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Résumons : le 17 mars 2022, à Aubervilliers, Emmanuel Macron, lors de la campagne présidentielle, avait mis en avant deux réformes essentielles à ses yeux, celle des retraites et celle du Revenu de Solidarité Active (RSA). Il avait alors expressément indiqué que le RSA serait assorti d’une « obligation de consacrer 15 à 20 heures par semaine pour une activité permettant d’aller vers l’insertion professionnelle ». Pendant la campagne des législatives, j’avais interrogé une ministre venue dans le Gers, Emmanuelle Wargon, qui, dans sa réponse, n’avait pas repris à son compte les 15/20 heures obligatoires. Elle était restée sur la conception classique d’un accompagnement accru pour faciliter la formation et l’insertion.
Dans les jardins de l’Élysée, à l’occasion du 14-juillet (2022), le Président de la République, plus consensuel, interrogé par Caroline Roux et Anne-Claire Coudray, n’avait pas repris cette durée de travail que d’aucuns, un peu rapidement, avaient qualifié de « travail forcé » ou d’« esclavage ». Il avait affirmé n’avoir jamais parlé d’« activité » imposée aux bénéficiaires du RSA mais simplement dit qu’il fallait instaurer à leur profit « un accompagnement pour [leur] remettre le pied à l’étrier ». Alors que tout le monde avait bien entendu qu’auparavant il voulait faire travailler les gens qui sont au RSA, il avait précisé qu’il ne s’agissait pas de Travaux d’Intérêt Général comme l’espérait [le politicien d’extrême droite] Nicolas Dupont-Aignan. Là-dessus, on a eu la période de luttes contre la contre-réforme des retraites et du coup une accalmie sur le front du RSA.
Puis une fois les Cent jours d’apaisement passés, avec à la clé des émeutes dans les banlieues, le projet de loi a été révélé cet été : comme je l’avais annoncé dans un billet dès le 5 mai dernier (RSA : la grand manip) et dans un article paru dans Le Monde le 16 juin (RSA : « La règle des 15 à 20 heures d’activité obligatoires est irréalisable et le pouvoir le sait très bien »), quand le projet de loi est rendu public on constate qu’effectivement il ne prévoit pas les 15 à 20 heures d’activité. Le Sénat vote cependant les 15 heures obligatoires contre l’avis du gouvernement. C’est ainsi que lorsque le texte arrive à l’Assemblée, le ministre du travail Olivier Dussopt s’oppose à cette clause, mais finit par l’accepter le 28 septembre parce que Les Républicains l’exigent et que cela permettra au gouvernement d’avoir une majorité pour faire adopter son texte. M. Ciotti rappellera ainsi qu’il veille bien à en faire baver aux assistés et M. Macron pourra toujours dit qu’il l’avait annoncé durant sa campagne de 2022. Sauf qu’il faut s’interroger sur le fait que cette obligation était absente dans le projet de loi initial.
Parce que c’est irréalisable : il y a le temps de la propagande, et le temps du concret. LR est dans le temps de la propagande, c’est la méthode Ciotti (qui réclame par ailleurs un nouveau durcissement des règles sur l’allocation-chômage) ou Wauquiez. Or non seulement l’État n’est pas en mesure de tenir son engagement, non seulement renforcer l’accompagnement ne nécessite pas de fixer un nombre d’heures, mais en plus beaucoup de bénéficiaires du RSA ne sont pas capables d’exercer une activité (en attente de soins, en attente d’AAH). Si une exception a été introduite pour les personnes handicapées, celle concernant les parents isolés sans solution de garde d’enfants (des mères le plus souvent) prend acte finalement qu’il faut exclure ces femmes de l’insertion. S’il s’agit de formation, d’accompagnement vers l’insertion au sens large, c’est déjà inscrit dans la loi et en partie réalisé non seulement depuis la loi sur le RSA (Martin Hirsch, 2008) mais depuis la première loi sur le RMI (Michel Rocard, 1988). Des élus se font mousser aujourd'hui en disant qu’ils ont mis en place des dispositifs d’accompagnement, laissant entendre qu’ainsi ils innovent alors qu’ils ne font qu’appliquer la loi existante (comme le président du Conseil Départemental de la Côte d’Or dans On n’arrête pas l’écho sur France Inter le 3 juin, qui se vante de contractualiser sur l’élaboration d’un CV ou sur un RV médical) et copient ce qui se fait dans beaucoup de départements depuis des années. C’est se moquer du monde, ce serait presque comique si cela ne concernait pas la dignité de centaines de milliers de Français.
Au cours du débat à l’Assemblée le 25 septembre, la question des agriculteurs a été soulevée : comment les 11 000 qui perçoivent le RSA peuvent-ils être contraints d’effectuer 15 heures d’activité alors qu’ils font déjà 50 à 70 heures de travail par semaine ? On a même pu entendre Aurélie Trouvé, députée LFI-NUPES, demander que ces agriculteurs soient sortis de l’obligation, sinon c’est leur demander, avant ou après la traite, avant 6 h du matin ou après 21 h le soir, de faire au moins 15 heures d’activité, et des tests de personnalité. Elle considère que « ce projet de loi est inapproprié pour cette catégorie ». Remarque pertinente qui a l’inconvénient de sous-entendre qu’a contrario le projet est approprié pour les autres. Or le gouvernement n’aura aucune difficulté pour dire que la loi ne s’applique pas aux personnes qui sont déjà engagées dans une activité : début mai, Thibaut Guilluy, haut-commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises, auteur d’un rapport sur le projet de réforme, avait répondu en direct sur France Inter (Le Téléphone sonne) à un agriculteur (qui s’inquiétait) que l’exigence ne s’imposerait pas à lui, puisqu’il accomplissait déjà tant d’heures d’activité.
Il ne faut pas cesser de répéter que si l’accompagnement des bénéficiaires du RSA est défaillant, c’est parce que les pouvoirs publics n’ont pas respecté la loi et leurs engagements, en réduisant les sommes consacrées à l’insertion et en ne mettant pas en place des dispositifs boostant des démarches d’insertion (Emmanuel Macron en supprimant idéologiquement les contrats aidés a effacé d’un trait de plume de nombreuses actions d’insertion possibles, délibérément). Il parait inconcevable que le RSA soit refusé à un demandeur sous prétexte qu’il n’aura pas signé un engagement sur une activité alors même que les pouvoirs publics ne lui proposeront rien. La mauvaise foi du gouvernement s’illustre par le refus de créer un droit opposable à l’accompagnement, tel que demandé par Arthur Delaporte, député socialiste-NUPES lors de la séance du 27 septembre qui a tenu d’abord à dire que « la formation et l’accompagnement sont des droits et non des devoirs » avant de défendre un droit à l’accompagnement opposable : « l’État devra prouver qu’il a correctement accompagné l’allocataire avant de le sanctionner ». Bonne méthode pour pousser le gouvernement dans ses retranchements et avouer sa duplicité : le rapporteur lui a opposé que c’était implicite dans l’article 2 du projet de loi qui définit « les engagements des uns et des autres dans le parcours d’accompagnement » et Olivier Dussopt a opiné du chef. Un droit opposable ça aurait eu de la gueule, mais rien d’étonnant que le gouvernement recule là-dessus.
Sur les suspensions du RSA, là encore, de nombreux élus montent sur leurs ergots, gonflent la poitrine, et disent qu’ils sanctionnent celles et ceux qui ne respectent pas le contrat d’engagement. Or là encore, au risque de me répéter, la suspension existe depuis 1988, en veillant tout de même que cela ne supprime pas du jour au lendemain une allocation de survie. Je me souviens d’un sous-préfet qui taquinait les travailleurs sociaux sur leur trop grande indulgence envers les allocataires qui s’est retrouvé un jour marri lorsque ces mêmes travailleurs sociaux ont proposé la suspension (provisoire) du revenu minimum pour un allocataire qui refusait toute perspective de contrat pourtant prévu par la loi : alors, surpris, en rôle inversé, craignant que cela ait des conséquences graves (qui sait, un suicide ?), il refusa de décider une suspension. Dans le projet de loi, le principe d’une suspension-remobilisation sera possible : alors que jusqu’à présent l’allocataire momentanément suspendu ne pouvait pas récupérer les sommes non versées (il pouvait avoir ainsi perdu trois mois de RSA), désormais il aura la possibilité de récupérer rétroactivement les sommes non versées. Le gouvernement ne voulait même pas limiter le nombre de mois récupérables, mais le Sénat avait limité à trois mois, LR était sur cette position, alors le gouvernement a cédé (encore pour satisfaire les LR). Il s’agit donc d’une mesure moins sévère qu’auparavant, le problème est de savoir si elle sera appliquée plus fréquemment et si la réintégration sera réellement facilitée.
Ainsi ce qui est à craindre c’est la façon dont les Conseils Départementaux vont se saisir de cette loi Plein emploi (dans son versant minima social), avec le risque que certains, s’invoquant des discours idéologiques, largement mis en avant, de défiance à l’encontre des plus pauvres dans ce pays, incitent les professionnels de terrain à être intransigeants. Le risque aussi que, comme lors de la loi sur le RSA (mise en œuvre en 2009), tout le dispositif soit mis en stand by pendant de longs mois, sans avancée nouvelle : le RSA activité s’est avéré une erreur et a été remplacé sous Hollande par la prime d'activité. Tout le temps perdu, au détriment des allocataires qui ne s’y retrouvaient pas, n’a gêné en rien Nicolas Sarkozy : ce n’était pas son problème, il voulait juste convaincre qu’il avait instauré un revenu minimum nouveau alors qu’il savait pertinemment qu’il n’en était rien, mais il avait pu faire croire à ses mandants de la droite dure qu’il avait serré la vis.
La nouvelle loi sera votée alors même que les expérimentations (sur « l’accompagnement rénové ») en cours n’auront pas été évaluées (autre manière de se moquer sans vergogne des acteurs de terrain qui s’y sont engagés). Quant à l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD), lancée par la loi du 29 février 2016, relancée en 2021 pour cinq ans, non seulement elle ne sera pas prise en compte mais le gouvernement a décidé d’en réduire les moyens. Et on passe sur le Plan pauvreté présenté en septembre 2018 par Emmanuel Macron : il prévoyait la création d’un Revenu Universel d’Activité (RUA). Il est à l’arrêt, ni le président ni le gouvernement n’en parlent. Qui s’en souvient ?
Ce qui compte c’est la bataille au Parlement certes, mais aussi celle que pourraient mener sur le terrain des professionnels qui pour beaucoup ont des valeurs et ne sont pas prêts à les bafouer. Ils et elles ne feront pas la révolution mais pourraient bien freiner tout ce qui en matière d’accompagnement et de sanctions est contraire à une certaine éthique du travail social. Dommage qu’un tel sujet ne mobilise pas les foules : sur le fond, cette question du revenu minimum devrait justifier une protestation comparable à celle sur les retraites. Comment admettre que le montant du RSA pour une personne seule soit inférieur à la moitié du seuil de pauvreté alors même que la Constitution exige que « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence » (article 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, inclus dans la Constitution de 1958).
Du montant du RSA il ne sera pas question. L’an dernier, au Sénat, LR a bataillé (en vain) pour obtenir qu’une augmentation de l’allocation de 4 % soit réduite à 3,5 %. En octobre 2020, Emmanuel Macron avait avoué qu’il fallait un RSA de survie pour inciter au travail. La phraséologie de la droite extrême est sans cesse de suspecter une fraude sociale qui est insignifiante mais suspicion destinée à faire diversion face à d’autres fraudes bien plus problématiques. Tout est fait pour que l’opinion publique ne comprenne pas que la somme que l’État consacre au RSA correspond à 1 % du total des dépenses publiques (12,9 milliards d’euros sur 1422 Md€ en 2020) alors qu’il "bénéficie" à près de deux millions de foyers (4 millions de personnes si l’on compte les ayants droit, soit 6 % de la population).
Le quoi qu’il en coûte (essentiellement aides aux entreprises) et le plan de relance ont constitué 240 milliards de dépenses publiques : il ne s’agit pas de contester le fait que l’État se soit engagé face à la crise sanitaire, mais cette dépense 18 fois supérieure au coût annuel du RSA n’a pas fait l’objet des contrôles nécessaires. Il suffit d’interroger quelques artisans et commerçants pour savoir que certains ont reçu des sommes mirobolantes (ils étaient les premiers surpris). Dans la mesure où tous n’ont pas été aidés, car certains avaient continué tant bien que mal leur activité professionnelle, cela a provoqué chez ces derniers du ressentiment qui fait que désormais ils considèrent que ce ne sont certainement pas les bénéficiaires du RSA qui devraient être les plus suspectés et les plus contrôlés.
Comme larrons en foire :

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Billet n° 758
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