http://www.lemonde.fr/politique/article/2009/11/16/l-appel-des-ecrivains-en-faveur-de-marie-ndiaye_1267606_823448.html
Suite à l'affaire Raoult, du nom de ce député du Parti inculte et barbare, quelques écrivains ont rédigé un appel pour soutenir Marie NDiaye. A cela, je n'ai rien à redire. Davantage, même, je trouve l'idée bienvenue.
J'ai donc lu cet Appel et l'ai trouvé affligeant. On croirait un texte pré-électoral pour la Gauche - celle dont la fonction politique, au sein du capitalo-parlementarisme, est immanquablement de trahir -, un texte de campagne, donc, mais qui, à force de voir et de revoir au pouvoir la Gauche navrante, aurait sérieusement pâli.
De quoi ces écrivains nous parlent-ils ? D'eux et surtout de rien. Ce texte, hélas, n'a même pas la saveur des appels de 1997 exigeant la régularisation des sans-papiers et dont l'effet fut l'élection d'un Jospin qui, quoi qu'il en dise, ne régularisa pas les sans-papiers d'alors. Il y a donc quelques lignes, vides, dans ce texte. On y défend le droit de critique "des intellectuels sur le pouvoir"... Les bras m'en tombent ! Ces écrivains, ces intellectuels éventuels, réclament donc un droit qui serait acquis, un droit démocratique en somme. Demander à Sarkozy que demeure un droit de critique, c'est se méprendre gravement sur la nature politique du régime actuel. Cette méprise, du reste, est confirmée par l'appel à Mitterrand-le-neveu qui n'a de pertinence que de la part de Marie NDiaye. A Sarkozy et ceux qui, autour de lui et comme les courtisans de Staline dépeints par Mandelstam, hénissent, miaulent, gémissent, on ne demande rien. Il faut combattre la camarilla réactionnaire et corrompue au pouvoir et surtout ne rien partager avec elle. Nos écrivains sont des lecteurs, du moins je l'espère. Ils devraient se rappeler ce qu'écrit René Char dans Feuillets d'Hypnos :
Dans nos ténèbres, il n'y a pas une place pour la beauté. Toute la place est pour la beauté.
De cet appel, donc, j'attendais un texte politique. Mais je ne trouve rien de tout cela. Je lis un texte corporatiste - c'est à la mode, mais je le déplore - qui n'évoque pas la situation des gens ordinaires dans ce pays. Un écrivain a une responsabilité immense dans la politique d'un pays, au sens non de la politique de l'Etat mais des discours qui circulent sur cette politique. Ce qui a caractérisé l'écrivain depuis les Lumières, c'est son rôle politique, n'en déplaise au néanmoins immense Julien Gracq. Après la Révolution, même, on peut dire que l'écrivain est allé au peuple comme les jeunes ulmards maoïstes aux usines. Il suffit de penser à Hugo et à Sartre et, dans une moindre mesure, à Gide ("notre contemporain capital") et à Malraux.
Rien de tout cela n'étreint nos écrivains alors qu'il était simple de prendre l'affaire Raoult pour la généraliser et faire une déclaration sur le pays tout entier, pays dans lequel on traque des gens d'origine étrangère parce qu'ils sont sans papiers, dans lequel on se suicide au travail et dans lequel on ne se soucie plus de savoir si les enfants savent lire - ce qui s'appelle lire - tant les yeux du pouvoir sarkozyste sont rivés sur les gains de productivité consécutifs au non remplacement de profs à la retraite. Non, nous n'avons droit à qu'une petite anaphore "nous sommes choqués" et l'objet de l'émotion de nos écrivains est très petit-bourgeois. On imagine très bien, ainsi, nombre de signataires de ce texte sur le plateau d'une télé branchée protester contre le traitement de Marie NDiaye par un député UMP. Pas de coup de tonnerre. Les vies des uns et des autres, des prolétaires du métro à 6 heures du matin et de ceux qui travaillent intellectuellement, ne se croiseront donc pas.
Parmi ces écrivains, bien sûr, il y a des auteurs qui se sont engagés contre des aspects de la politique sarkozyste mais ce texte, là, ne fait que donner l'impression d'un milieu cosy autour duquel tout s'effondrerait mais qui voudrait garder sa tranquillité et ses causeries au café. Ce dont ces écrivains devraient se rappeler, c'est de leur rôle dans la cité, dans le pays. Et pour ne pas ternir leur statut revendiqué d'intellectuels, c'est vers les gens ordinaires, vers le peuple d'au-delà le périphérique ou, par exemple, des quartiers nord de Marseille qu'ils doivent aller.
La situation politique de la France, la plus inquiétante depuis au moins la guerre d'Algérie, appelle autre chose qu'un antisarkozysme chic qui, par ailleurs, risquerait de donner des billes aux amoureux du peuple inconstitué (pour reprendre une expression de l'historienne Sophie Wahnich). Le pays tout entier a besoin d'écrivains, de go-between.