Sous l’impulsion de la Grande récession mondiale de 2008-2009 où les pays riches ont connu une baisse historique de leur production industrielle et de leur PIB en volume par habitant, jamais égalée depuis la Grande dépression de 1929 (1), l’économie française a perdu plus de 350.000 emplois sur la période 2008-2009 et a recommencé à en créer frileusement en 2010 (+ 180.000). Résultat immédiat, la courbe du chômage en France était repartie à la hausse : le nombre d’inscrits à Pôle emploi, toutes catégories confondues (de A à E), passait de 3.500.000 début 2008 à plus de 4.650.000 fin 2010.
Depuis le début de l’année 2011, heureuse nouvelle, pour le quatrième mois consécutif, on enregistre une baisse du nombre de demandeurs d’emplois de catégorie A, c’est-à-dire des demandeurs d’emploi n’ayant jamais travaillé le mois précédent (baisse de 0,4 % en avril 2011, (2)). Pour autant, le chômage en catégories B et C (chômeurs ayant des activités réduites) poursuit sa progression, confirmant la poursuite de la précarisation de l’emploi, si bien qu’au total, le nombre de chômeurs des catégories A, B et C, reste stable (4.039.100 fin avril 2011 dont 2.669.100 en catégorie A). Si à ce constat, on ajoute que le chômage de longue de durée (personnes au chômage depuis plus d’un an, soit plus 1,5 million de personnes fin avril 2011) poursuit sa progression, et que la baisse du chômage des jeunes de moins de 25 ans coïncide avec la baisse de leur taux d’activité traduisant ainsi un phénomène de découragement de la jeunesse se retirant du marché du travail (phénomène dit de flexion des taux d‘activité), on nuancera donc très fortement le discours gouvernemental optimiste, en parlant plutôt de simple mouvement récent de stabilisation du chômage sans amélioration notable et réelle de la situation sur le marché du travail.
Et une stabilisation, dont on ne voit pas comment elle pourrait augurer d'une future baisse durable du chômage en 2011-2012, si l’on en juge par les dernières prévisions de croissance de l’Insee et de l’Ofce (3). En effet, l’économie française devrait affronter deux chocs récessifs sur la demande, celui de la généralisation en Europe des plans d’austérité, et celui d’une résurgence des tensions inflationnistes liées à l’envolée récente du prix du pétrole et des matières premières agricoles. Deux éléments qui vont peser très lourd sur l’évolution du pouvoir d’achat et donc la demande intérieure, ainsi que sur la demande extérieure adressée à l’économie française. En effet, selon les prévisions de l’Ofce, sur la période 2011-2012, l’impact négatif pour l’économie française de la généralisation de l’austérité en Europe serait de 2,8 points de croissance du PIB, tandis que le choc inflationniste amputerait la croissance économique de 1 point. Par ailleurs, on peut craindre aussi que pour améliorer leur rentabilité qui s'est dégradée avec la crise, les entreprises cherchent à accroître leurs gains de productivité du travail, un appauvrissement de la croissance en emplois de mauvaise augure pour la progression de l’emploi (4).
Le tableau des perspectives peu enthousiasmantes doit être complété par l’impact directement négatif de la politique de l’emploi gouvernementale. Tout d’abord, le subventionnement des heures supplémentaires mis en place en 2007 (défiscalisation pour les salariés et exonérations de cotisations sociales pour les employeurs) continuera de freiner le mouvement des créations d’emplois, tout en pesant sur les comptes publics (de l‘ordre de 4 milliards d‘euros l’an). Au-delà du va-et-vient incessant des annonces gouvernementales sur la politique des contrats aidés ( la dernière en date, celle du président de la République, en février, sur le déblocage de 500 millions d’euros pour l‘emploi) , les coupes sombres devraient aussi l’emporter dans les budgets de l’emploi, se traduisant par une baisse probable des emplois aidés en 2011-2012 (-14.000 selon les prévisions de l’Ofce, (3)). Enfin, le recul de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans adopté en 2010, va bien évidemment peser à la hausse sur le nombre d’actifs ( sur la période 2011-2012, une augmentation de 96.000 uniquement liée à la réforme des retraites, selon les prévisions de l’Ofce (3)), et risque donc fort d’aggraver le chômage des seniors, d’autant que cette réforme ne prévoit pas de mesures d’accompagnement significatives incitant à favoriser le taux d’emploi des seniors pour lequel la France présente un retard par rapport à la moyenne de l’Union européenne.
En final, la consolidation au cours des prochains mois de la tendance à la stabilisation du chômage engagée depuis le début de l’année, apparaît bien incertaine ! Dans ces conditions, le scénario le plus probable, sans inflexion des politiques budgétaires restrictives en Europe et des choix incohérents de la politique de l’emploi du gouvernement, est le maintien d’un taux de chômage (5) en France à un niveau élevé de l‘ordre de 9,2 % à 9,5 % jusqu‘à la fin 2012.
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(1) Par comparaison avec la grande dépression de 1929, la chute libre de la production industrielle est néanmoins moins importante : un an contre 38 mois durant la crise de 1929 (voir à ce sujet les travaux intéressants de Kevin H. O’Rourke et Barry Eichengreen). La mise en œuvre rapide de politiques économiques de régulation conjoncturelle (sauvetage du système bancaire et plans de relance keynésiens) a joué un rôle décisif dans l’arrêt de la spirale déflationniste.
(2) «Demandeurs d’emploi inscrits et offres collectées par Pôle emploi en avril 2011», 2011-038, Dares, Ministère du Travail.
(3) «France : croissance austère», Revue de l’Ofce n°117, avril 2011.
«Note de conjoncture», mars 2011, Insee.
(4) Le contenu en emplois de la croissance économique se mesure par l’élasticité de l’emploi par rapport au PIB (rapport entre la variation relative en % de l’emploi et celle du PIB). Avant la crise de 2008-2009, sur la période 1990-2007, elle était de 0,5. Autrement dit, une croissance de 1 % du PIB se traduisait en moyenne par une progression de l’emploi de 0,5 % contre 0,1 % sur la période 1975-1990. Calculs personnels réalisés à partir de l’article «Soixante ans d’économie française : des mutations structurelles profondes», Insee première, n°1201, juillet 2008.
(5) Le taux de chômage rapporte le nombre de chômeurs à la population active. Il est calculé trimestriellement par l’Insee à partir des résultats de «l’enquête emploi» en appliquant les normes strictes du Bureau international du travail. Au premier trimestre 2011, la situation s'améliore avec une diminution taux de chômage de 0,1 point par rapport au trimestre précédent ( - 0,3 point par rapport au premier trimestre de 2010).