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Dom, fils de marin, passionné par la mer, part sur un chalutier dès l'âge de 16 ans. Son rythme est : dix jours d'affilée en mer en hiver, quinze en été, balloté sans cesse par la houle et, certains soirs, au repos dans les pubs d'Irlande où la bière coule à flot. Il effectue ce qu'on appelle le "grand métier", c'est-à-dire les sorties en haute mer. Vie difficile s'il en est, avec des horaires impossibles, le lancer du filet, la remontée et le traitement du poisson pêché. C'est dur, dangereux, mais il aime ça.
Lorsqu'il fait vie commune avec Séverine, il adopte sa fille, Maylis, un bébé. Puis naît Matteo. Et, ainsi va la vie, le couple se sépare, et l'homme de la mer obtient la garde de ses enfants.
Nous arrivons dans l'histoire au moment où cette situation pose problème. Car Maylis vit des événements particulièrement difficiles et son père n'est pas là. Séverine réclame la garde des enfants. Dom comprend qu'il faudrait changer de mode de vie. Il va se démener pour ne plus partir si longtemps, en possédant son propre bateau, avec des sorties sur la journée. Et Matteo pourrait être son matelot. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire. Il faut suivre des cours pour être patron de pêche, un chalut coûte le prix d'une maison, et même si ce serait la fierté de son père décédé, il faut parvenir à décrocher des prêts.
Dom, comme souvent les pères seuls avec leurs ados, se comporte comme un grand copain : il s'enivre avec son fils et ses potes, triche au scrabble. En un mot, il a beaucoup de mal à exercer son autorité, ce qui l'oblige à dire : "ici, l'adulte c'est moi". Matteo aime bien ce père fantasque mais quand ce dernier a sa carte de crédit rejetée au supermarché (la honte) et n'a plus assez d'argent pour racheter du fuel malgré la tentative désespérée d'incliner un peu la cuve, le garçon préfère manger et vivre au chaud chez sa mère. Tenter, en vain, de trucider un mouton rencontré dans un pré, en effet, ne suffit pas à nourrir son homme.
Ce que le film ne dit pas, excepté au générique, c'est que les acteurs jouent leur histoire personnelle. Plusieurs ont le même nom : dans la famille Leborne, je demande le père (Dominique), la grand-mère (Chantal), la fille (Maylis), le fils (Matteo). La mère, le banquier et le patron du bateau sont joués par des acteurs, mais le comité de pêche, très convaincants, et l'enquêtrice sociale, missionnée par le juge des affaires familiales, sont authentiques (l'enquêtrice sociale n'est pas du tout caricaturée, elle pose les questions auxquelles on peut s'attendre dans ce genre de situation).

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Du coup, tout est (presque) vrai dans ce film : l'habitation même de Dom est d'une simplicité extrême. Quand il faut, pour satisfaire le juge, ravaler un peu les murs, Dom et Matteo peignent à même des murs décrépis, de façon maladroite car un marin n'est ni un peintre ni un maçon. Maylis et Matteo interprètent magnifiquement leur rôle. Quant à la grand-mère, on n'en voit peu de telle au cinéma : plus vraie que nature.
Finalement, Dom accepte le départ de ses enfants et décide de reprendre le "grand métier". Et l'on voit "Le Petit Gaël" fendre les flots sur une musique superbe de Vincent Girault. Lorsqu'il découvre ce que Maylis, qui avait rompu avec lui, ayant même envisagé de faire annuler l'adoption, dit de lui dans son entourage, il comprend combien les liens qui les unissent sont forts et l'on assiste à une scène très émouvante entre ce père et sa fille adoptive qui, en pleurs, se confie à lui et lui révèle les épreuves douloureuses qu'elle a subies et les cauchemars qui l'ont hantée. Le film se termine par une séance de tatouage où s'inscrit dans la chair de la jeune fille, par une souffrance cette fois volontaire, la trace indélébile d'un être éphémère…
Mettre ainsi à nu des personnes, conduites à exposer des moments intimes, des blessures, de leur vraie vie, peut choquer. Des spectateurs ont ressenti un certain malaise, devant des scènes pouvant être perçues comme impudiques, surtout lorsque les acteurs sont de très jeunes gens. Mais tout acteur est amené à exprimer des sentiments qui ne sont pas forcément simulés, les puisant souvent au tréfonds de lui-même, sans que le spectateur n'en sache rien. Pour ma part, tout en connaissant ce casting, je n'ai pas éprouvé de gêne, car j'ai simplement vu un film, qui résonnait plus vrai que d'autres. Je ne pensais pas qu'il s'agissait d'une reproduction exacte, en tous points, de la stricte réalité. Je considérais que l'histoire vraie en toile de fond rendait ce récit plus crédible et, surtout, je mesurais le travail du réalisateur pour obtenir ce résultat. Car il ne suffit pas d'avoir vécu pour bien exprimer.

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Entretien avec Samuel Collardey
Parce que le réalisateur est interrogé lors de projections avec débat, il est amené à devoir préciser que les intéressés vont bien, même mieux, le film ayant eu un effet salutaire sur cette famille. Ce qui rejoint le propos quelque peu condescendant tenu sur France Inter par Laurent Delmas dans "On aura tout vu", qui parlait le 27 février de "thérapie familiale" et regrettait l'absence de la mère dans l'histoire (en effet, le parti-pris, pourquoi pas, est axé sur le père et justement le métier particulier qu'il exerce).
Sur le fond, comme il me l'a confié, Samuel Collardey espère bien que son film "se suffise à lui-même". Pour lui, c'est "une pure fiction". Il ne s'agit pas d'un documentaire. S'il a déjà utilisé le procédé avec L'Apprenti (autre beau film sorti en 2008, sur un apprenti paysan), cela n'a pas été le cas avec son précédent film (Comme un lion, une histoire vraie mais jouée par d'autres) et il n'envisage pas de renouveler obligatoirement l'expérience dans un prochain film.
Il s'étonne que cela étonne, car le néo-réalisme italien agissait ainsi. Ce qui compte, pour lui, c'est le résultat, et non la façon de procéder. D'autant plus qu'il ne suit pas fidèlement ce qu'ont vécu ses acteurs. Mais il vrai qu'il capte des paroles fortes qui s'expriment spontanément au cours d'une prise de vue (justement, par exemple, quand Dom dit : "ici, l'adulte c'est moi"). Et la durée du tournage, environ dix mois, permet de réécrire, de réorienter le scénario. C'est Catherine Paillé, sa co-scénariste, qui a trouvé cette famille des Sables-d'Olonne.
Dominique Leborne :
Il a obtenu un prix d'interprétation à la 72ème Mostra de Venise (2015) : du Meilleur Acteur. Même prix au Festival International du Film Francophone de Namur (2015).
Il a bel allure, l'Indien des mers avec son catogan, et cette façon naturelle de jouer (sans retenue mais sans sur-jouer) peut faire qu'il soit appelé par d'autres réalisateurs. Pour le moment, comme à la fin du film, après avoir couru les festivals, il a repris la (haute) mer il y a quelques jours.

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Photos fournies par Ad Vitam Distribution.
Sortie en salle le 24 février. Dossier de presse (pdf) : ici
Billet n° 250
Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr
Tweeter : @YvesFaucoup
[Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question. Par ailleurs, tous les articles sont recensés, avec sommaires, dans le billet n°200]