste qui ressemble au messianisme religieux et dont la promesse-formulation est aussi exaltante que peut l'être la beauté d'une sourate.
Pour ce qui touche donc à la politique, la religion semble n'être le nom de rien - sinon de ce que chaque fidèle y met. En cela, la religion n'est pas ce qui divise les gens et on peut donc être croyant(e) et progressiste comme certains athées sont furieusement réactionnaires. L'histoire regorge de noms au carrefour de la révolution ici-bas et du Royaume de l'au-delà : pensons à Thomas Münzer mais également au shï'isme duodécimain qui fascina tant d'intellectuels catholiques français...
Il n'y a pas lieu de stigmatiser les croyances monothéistes. Que dans la vallée de larmes engendrée par le capitalisme depuis des siècles subsiste une espérance chez des humbles qui ne cèdent pas au désespoir, voilà qui constitue une lueur avec laquelle il est possible de frayer un chemin à l'émancipation politique, ici et maintenant.