Arte propose en ce moment un cycle Claude Sautet à partir de plusieurs de ses films et ne sachant trop quoi penser d'un cinéaste qu'à tout le moins je connais mal mais à propos duquel, ici et là, j'avais lu des articles favorables ou élogieux, j'ai regardé quelques-uns des longs métrages proposés, à savoir Les choses de la vie, Mado, ainsi que Vincent, François, Paul et les autres et Un coeur en hiver.
Mon propos, autant le dire d'entrée, n'est pas fondé sur une connaissance approfondie de l'art et des techniques cinématographiques mais sur le propos et la vision du monde ou au moins de la vie que proposent les films de celui dont Les Inrocks, par exemple, ne cessent de dire qu'il ne serait pas, en vérité, le cinéaste de la bourgeoisie française pompidolo-giscardienne.
Bien sûr, si mon propos n'est pas authentiquement technique, il serait absurde de ne parler d'aucun plan des films de Sautet comme il serait absurde de parler d'une oeuvre littéraire sans en avoir savouré - ou pas - quelques phrases.
Je crois pouvoir dire que je n'aime pas les films de Claude Sautet ( à l'exception peut-être de Quelques jours avec moi, vu il y a quelques années) précisément parce que ce qui s'y exprime est inexorablement la victoire du poids inerte du monde, victoire qui sonne comme une invitation fataliste à renoncer à tout absolu (au sens qu'Aragon donne à cela dans Aurélien) et à toute poésie qui constituerait une bascule ou une conversion dans nos existences.
Un cœur en hiver, film de 1992, est de ce point de vue saisissant. Ce film, couvert d'éloges critiques à sa sortie en 1992, présente une vision de l'existence en effet absolument bourgeoise où rien ne peut faire dévier un individu des chemins - psychologisants et autres - qu'il pensait s'être tracés. Plus ancien, Vincent, François, Paul et les autres dépeint des vies bourgeoises mais minables dans lesquelles l'amour n'est que désillusion et où rien d'extraordinaire ou d'événementiel ne peut plus arriver. Le seul amour qui dure, dans ce dernier film, est celui de Paul, campé par Serge Reggiani, à propos duquel, en vérité, le film n'a rien à dire. Au bout de nos vies, seul le désastre.
Je comprends mieux, du coup, la critique faite à Sautet dans les années post-68. Je comprends mieux aussi pourquoi l'oeuvre de ce cinéaste connaît un retour en grâce dans les milieux "de gauche" branchés réalistes (bien incarnés par Les Inrocks) devenus, dans une sorte de cheminement light à la Jerry Rubin, adaptés à la vie telle qu'elle serait.
Cette vision du monde et des possibles est effroyable et on pourrait me dire qu'elle dépeint pourtant authentiquement la réalité rugueuse que je persisterais à la refuser.
Truffaut a vieilli, inconstestablement. Il n'empêche que la passion qui se dégage de ses films est autrement plus poétique et prometteuse que l'invitation à une survie morne des films de Claude Sautet. Chez Truffaut, l'amour fait mal, certes, mais il existe et, dans sa rareté même ou sa précarité, ilumine des existences. Rien de tout cela chez Claude Sautet. Nul absolu sinon quelques aspirations avortées.
Je ne sais pas, par ailleurs, ce qu'André Breton aurait pensé des lentes résignations des personnages des films cités plus haut mais je ne puis m'empêcher de croire qu'il aurait été horrifié.
La défaite et la résignation, à en croire les films du cycle proposé par Arte, sont notre seul horizon. Dans Un cœur en hiver, le personnage de Camille, joué par Emmanuelle Béart, fait une déclaration d'amour à Stéphane, joué par Daniel Auteuil, mais celui-ci, dénué de sentiments n'est pas le moins du monde troublé par cela et la dernière scène le montre buvant un café tandis que Camille rejoint, résignée semble-t-il, son amour conjugal, Maxime, qu'incarne André Dussolier. Rien ne change ni ne changera. L'impossible n'est pas de ce monde.
C'est à mes yeux une vision sinistre du monde, qu'on retrouvait déjà dans Vincent, François... où ce qui arrive aux personnages n'est que désillusion ou illusion passagère et vaine comme du sombre baroque. Le personnage joué par Piccoli traite sa femme de "putain" et celui joué par Montand est quitté par sa compagne à cause d'une trop grande différence d'âge.
Tel est donc ce cinéma qui plaît tant aux spécialistes. Il montre la ville, des cafés tapageurs aux lustres éclatants, des personnages derrière les vitres aux sourires défaits et du mouvement. Mais derrière tout cela, nulle fissure. Nulle ouverture sur l'impossible ou sur l'amour fou. Nulle conversion à un autre monde. Nulle révolution de masse ou seulement individuelle. Aucun héros positif. Aucun héros tout court... Quelle tristesse !
C'est bien à mes yeux ce qui est déplaisant et qui en dit long, une fois de plus, sur le monde qu'on nous impose, écrasé par la loi d'airain du capital, plein de haine pour la psychanalyse et pensant que tenter l'absolu, c'est faire venir le diable.
Je ne sais trop, de ce point de vue, ce que sera le dernier film de Lucas Belvaux qui évoque une passion a priori impossible entre un professeur de philosophie et une coiffeuse mais tout ce qui soutient l'existence de chemins de traverse, de combinaisons inouïes pas même imaginées mais réelles est bienvenu.
Quelques semaines après la disparition d'Alain Resnais qui adorait, lui, André Breton, il est bon de rappeler que parfois, l'impossible arrive et qu'après tout, l'amour, la poésie et la révolution ne sont toujours pas remisés au placard. Se plier au monde tel qu'il va reste éminemment constestable et le cinéma qui soutient le contraire est en effet un cinéma... bourgeois.
Billet de blog 29 avril 2014
La vie est un roman (ou un film)
Arte propose en ce moment un cycle Claude Sautet à partir de plusieurs de ses films et ne sachant trop quoi penser d'un cinéaste qu'à tout le moins je connais mal mais à propos duquel, ici et là, j'avais lu des articles favorables ou élogieux, j'ai regardé quelques-uns des longs métrages proposés, à savoir Les choses de la vie, Mado, ainsi que Vincent, François, Paul et les autres et Un coeur en hiver.
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.