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Magnifique film vu à sa sortie en 1971, vu plusieurs fois depuis et, confidence, reçu en cadeau (DVD) il y a quelques jours lors des fêtes de fin d'année. Jean-Luc Bideau, dégingandé, désabusé, carré, éloquent (petite ressemblance avec Maris), joue Pierre, journaliste réaliste. Jacques Denis, avec sa bouille sympa, sa belle voix profonde, ses chansons de troubadour, interprète Paul, idéaliste, poète imaginatif. Bulle Ogier, regard de biche, boudeuse, effrontée et docile, nature et naïve, toute de noir vêtue et mini-jupe, est Rosemonde (la "salamandre"), accusée par son oncle de lui avoir tiré dessus. Les deux hommes enquêtent, chacun à sa manière, pour retracer la vie de cette jeune fille perdue. Histoire incertaine, une vérité qui file entre les doigts, des dialogues, parfois décalés, mais sublimes, une philosophie de tous les instants mâtinée de drôleries (comme les deux compères simulant le racisme de l'un à l'encontre de l'autre, dans un bus, pour provoquer des réactions chez les passagers).
Un bonheur de film. Un des moments inoubliables, véritable scène d'anthologie : le journaliste et le poète, le grand Pierre et le petit Paul, dans les bois suisses enneigés, discourant sur l'enquête qu'ils mènent sur Rosemonde, porteuse de tant de malheurs, émettant des hypothèses antagonistes sur sa vie, sur sa culpabilité ou non, et hurlant à tue-tête : "Ah ! que le bonheur est proche, ah ! que le bonheur est lointain". Bernard Maris, poète du réel, l'avait peut-être chantonné.

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"On est en route vers la barbarie"
Perdus dans le bois, Paul avait affirmé, péremptoire : "On s'en sortira ! En passant par là : on est en route vers la terre promise, ou bien, par là, on est en route vers la barbarie". Mais la barbarie, en ce temps-là d'après 68, était celle que nous préparaient les technocrates. Il avait écrit dans son carnet, pour parfaire sa compréhension de Rosemonde : "La salamandre est comme un lézard, elle est noire, elle ne craint pas le feu et peut traverser les flammes sans se brûler…" Pierre, écrivant par ailleurs un article sur le Brésil où il s'était rendu avant cette enquête, avait pensé : "à quoi cela pouvait-il servir de réaliser qu'il y avait une correspondance entre l'écrasement des corps, là-bas, et l'écrasement des esprits, ici. On pouvait le savoir et le dire, mais cela allait rouler comme un caillou dans le grand fleuve gris de l'information".
Une voix off nous prévenait : "Une majorité silencieuse est composée de gens comme vous et moi, munie de bras et de jambes, mais qui de temps à autres, dans le secret d'un isoloir, séparés de leurs frères comme aux toilettes, votent pour des cuistres et des canailles".
"Nous étions aujourd'hui le 20 décembre. Les fêtes, comme on dit, se faisaient menaçantes à l'horizon. La marchandise imposait ses lois à la foule qui partait à l'assaut des magasins. C'était l'époque de l'année où se remarquait le mieux une tendance marquée à la schizophrénie, un phénomène qui tendait de plus en plus à affecter le corps social tout entier".
DVD : www.editionsmontparnasse.fr
[ce texte est une légère variante d'un petit billet que j'ai posté aujourd'hui sur mon compte Facebook]

- Jacques Denis n'avait jusqu'alors joué que dans un seul film. Il apparaît ensuite dans une vingtaine de films (dont une scène célèbre de I … comme Icare) et une trentaine de téléfilms. Il est décédé le 2 décembre 2015
[Photo Michel Bourdais ©]
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. A la recherche de Bernard Maris, documentaire réalisé par Hélène Fresnel (sa dernière compagne) et la journaliste Hélène Risser. Le film, dans lequel est évoqué la passion qu'avait Bernard Maris pour la Salamandre, commence justement par un court extrait, avec des images de Pierre et Paul dans les bois, lorsque Pierre (Jean-Luc Bideau) proclame : "avant de crever, le capitalisme dans sa perversité fondamentale et la bureaucratie, dans son dogmatisme obtus, font chier encore pas mal de monde".

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Bernard Maris, dans une interview ancienne, explique : "ce qu'il recherche systématiquement, c'est de détruire du collectif. Il ne peut pas vivre autrement, le capitalisme, c'est-à-dire en repérant des choses qui sont collectives, autrefois c'était la terre, maintenant la terre est totalement privatisée, mais enfin il reste quelques forêts par-ci par-là, maintenant c'est l'air, qui va être bientôt privatisé, c'est la vie qui est privatisée, c'est l'information, etc… Il ne peut vivre qu'en progressant au détriment du collectif".
Riss explique qu'au moment du massacre, la rédaction de Charlie Hebdo menait une discussion houleuse sur Houellebecq, qui sortait le jour même son roman Soumission : les contre, les pour, dont Maris, dont c'est le côté "fouteur de merde" qui l'aurait conduit, selon Riss, à défendre Houellebecq.

Ce documentaire, qui aborde certains paradoxes de Maris (membre d'Attac et du Conseil général de la Banque de France, nommé à ce poste par son ami Jean-Pierre Bel, président du Sénat) est visible en intégralité ici
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. Oncle Bernard, l'anti-leçon d'économie, documentaire de Richard Brouillette.
Sorti le 9 décembre. Voir extraits vidéo ici
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Pour saluer Bernard Maris, Flammarion, 2016. Collectif : dont Sébastien Lapaque et Jacques Sapir.
Billet n° 241
Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr
Tweeter : @YvesFaucoup
[Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question. Par ailleurs, tous les articles sont recensés, avec sommaires, dans le billet n°200]