Lors de son meeting de samedi à Paris, il dit se préoccuper à la fois de "ceux qui cherchent du travail" et de "ceux qui veulent embaucher et qui n'y arrivent pas". Un point partout. Ce mythe de l'entrepreneur qui ne trouve pas à recruter devrait avoir fait long feu, mais il l'enfourche allègrement. Plus exactement, il monte en épingle un fait marginal et met sur le même plan deux questions sociales qui ne sont pas d'égale importance. C'est à l'image des idées qu'il véhicule, et qui peuvent trouver preneurs dans une société dépolitisée.

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Libérez, libérez l'économie…
Dans la grande famille des créateurs, c'est comme à la Samaritaine, on trouve tout : "l'artisan crée, l'ouvrier crée, l'entrepreneur crée, l'artiste crée". La foule l'ovationne quand il dit qu'il faut "réduire le coût du travail pour les entreprises", car cela nuit aux investissements. Et aussi quand il annonce que le CICE sera transformé en allègement pérenne de 6 points pour toutes les entreprises quelles qu'elles soient : "secteur marchand et économie sociale et solidaire, grandes et petites, indépendants et artisans". Il faut "libérer le travail" et de confier à son auditoire que récemment à New York il a croisé Joseph Stiglitz, sans que l'on sache exactement ce que le grand maître lui a confié, sinon peut-être que "le travail est la clé de l'émancipation contemporaine". Il appelle aussi "à libérer le dialogue social au plus près de l'entreprise et du terrain" et d'illustrer son propos aussitôt : la loi ne peut être la même à 25 ans, à 35 ans, à 45 ans ! Parce que l'on n'est pas fatigué de la même façon… selon où l'on travaille (ah, ce n'est plus une question d'âge).
Sa subtilité, avec ses gros sabots, fait ses preuves quand il annonce le maintien des 35 heures, alors qu'il avait tant annoncé le contraire (il faut gratter un peu à gauche ?), mais c'est pour dire : comment, on réclame partout de la diversité, et il faudrait fixer la durée du travail à 39 heures ? Que nenni ! Malin, d'autant plus qu'il prône aussitôt, sans que l'on voit clairement le lien avec ce qui précède, "l'égalité entre les hommes et les femmes". La salle exulte.

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Le modèle social français, c'est 1945. "Il a formidablement fonctionné". Mais c'était avant : à l'époque, "le chômage était anecdotique, c'était le plein-emploi". Aujourd'hui, le travail est concurrencé par les pays à bas coût et par la robotisation. Il propose alors que toutes les cotisations maladie et chômage payées par les salariés soient supprimées : pas le temps de finir sa démonstration, les fidèles se déchaînent et applaudissent. Manifestement, il y a dans la salle une claque qui a été recrutée pour taper dans les mains à un rythme soutenu, ma parole. Il complète : la CSG, à 1,7 point supplémentaire compensera. Seuls seront impactés les revenus du capital (mais "1,7 ce n'est pas énorme") et la moitié des retraités les plus aisés (ils peuvent bien faire ça pour "leurs enfants et leurs petits-enfants", non mais, d'autant plus que leurs impôts n'augmenteront pas, croix de bois, croix de fer).
Petit coup à gauche : à propos de la fonction publique, il hurle "nous devons la laisser inventer". Pas d'applaudissements. Et flottement dans la salle quand il glisse en confidence : "il faut imaginer Sisyphe heureux". Flop ! Il faut imaginer que les jeunes cadres dynamiques n'ont pas lu Camus. Alors il précise : "aucun fonctionnaire n'a plaisir à appliquer bêtement des lois". Il faudra simplifier. Et les fonctionnaires devront cesser d'importuner les entrepreneurs qui ne font pas des erreurs que pour tricher.
Il prône trois bouclier : sécurité, "social-actif", européen. Pour le social, il rappelle la formule (sarkozyste ou wauquiezienne) : "ne pas avoir tous les droits sans devoirs". Là aussi lapalissade : bien sûr qu'en société droits et devoirs sont concomitants, mais rappeler les devoirs précisément et uniquement à ceux qui sont conduits à solliciter des droits sociaux n'est pas innocent. C'est encore distiller de la suspicion. Pourquoi ne pas rappeler surtout les devoirs constitutionnels de l'État (d'assurer des moyens de subsistance décents à ceux qui n'ont pas de travail).
Si sa volonté de développer la formation est honorable, la mesure prévoyant l'indemnisation chômage y compris pour un démissionnaire est à double tranchant : elle est présentée comme favorable au salarié, alors qu'elle est manifestement destinée à faciliter le licenciement. Et de mettre en cause les salariés qui font chantage sur les employeurs : "tu ne veux pas me licencier, parce que tu ne veux pas payer le chômage, alors je vais te faire une vie impossible : c'est ça qui alimente les prud'hommes". Et justifierait, selon lui, les ruptures conventionnelles (vision bien tendancieuse du problème). Selon le principe du balancier, un petit coup en face : des employeurs imposent des conditions de travail pénibles par le fait que ceux qui ne sont pas contents peuvent toujours partir ("il y en a beaucoup qui attendent dehors"). Ainsi, il définit un droit à la mobilité : tout le monde aura droit au chômage, y compris les artisans. Mais, sans se déconcentrer, il affirme : "ce ne sera plus un droit, mais une solidarité" : donc chaque chômeur aura "le devoir de travailler quand un travail est proposé".

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En Marche… contre l'assistanat
L'assistance du meeting d'Emmanuel Macron à Paris, a-t-on dit, était constituée essentiellement de cadres supérieurs. A l'applaudimètre, il semble que les mesures néo-libérales proposées par l'ancien ministre de l'économie recueillent un large succès. J'ai noté que le moment le plus applaudi de ce discours fleuve, la salle se levant comme un seul homme, c'est lorsqu'il dit que l'incitation à la reprise d'un emploi sera renforcée par une augmentation de la prime d'activité. Et de s'expliquer par une phrase alambiquée et subtile : "car un salarié à mi-temps au Smic ne voit pas sa rémunération augmenter quant il reprend une activité à temps plein". Il conclut : "pour que, partout dans notre pays, vous ne puissiez plus entendre qu'il est plus intéressant de ne pas travailler ou de travailler moins que de se mettre au travail". Il sait pertinemment que la prime activité (comme le RSA activité qu'elle remplace depuis un an) permet justement d'améliorer le revenu d'un salarié qui retrouve un temps plein. Il n'a sûrement pas décidé de faire là du Wauquiez ou du Fillon par hasard. Mais il semble presque surpris de l'enthousiasme qu'il déchaîne. Et enchaîne vite sur le sujet suivant. Cette scène en dit long sur le public qu'il rameute. Et sur l'efficacité d'une propagande purement polémique, méprisante pour ceux qui galèrent, mais qui a fait son chemin dans l'opinion publique.

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[Capture d'écran au moment fatidique où Emmanuel Macron susurre qu'on ne pourra plus dire qu'il est plus intéressant de ne pas travailler… Au premier rang, on reconnaît son porte-parole (à droite), qui se lève et entraîne toute la salle dans un tonnerre d'applaudissements. Benjamin Griveaux est l'auteur de "Salauds de pauvres", Fayard 2012, dans lequel, il propose, entre autres, la création d'une notion de "handicap social" pour les publics au RSA les plus marginaux]
Macron censuré
Certes, Emmanuel Macron déclare qu'"il n'y aura pas de laisser-pour-compte". Il dit se préoccuper du chômage, véritable "désespérance". Mais son hymne au travail sonne comme une évidence. Il pourrait proclamer : il vaut mieux être riche et bien portant que pauvre et malade, et serait ovationné par ses aficionados. Car lors de son meeting de samedi à Paris, il était à peu près interrompu à la fin de chaque phrase par des applaudissements nourris, parfois très mécaniques et inappropriés. Sans doute mise en scène, comme lorsqu'il invente Erasmus en souhaitant que désormais chaque jeune puisse se former dans un autre pays européen : sans que l'on comprenne bien pourquoi, toute la salle se lève et applaudit à tout rompre. Et ne se rassoit pas, comme si un chauffeur de salle avait indiqué que c'était le moment, avant la tirade finale de leur mentor. Tirade qui a été surfaite et s'est transformée en hurlements soudains du conférencier, ce qui lui a valu une bonne dose de moqueries dans les médias et sur les réseaux sociaux. Du coup, sur la vidéo que j'ai consultée [1h30 de discours !], sur Francetvinfo [mais il s'agit d'images fournies par le staff d'En Marche], étrangement ce final pas très glorieux a été coupé*.
*[mais il est présent sur de nombreuses vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux. On notera le nouveau geste prisé chez les néo-libéraux]. http://www.francetvinfo.fr/…/direct-presidentielle-regardez…

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Social : le devoir de Sciences-Po de Macron
Dans son livre Révolution, au chapitre Faire plus pour ceux qui ont moins, Emmanuel Macron consacre 6 pages à la question des minima sociaux. Il a pondu une sorte de devoir d'étudiant en première année de SciencesPo : rien de choquant, beaucoup d'évidences, un survol sur le sujet, un fourre-tout effleuré, pour ne pas dire un gloubi boulga gentillet, tout et rien à la fois, une affirmation de quelques valeurs plus qu'un projet. Rien n'est creusé.

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Il dit se préoccuper des " Français les plus modestes et les plus fragiles" : "leur destin est lié à la conjoncture économique, ils sont les premières victimes de la concurrence exacerbée et des transformations technologiques, de la précarité et du chômage, des problèmes de santé et du retraits des services publics". Jusque là, rien à redire. Puis il considère que ces "fractures" expliqueraient que notre pays soit attaché à l'égalité, que nous refusions l'individualisme et soyons favorables à la solidarité. Explication discutable, car je n'ai pas besoin que les inégalités soient à l'extrême pour défendre l'égalité, devise de la République. Mais c'est sans doute ce qui lui permet de tenir compte de "nouvelles inégalités" auxquelles répondent de "nouvelles sécurités" et "nouvelles protections". Toutes ces nouveautés, c'est pour dire que finalement les solutions ne peuvent plus être uniformes. Aïe, qu'est-ce qu'il va faire de ça ? Il ajoute : l’État doit prendre en compte pour chacun non pas ce qu'il est mais ce qu'il peut devenir. Très bien mais quelles conséquences ? Il se contente de lister des lapalissades selon lesquelles les aides financières ne suffisent pas, l'intervention doit être envisagée en amont, la prévention de la santé privilégiée. Et de se saisir de l'égalité au moins pour pouvoir glisser discrètement que le fait que des "régimes spéciaux subsistent n'est pas acceptable" (c'est la seule proposition concrète, encore qu'elle n'est pas développée).
Il évoque les "9 millions de nos concitoyens vivant sous le seuil de pauvreté avec moins de 10 euros par jour pour vivre". Pour eux, la misère n'est pas un risque, mais une réalité, écrit-il justement. Un coup à gauche, un coup à droite, il récuse le discours traitant les bénéficiaires des minima sociaux d'"assistés" (un bon point) mais aussi le fait que pour "une partie de la gauche il suffirait de verser un peu de prestations" (c'est une critique fort répandue à droite mais qui ne repose que sur une méconnaissance de la loi et des dispositifs en vigueur). Il ne soutient pas les projets de revenu universel, car il voit dans le travail un facteur d'émancipation. Il note même qu'il y a des gens qui ne demandent pas les aides auxquelles ils ont droit (bravo, les gens de droite se gardent bien de l'admettre). Et il le regrette. Il nous révèle que la fraude sociale est bien moindre que la fraude fiscale (merci, mais on le savait déjà depuis longtemps). Il est favorable à un accompagnement vers le travail et défend l'économie sociale et solidaire (c'est Hamon qui va être content) ainsi qu'une amélioration de la formation continue. On est bien content. Comme dit plus haut, un étudiant en première année de SciencesPo aurait pu pondre ce court texte. Difficile cependant de le hurler sur une estrade.

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. J'ai publié aujourd'hui sur mon compte Facebook les deux petits billets En marche… contre l'assistanat, et Macron censuré. J'y avais auparavant publié Social : le devoir de Sciences-Po de Macron le 10 décembre.
Billet n° 297
Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr
Tweeter : @YvesFaucoup
[Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question. Par ailleurs, tous les articles sont recensés, avec sommaires, dans le billet n°200]