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Les médias se sont fait largement l'écho de quelques propos tenus par le Président Emmanuel Macron au Collège des Bernardins à Paris, devant les évêques de France. Ils ont noté la phrase selon laquelle il faudrait réparer le lien abîmé entre l'État et l'Église. A se demander si le chef de l'État ne l'a pas fait exprès, pour qu'elle soit citée, cette phrase étant placée au tout début de son allocution.
Je n'écris pas discours, peut-être même qu'allocution n'est pas le mot qui convient, je me demande si sermon ne serait pas plus approprié. Ce que pourrait d'emblée laisser entendre la seconde phrase qui a été rapportée, lorsqu'il enjoint les catholiques à s'engager en politique.
C'est un sermon, un peu à la manière d'un Henri Guaino écrivant pour Sarkozy : une sorte de gloubiboulga où tout y passe, de façon parfois quelque peu confuse, sans doute volontairement pour pouvoir dire sans dire vraiment. A d'autres moments, on est carrément dans la brosse à reluire : ces propos auraient pu être tenus par un diacre parlant au clergé, disant toute sa foi tout en admettant qu’il n’est pas encore dans le saint des saints. Il sent bien qu'on va dire qu'il en fait trop ("les sceptiques de chaque bord", "infraction avec la laïcité"), mais espère sans doute que son discours ne sera pas lu : il peut donc se permettre de dire à son auditoire qu'il ne défend pas "une religion d'État substituant à la République un crédo républicain", ce qui pourrait bien être interprété comme un désaveu de la laïcité.
L'univers sel de M. Macron
Ce qu'il va égrener pendant une heure c'est l'importance du spirituel, du catholicisme (même pas du chrétien, sauf quand il s'agit des Chrétiens d'Orient), et de l'universel, pour bien montrer qu'il connaît l'étymologie du mot catholique. Occasion pour moi de relever que l'univers sel, il aime bien puisqu'il assaisonne son discours "du goût et du sel" (comme il l'avait répété plusieurs fois lors de son intervention sur l'Acropole, à Athènes). Soit il ramène ainsi son grain de sel pour parsemer son discours de formules qui laissent entendre qu'il en est l'auteur, soit il glisse un message subliminal aux catholiques : "si le sel vient à s'affadir avec quoi le salera-t-on ?". D'ailleurs, il semble qu'il distille quelques expressions ou idées dans lesquels les évêques doivent se reconnaître, même si le profane ne les perçoit pas.
Chemin faisant, il jette des petits cailloux : tous les auteurs que les évêques et l'élite de leurs ouailles aiment bien sont cités (Mounier, Pascal, Ricœur, Lubac, sans son prénom comme pour bien montrer qu'il connaît le jésuite, et… Simone Weil, "la philosophe").
Interpellé par l'évêque sur les migrants, il dit d'abord que sa politique concilie le droit et l'humanité, comme le veut le Pape. Mais insiste sur le risque de "concurrence des misères", ce qui signifie que l'État ne peut pas faire davantage parce qu'il a le souci de la cohésion nationale et redoute ceux qui ne voient que "la part effrayante de l'autre" (en clair, le FN qui risque de progresser). Donc reprise de la formule de Rocard, habilement inversée, afin d'insister sur la deuxième partie : "il faut accepter que, prenant notre part de cette misère, nous ne pouvons pas la prendre tout entière".
Sur la bioéthique, le propos balance entre conceptions religieuses et réel, semblant s'en démarquer, pour finalement mieux l'approuver quant à "la fabrication et la manipulation du vivant".
Vive les Restos du Cœur !
Le conférencier a de l’à-propos puisqu’en plein mouvement social à la SNCF, il dit que ce qui "grève" notre pays, c’est le "relativisme", même, excusez du peu, le "nihilisme". Sur les plus démunis, il se plaint que nos concitoyens en soient arrivés à se dire : "Pas la peine d'apprendre, pas la peine de travailler". Ils se disent "à quoi bon" puisqu’ils sont mal rémunérés, sous-entendu ils préfèrent ne pas bosser. Et de prononcer cette phrase guère compréhensible : "Les Français ne mesurent pas toujours cette mutation de l'engagement catholique ; vous êtes passés des activités de travailleurs sociaux à celles de militants associatifs se tenant auprès de la part fragile de notre pays, que les associations où les catholiques s'engagent soient explicitement catholiques ou pas, comme les Restos du Cœur." !
A croire que la plume a mal digéré un cours d'histoire du social. Les catholiques auraient été travailleurs sociaux pour devenir des militants associatifs ? Il ne parle pas du parcours individuel de retraités se consacrant au caritatif, il dit que c'est une mutation de l'engagement catholique. Franchement, c'est n'importe quoi. Il y a un risque : qu'il veuille simplement dire la supériorité de cet engagement bénévole, ce qui lui permet de conclure sur les Restos du Cœur. On n'oubliera pas que la campagne de cet hiver de cette association a été ouverte à l'automne en présence d'Emmanuel Macron, ce qui est aussi obscène que Jacques Attali, conseiller du président Mitterrand, penché sur les fonds baptismaux des Restos en 1985. Comment un chef d'État peut-il avouer aussi publiquement l'impuissance des pouvoirs publics ?
Il proclame que "la première des dignités" est "celle de pouvoir vivre de son travail". Alors que la première dignité c'est d'avoir un travail et sinon (c'est constitutionnel) de disposer de moyens convenables d'existence. Il ne parle pas de chômage, de chômeurs, de gens au RSA (sans emploi donc, et sans indemnités). Non, les démunis, il les voit (seulement) dans ceux que l'Église vient de lui montrer : les malades, les autistes, les handicapés… Silence à propos des autres. Il dit se soucier de "ceux qui travaillent au cœur de la société française, ceux qui s'engagent pour soigner ses blessures et consoler ses malades". Il ne pense pas aux infirmières (dont l'une a essuyé récemment ses sarcasmes), ni aux travailleurs sociaux (qu'il ne va pas voir), non, il s'adresse là justement aux catholiques engagés dans l'aide aux souffrants. L'idéologie à l'œuvre est que chacun est responsable de son destin et que chacun peut le changer s'il le veut
Le salut c'est le sens !
Il loue l'Église et sa sagesse au cours des siècles des siècles, elle qui "tente ses paris et ose son risque" (bonjour le charabia), "c'est par là qu'elle a enrichi la nation", elle, l’Église, "qui a si fortement contribué à forger la République" : ah bon, d'où ça sort cette assertion ? Comme si elle n'avait pas béni Pétain (tous les évêques ne s'appelaient pas Saliège). Emporté dans son élan, il va jusqu'à dire que la France est catholique parce qu'elle se préoccupe de "la question intranquille du salut", que d'autres, dit-il, appelle le sens ! On découvre vers la fin qu'il a causé devant les représentants d'autres religions, sans qu'il n'ait dit le moindre mot à leur intention.
Enfin, il loue le colonel de gendarmerie qui a remplacé une otage, en disant d'abord qu'il a accompli cet acte héroïque parce que militaire, parce que franc-maçon (j'avais raté cette info), parce que catholique. Chacun est content, mais il va longuement s'étendre sur sa foi ardente, alors même que Mgr Pontier, qui avait évoqué le colonel Arnaud Beltrame, à la fin de son discours, s'était gardé, lui, d'invoquer sa foi catholique. Il rend hommage à une kyrielle d'organisations catholiques dont Caritas, il cite des Pères de l'Église, et tente de relier son principe de "refondation" d'En Marche avec le même que professe l'Église de France !
. discours du Président de la République publié par La Croix : ici.
En-même-temps
On avait compris que "en-même-temps" signifiait ni à gauche ni à gauche. On avait compris qu'il fallait que les plus modestes se serrent la ceinture tandis qu'en même temps les plus riches bénéficiaient de cadeaux fiscaux inédits. Et que pour l'accueil des migrants, malgré la promesse ("humanité et fermeté"), ce ne serait ni humanité ni humanité (par exemple, les députés LREM refusant d'interdire la rétention des enfants). Quant à la SNCF, la mise en concurrence ce ne serait pas la privatisation, non non ! On jure ses grands dieux qu'on veut sauver les hôpitaux … avec des coupes drastiques dans leurs budgets. On fragilise des pans entiers de la sphère publique pour les offrir sur un plateau d'argent aux entreprises privées. Désormais, les Robocop chassent les étudiants grévistes au sein même des Universités, ou les utopistes d'un autre monde à NDDL. La police refoule des antifascistes à Bordeaux pour laisser impunément de vieux croûtons racistes et islamophobes parader. Enfin, dernier acte de bravoure en date, le Révérend Père Macron soutient l'Église catholique, veut "réparer le lien entre l'État et l'Église", la caressant dans le sens du poil sur l'homosexualité et l'avortement. Ce n'est plus "en même temps" mais "tout et n'importe quoi".
[10 avril]
La retraite à 63 ans !
Le Canard enchaîné révèle aujourd'hui que les complémentaires Agirc et Arrco, suite à un accord non signé par FO et CGT, ont décidé de réduire de 10 % la pension complémentaire pour ceux qui prennent leur retraite à l'âge requis et ce pendant 3 ans, pour les inciter à continuer à travailler un an. S'ils travaillent jusqu'à 63 ans, ils ont une pension complète, et s'ils vont jusqu'à 64 et 65, des bonus. Tranquillement, en toute discrétion. Pour faire 180 millions d'euros d'économies par an. Petit rappel en passant : baisse de l'ISF, 3,5 milliards, soit 19 fois ce qui manque aux complémentaires pour boucler leur budget.
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Autre rappel, car on finit par tout mélanger et oublier les détails, et l'essentiel est dans les détails :
. loi Chirac-Fillon 2003 : progressivement durée de cotisation 42 ans au lieu de 40 (effectif en 2023/25)
. loi Sarkozy-Fillon 2010 : progressivement âge de départ 62 ans au lieu de 60 (effectif depuis 2017)
. loi Hollande-Ayrault 2013 : progressivement durée de cotisation 43 ans (effectif en 2035). Selon moi, pire que celle de Sarko, même si l’échéance est lointaine, car oblige réellement tout le monde à travailler 43 ans, alors qu'imposer l'âge de 62 ans était de toutes façons en vigueur pour quiconque avait commencé à travailler à 20 ans (+ 42 = 62).
. décision récente Agirc-Arrco comme lettre à la poste : 63 ans !
[11 avril]
Billet n° 387
Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr
Tweeter : @YvesFaucoup
[Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question. Par ailleurs, tous les articles sont recensés, avec sommaires, dans le billet n°200]