TEMPS
I
Mi-vie peut-être je n'en sais rien mon corps lui-même n'en porte aucune trace ostensible juste le bruit du temps rivé aux éclats de rire mica que le vent dépose sur la grève. Les étreintes vénéneuses de jadis remisées aux illusions perdues ne cessent jour après jour de réveiller ma mélancolie. Mais l'ancolie je ne sais à quoi elle ressemble d'autant que rien ne change politiquement. Ou plutôt, le pire suit son cours. Le soleil se couchait tôt en ce temps-là derrière les tours et nous étions interdits devant ce nous qui frappait à la vitre d'un temps chamboulé. Rutilement du jour enfin saisi pour nous qui serions pourtant surpris par la nuit. Ah ne pas savoir - ou savoir trop tard ! Aux terrasses des cafés, du monde et des gueules revenues de tout et surtout, crime supérieur mais pourtant non estimable, riant, édentées parce qu'elles l'avaient bien voulu, de l'amour et pas seulement de l'embrasement qui éclaire bien plus qu'un incendie.
L'étincelle mettrait le feu à la plaine mais la parole d'un deux, irisée blanche après l'orage, évacuerait toute comète de notre existence. Incandescence à perte de vue.
Ah que croient-ils ceux qui rient comme des cons, satisfaits d'avoir tout compris arrivés à 40 ans afin de négocier (mais avec qui ?) leur sortie définitive qui se dessine d'abord dans les sourires disparus ? La nuit ne tombe pas et, quand bien même, son irruption ne nous concernerait plus. Les trains qui roulent en ces nuits sans lune détiennent les seuls trésors possibles. Qu'il serait facile de se rendre - mais qu'importe, rien ne nous sera épargné.
II
Elle, ses deux filles à la main, marche derrière la vitre. Elle ne se retournera pas. On a beau dire et tout le monde peut se repaître de doux mots et de fiévreuses pensées, l'éternité n'est pas de ce monde. Pourtant, je la crois, moi, fragile et provisoire, limitée certes dans la contingence qui nous enserre mais aux effets illimités. Derrière la vitre, elle marche. Ses mains dans celles de ses deux filles auxquelles elle tient comme à la seule trace exhumée de son désastre et du fjord de la mort dans sa vie.
Elle ne se retournera pas bien que je la hèle en pleurant.
Tout cela était bien beau mon amour, cette étreinte derrière les tours peu éloignées du périphérique mais cette fragilité à rebours de toute idée de famille ou de situation, non, non, non. Je ne me retourne pas et peu m'importe si tu doutes de mon amour. Quelle importance, au fond ? La vie a des exigences qui passent outre la merveille qu'on hèle mais qui ne dessine en rien une situation. En ces jours piqués d'étoiles où nous parvenions à nous manquer bien qu'inséparables, quelque chose frappait de vanité nos étreintes pourtant incessantes. La plaine en feu serait bientôt barrée par la mer.
(Tossa de Mar, été 2014)