Une telle sortie serait profondément dramatique pour le peuple hellénique, avec une réduction du niveau de vie bien plus élevée que celle du scénario déjà bien sombre résultant de l’application du plan de sauvetage de la zone euro récemment négocié le 26 octobre dernier à Bruxelles.
Avec l’adoption de la nouvelle drachme, c’est tout d’abord le système bancaire qui s’effondrerait le premier, l’édifice d’une économie monétaire dont la solidité est indispensable à la dynamique du crédit, de l‘investissement et de la croissance économique. Dans la perspective d’une sortie de la zone euro, on peut en effet facilement anticiper un retrait massif des dépôts intérieurs en euros avant la mise en place de la nouvelle monnaie, entraînant ainsi une crise de liquidité des banques, accentuée par l’arrêt du soutien de la Banque centrale européenne (BCE) et doublée d‘une crise de solvabilité par le remboursement de la dette bancaire remboursable en devises étrangères dont le poids exprimé en drachme dépréciée deviendrait exorbitant.
L’adoption d’une valeur externe de la nouvelle drachme à un niveau faible aurait certes l’avantage d’accroître la compétitivité-prix des exportations grecques et donc de stimuler par le commerce extérieur la croissance. Mais, c’est ignorer la traditionnelle courbe en J (1) qui, à court terme, laisserait entrevoir inévitablement une dégradation du solde du commerce extérieur du fait du renchérissement du prix des importations, d‘autant plus prévisible et accentuée pour l’économie grecque que, l‘effort à l‘exportation y est relativement faible et le degré de dépendance extérieure important pour les approvisionnements énergétiques. Dans un contexte de déflation des revenus (baisse des salaires et des pensions de retraite) déjà bien enclenchée depuis 2010, l’inflation résultant de cette dévaluation compétitive continuerait d‘achever l‘économie grecque, avec une baisse du pouvoir d’achat affectant elle-même à son tour la demande intérieure en la déprimant un peu plus.
Dans le tourbillon infernal du cercle vicieux récessif, la Grèce ne pourrait plus compter par ailleurs pendant de nombreuses années sur l’épargne étrangère pour obtenir de nouveaux prêts ou sur l‘aide de la "Troïka" (2).À commencer par l’État grec pour financer son déficit public, condamné alors à l’alternative de l’équilibre, via une nouvelle réduction des dépenses publiques (et/ou une augmentation des impôts) renforçant un peu plus la récession, ou du financement monétaire, mais potentiellement dangereux dans une économie ayant déjà une inflation entretenue par la dépréciation du change.
En final, le chemin de la sortie de l’euro pourrait se traduire pour le peuple grec par un appauvrissement conséquent en termes de niveau de vie, de l’ordre de 40 à 50 %, selon les estimations actuelles les plus couramment avancées (contre 15 à 20 % en cas d’application du dernier plan de redressement). Il s’agit là, compte tenu des efforts d’austérité déjà demandés au peuple grec depuis 2010, d’un scénario proprement insoutenable socialement dont on voit mal comment il ne pourrait pas déboucher sur une explosion sociale et politique. La conclusion est sans appel : nous devons aider le peuple grec en faisant preuve d’une réelle et pleine solidarité à son égard pour que souverainement il décide de rester sur le navire de l’euro. Il en va de son intérêt, mais également de celui de la zone euro qui, en perdant la Grèce, entrerait probablement dans une phase de dislocation progressive !
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(1) L’impact positif attendu sur le solde du commerce extérieur d’une dépréciation du change (ou d’une dévaluation en changes fixes), du fait notamment, sur les marchés étrangers, de la baisse des prix libellés en devises étrangères des produits exportés, prend un certain temps. En effet, dans un premier temps, par le jeu du renchérissement des prix des produits importés libellés en monnaie nationale, le solde de la balance commerciale se détériore. Lorsque, dans un second temps, les effets volume l’emportent sur les effets prix, le solde commence à s’améliorer. En représentant graphiquement le solde commercial (en ordonnées) en fonction du temps (en abscisses), on obtient alors une courbe ayant la forme d’un J.
(2) Elle comprend le trio institutionnel composé de la BCE, du Fonds monétaire international et de la Commission européenne.