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Billet de blog 5 juin 2020

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Parents confinés, donc enfants maltraités!

Le confinement a été l’occasion dès le premier jour d’affirmer que les parents allaient maltraiter leurs enfants. Des chiffres officiels du 119 tendent à le confirmer mais il faut attendre les chiffres réels du terrain pour en être certain. Comme il serait toujours préférable d’interroger les professionnels qui sont en charge réellement de la protection de l’enfance.

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Illustration 1
[Romolotavani via Getty images]

Selon le 119 il y a eu une hausse de 56 % du nombre des appels pendant le confinement. Finalement, les catastrophistes qui nous annonçaient qu’on allait assister à une maltraitance décuplée sont tout surpris : dans la même période, il y a eu 8 enfants tués au cours du confinement contre 17 (en 2018) et 18 (en 2019). Ce serait dû à la vigilance accrue. Peut-être, mais difficile de tirer des leçons à chaud sur la base de tels chiffres. De la même façon, on nous avait annoncé que l’augmentation des appels avait été de + 90 % dans la semaine du 13 au 20 avril (par rapport à la même semaine de 2019) : non seulement, une statistique sur une semaine n’est pas significative mais il y a une certaine irresponsabilité à s’empresser à la publier alors même qu’il est fort possible que hors confinement il est déjà arrivé des sautes spectaculaires dans les chiffres sur de courtes périodes. Sachant qu’il ne s’agit pas de cas avérés mais de suspicions. Adrien Taquet, le secrétaire d’État à la protection de l’enfance, qui livrait ces chiffres devant l’Assemblée le 22 avril, y voyait « le signe des violences pendant cette période de confinement », mais ajoutait que c’était aussi « le signe, le baromètre, de notre vigilance accrue ». A noter que le 30 mars, après quinze jours de confinement, LCI constatait qu’il n’y avait aucune hausse du nombre d’appels au 119. Qui croire ?

Les appels urgents transmis par le 119 aux Cellules de recueil d’informations préoccupantes (CRIP), au sein de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), dans les Conseils Départementaux (CD), auraient progressé de 60 % (à la date du 20 avril). En un mois, entre le 16 mars et le 20 avril, selon les ministres de la justice et de l’intérieur, les interventions des services de police ou de gendarmerie à domicile pour des différents familiaux auraient augmenté de 48 %, avec 92 placements d’enfants en urgence (chiffre donné sans comparaison avec ce qu’il était il y a un an, au cours de la même période). Pour ma part, j’attends une étude plus approfondie qui ne se contenterait pas des stats du 119 ou d’un communiqué de Belloubet et de Castaner. Je n’exclus pas totalement qu’il y ait instrumentalisation de la violence éventuelle intrafamiliale. Sans avoir aucun élément, le 7 avril, un directeur d’association de protection de l’enfance affirmait tout de go : « la violence ne peut aller que crescendo » !  

Je ne suis pas ignorant des risques d’une situation d’enfermement telle que celle que nous venons de vivre, mais je me méfie de l’emballement, souvent pour des raisons pas forcément déterminées par l’intérêt des enfants. Ainsi, en Seine-Saint-Denis, où les signalements auprès du 119 ont progressé comme ailleurs, le nombre des informations préoccupantes (IP dans le jargon du métier) est passé de 350 en moyenne par mois à 130 ! Damned ! Quand le nombre augmente, c’est préoccupant. Quand il baisse aussi : 20minutes titre sur les « inquiétudes de l’Aide sociale à l’enfance » du 93. Dans ce département où près de 6 000 enfants sont placés, chaque mois, d'ordinaire, 100 nouveaux enfants font l'objet d'un placement : cette fois-ci, 70 « seulement ». La responsable départementale du secteur protection de l’enfance précise bien que ce qui inquiète, à propos des familles qui seraient passées sous les radars, ce n’est pas uniquement les violences car « la plupart des dossiers que nous traitons sont relatifs à de la négligence ou des carences éducatives ». Sauf que ce genre de précision, tout à fait pertinente, n’intéresse ni l’opinion publique ni les médias, plus attirés par la violence extrême, qui évite de s’interroger sur ce qu’est vraiment l’enfance en danger : comment voulez-vous que certains people se mobilisent pour des enfants qui seraient confrontés à des carences éducatives, avec des parents qui ne seraient pas forcément des monstres, mais qui s’y prendraient mal et auprès desquels un travail éducatif est à mener ? Que nenni : cela ne les intéresse pas, il leur faut du saignant pour démontrer toute la profondeur de leur engagement.

Illustration 2
[AFP Karine Pierre site France Inter]

Pour causer de cette hausse des appels au 119, France Inter a organisé le 1er juin un Téléphone sonne. Étaient invités pour en causer : Adrien Taquet, le secrétaire d’État à la Protection de l’enfance, qui assure pas trop mal, sauf qu’il se croit obligé de dire à une auditrice, qui est inquiète pour son arrière-petit-fils et sur un dossier qu’il ne connaît pas, qu’il y a peut-être un manque de formation des travailleurs sociaux et de la gendarmerie dans le recueil de la parole ! On a évidemment Martine Brousse, de La Voix de l’Enfant, qui rend compte du 119 comme si c’était elle qui le gérait. Enfin, un médecin décrit son action, intéressante, contre les violences dans l'éducation des enfants.

Six appels téléphoniques seulement passés à l’antenne dont une auditrice qui déroule longuement l’action qu’elle a impulsée avec son association (aide aux jeunes LGBT), elle donne au moins 5 fois l’adresse internet de son site. Elle décrit dans le détail une situation, un peu comme si c’était la seule qu’elle connaissait. Il reste très peu de temps ensuite à Véronique, puéricultrice de PMI (Protection Maternelle et Infantile) pour exposer le manque de moyens et les situations signalées qui ne peuvent être prises en charge. Puis Sylvie, responsable d’un service social scolaire, la dernière, prévenue par la journaliste Fabienne Sintes qu’elle n’aura droit qu’à 45 secondes, juste le temps de dire que 30 % des informations préoccupantes viennent de l’école mais sans pouvoir rendre compte de son action. On lui coupe la parole pour la donner à Martine Brousse qui a été particulièrement flagorneuse envers le ministre et les médias, dont, bien sûr, France Inter. Une fois de plus la radio de service public n’aura pas bien traité la question de l’enfance. Comme toujours, c’est un peu comme si un sujet sur l’école était abordé sans inviter un seul enseignant. Le lendemain matin, France Inter récidive : pour parler des Ehpad, qui est interviewé ? Un responsable de l’Armée du Salut ! *

. les professionnels de l'éducatif et du social devraient vraiment s'emparer de ces occasions, et téléphoner en masse aux standards des radios pour se faire l'écho des réalités de terrain vécues par celles et ceux qui traitent vraiment de la protection de l'enfance.

* On m’a signalé que l’Armée du salut gère plusieurs Ehpad : c’est vrai, mais 8 sur 7200.

Illustration 3
[Annie Spratt via Unsplash sur Slate]

Utiliser l’enfant pour soigner son parent ?

Il est rare qu’un article de presse soit aussi précis et détaillé sur les mesures de protection de l’enfance à domicile. C’est plutôt réconfortant. A lire (sur Slate).

Par contre, vers la fin, il donne la parole à des intervenants dont certains propos sont discutables. Dire que l’on remet des enfants à leurs parents pour soigner les parents, est un lieu commun selon moi infondé : je n’ai jamais vu, parmi les centaines de situations que j’ai eu à connaître, de décisions de retour d’un enfant dans sa famille ou de maintien de liens dans le but de soigner le parent. On peut toujours prétendre qu’il s’agissait d’une intention inconsciente, mais en équipe je n’ai jamais entendu ce genre d’argument. Ensuite, le fait que l’on maintiendrait à tort des liens avec les parents, je crois que c’est vrai mais dans un nombre faible de cas. Le plus souvent ce maintien de liens est justifié, sauf à basculer dans un traitement inhumain de la protection de l’enfance, tant pour les parents que pour les enfants. On est là dans un discours idéologique qui plait à certaines belles âmes qui, de loin, se préoccupent des "pauvres enfants" victimes de parents qui, selon elles, ne méritent pas de l’être.

. Comment décide-t-on de retirer un enfant à ses parents?, sur Slate, 19 mai.

Illustration 4

Récit de l’intérieur d’un institut pour enfants

La plupart des établissements et services intervenant auprès des enfants ont fonctionné et sont restés vigilants, même si les médias en ont peu causé. Une éducatrice spécialisée, touchée par le Covid19, raconte comment a fonctionné l’IME-IMPro qui l’emploi : relations avec les enfants et les parents (ici).

« Kidnapping légal »

La justice allemande a décidé qu’une enfant de 8 ans, dont la mère Stéphanie a la garde, à Toulouse, doit être rendue au père qui vit en Allemagne. La cour d’appel de Toulouse a validé le jugement allemand, en plein déconfinement. Dossier de France Bleu Haute-Garonne : ici.

Billet n° 555 : Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique.

Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup

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