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Billet de blog 16 janvier 2017

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Magyd Cherfi, «Ma part de Gaulois»

Magyd Cherfi sillonne la France (et aussi l'Espagne) pour présenter son livre, et, à La Nouvelle Seine, à Paris, le 6 février, il présente un spectacle de lectures et chansons. La verve et la truculence de son livre nécessitent une lecture décalée : dans son quartier, on n'a pas forcément apprécié et les réacs ne se privent pas de détourner ses propos.

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Illustration 1
Magyd Cherfi iTélé

Lors d'une présentation de son livre (à Auch, Gers), Magyd fait son show, avec talent, drôlerie, devant une assistance subjuguée. Nous sommes tellement nombreux (100 personnes) à la Librairie Les Petits Papiers, qu'il a fallu s'installer à l'extérieur.

Magyd se dit Toulousain et Occitan, avé l'assan. "Si mes parents ne m'avaient pas appelé Magyd, j'aurais pu m'appeler République". Il raconte la cité, les familles nombreuses, les pères ouvriers qui triment et les mères qui aimeraient tant que leurs fils n'aient pas la même destinée. La sienne disait : "il faut entrer à l'école et ne pas en sortir avant 60 ans" ! Les gamins voyaient leurs mères empâtées, et celles des Blancs, jeunes, belles, maigres : "la honte qui s'immisce". 

Il décrit la "prise en charge" : par les sœurs, les frères, le médecin, l'agent payeur des allocations familiales qui, à l'époque, apportait à domicile l'argent, sonnant et trébuchant (l'argent, pas le payeur).

Dès l'école primaire, dès le CP, il est mis en avant parce qu'il marche bien. Tellement ancrés dans l'échec scolaire, ses copains le houspillent : "t'es devenu Blanc, Français, traitre à ta race". Il est plus poli que les autres, or les formules de politesse sont perçues comme autant d'"agressions verbales" ! Chez lui, il se sent écartelé, entre les siens et ce monde extérieur, lointain, où règne la réussite et qui lui tend les bras. Sa mère mise sur lui : elle lui confie qu'il est faux de croire qu'une mère peut aimer tous ses enfants, elle en aime deux tout au plus, et son préféré à elle, c'est lui.

Avec cet humour incessant, il décrit une classe de transition et l'orientation en fin d'année : Mohamed, en chaudronnerie, Mohamed, en maçonnerie, Mohamed, en mécanique… Après le collège, quand il se retrouve en Seconde, là il n'y a plus de "Rebeux", mais des filles : il découvre alors une France qui lui était interdite. Et les filles en question l'invitent à des fêtes chez elles, car il est exotique.

Quand il obtient le bac, sans trop d'efforts, il est une star : on l'appelle dans les familles pour lire les courriers reçus, il est sollicité par les filles pour rédiger des lettres d'amour. Ce qui l'isole davantage : "les mots m'ont divorcé d'avec mes potes". Potes qu'il décrit comme se constituant dans l'anti : ils s'identifient dans la négative. "Si c'est ce qui fait chier, eh bien on va les faire chier". Puisque la République ne veut pas d'eux, puisqu'elle leur rappelle sans cesse qu'ils ne sont pas d'ici, au lieu de se battre contre ce qu'ils vivent comme une exclusion, ils vont s'installer dans ce qu'on leur reproche. C'est tout le drame actuel.

Provocateur, Magyd Cherfi, sans même faire allusion aux déclarations surréalistes de Sarkozy, dit tout de go qu'il veut bien avoir les Gaulois comme ancêtres. Ce sont les Rois, les lumières, alors que de l'autre côté, la seule histoire que ses parents lui ont racontée, elle va de 1954 à 1962 ! C'est une histoire de souffrance, seulement. Alors ironie envers les bien-pensants qui disent qu'il faut respecter l'histoire des origines et qu'avoir une double culture c'est enrichissant : avoir une double culture, ce n'est pas un privilège. On naît Français, constate-t-il, puis il y a une "défrancisation". "Des mômes se sont sentis rejetés". La République est conçue par des Blancs, pour des Blancs, et les boites de nuit également.

Les loupés sont permanents. Après les attentats, il va manifester et là des "de souche" lui lancent à la figure : "mais vous êtes où ?", le communautarisant sans vergogne. "Ma mère, tous les matins, elle va chercher avec les ongles la francité". En vain, on lui refuse le droit de vote. Et cela rejaillit sur la descendance : "on est infecté de la douleur de nos parents". Un bémol : quand sa mère lui dit "icote", il la reprend : "écoute", alors elle lui assène un "Ta guil" qui conduit le fils à penser que sa mère, finalement, est bien française.

Quand Magyd Cherfi a voulu obtenir la nationalité française, son père, qui a perdu trois frères pendant la guerre d'Algérie, ne comprenait pas. Quant aux RG, ils avaient une info qui le qualifiait de "danger pour la République" : en effet, il avait participé à des manifs, toutes contre le Front National.

Puis vint mai 1981 : les jeunes se réjouissent, la gauche va prôner la fraternité. Coup de massue : les parents ont peur. Magyd mime la scène du père qui dit qu'il faut faire les valises. Ils s'attendent à ce que les cars de police viennent les embarquer. C'est Mitterrand qui arrive au pouvoir, et cette génération craint que l'ancien ministre de l'intérieur de la guerre d'Algérie les foute dehors. Pourtant, la gauche va décider d'augmenter considérablement l'allocation de rentrée scolaire et elle abolit la peine de mort. C'est à n'y rien comprendre pour une jeunesse écartelée. Elle finit tout de même par voter à gauche, tout en constatant qu'on ne lui laisse aucune place : quand la gauche croit bien agir en accordant la carte de séjour à dix ans, la réaction est une grande déception car "on n'est pas en vacances ici". "La carte de séjour c'est autre chose que l'égalité des droits". Et aujourd'hui cette jeunesse vote FN parce qu'elle redoute que les réfugiés syriens viennent lui prendre une place qu'on ne lui a même pas accordée. Certes, on leur a dit : "vous êtes français" pour ajouter aussitôt "mais vous n'êtes pas chez vous".

Illustration 2
Magyd Cherfi interrogé à Auch par Pascal Pralon, libraire [Ph. YF]

Interrogé sur la place des femmes dans les quartiers, il reconnaît qu'il y a problème. Lui a bénéficié de l'apport des sœurs (les religieuses implantées dans le quartier) et des travailleurs sociaux, mais il est vrai qu'une fille ne tient pas la main d'un mec. On a du mal à admettre qu'elles choisissent leur vie, qu'elles fassent des études supérieures. Et si on les voit davantage, ça ne signifie pas qu'elles soient plus nombreuses à se mettre en avant. Inversement, on voit beaucoup le voile, or il est loin d'être majoritaire. Si Zebda a fait des chansons sur ce sujet, ça n'a pas changé le monde, convient-il.

Après avoir beaucoup insisté sur cette République qui n'a pas réellement accueilli cette jeunesse issue de l'immigration, il considère cependant que l'islam doit impérativement se moderniser. Pour le moment, il reste figé, il faut que ça bouge. Il indique que ses parents vivaient un islam sommaire et qu'il y a "1000 islams". Il implore la Nation d'offrir d'autres références que celles habituellement affichées. Pourquoi ne pas proposer à ces jeunes venus d'Afrique d'autres signes ou symboles que le bonnet phrygien ?

Il n'insiste pas sur ses origines kabyles, et non pas arabes, mais glisse : "je n'ai pas d'identité algérienne, j'ai des fragments de berbérité". Il est sans illusion sur le public qui le lit : certainement pas ceux dont il parle. Il aimerait pouvoir s'adresser à "ceux d'en bas", mais "les pauvres ne lisent pas, ils n'ont pas les outils".

Le livre

Tout d'abord, il décrit le décalage qu'il y a entre lui et les autres, qui ne lui pardonnent pas de réussir et d'être bien introduit chez les Gaulois. Ces derniers se plaisent à le recevoir, parce qu'il est intelligent, même si l'un d'eux décide de l'appeler Gilles parce que Magyd c'est trop compliqué ! Apprendre que leurs ancêtres étaient les Gaulois, ils ont plutôt aimé : il avait dix ans, et il voit dans ce conte de fées le début de "la balade des schizophrènes". "On a été français un temps, le temps de la petite école qui nous voulait égaux en droits". Mais Français jusqu'à 17 heures : ensuite, la rue les broyait. Pourtant, ils n'en voulaient pas de "cette identité de pauvres".

Illustration 3

Il n'est pas tendre avec ceux des cités, la violence qui y régnait, l'hypocrisie aussi : ils s'appellent "mon frère" alors que bien souvent ils se haïssent. On peut comprendre que Magyd Cherfi, avec ce livre, ait été contesté dans les cités : il affirme "on n'a pas aimé être arabes".

Lui aimait le verbe, il plongeait dans la littérature : les autres fuyaient dans le ghetto où ils étaient assignés. Et traitaient l'intellectuel de pédé. Et les livres étaient, pour eux, un rejet supplémentaire : les livres "mettaient l'accent sur tout ce qui nous faisait défaut". Les Arabes étaient coupables. Mais lui ne se sentait pas arabe.

 Il est couvé par sa mère, elle veut faire de lui un dieu, le meilleur, le plus intelligent. Le bachelier du quartier. D'autres parents étaient moins tendres, comme ces pères qui massacraient leur progéniture (Bija, jeune fille, visage esquintée par son père et son frère). Ce qui conduit Magyd à prononcer des mots d'une extrême dureté à l'encontre de ces "putains de bougnoules" (1) et de ce "quartier de merde". Mais il faudrait avoir l'esprit obtus et être bien mal intentionné pour reprocher à Magyd Cherfi ses propos crus, ses critiques à l'emporte-pièce, et ne pas voir l'affection qu'il éprouve envers ces gens en colère, sa compréhension pour leur révolte tellement ils sont confrontés aux malentendus et aux injustices. Son désarroi aussi car il est assez expérimenté pour savoir que la fermeture identitaire ne fait que renforcer une volonté de s'affirmer contre, et donc d'accroître le rejet. Et son attachement à ce monde en lutte pour sa survie, parfois en conflit, souvent solidaire, contraint à faire dans la dérision (et son art à Magyd est de savoir en rendre compte) : comme lorsque certains de ses camarades cherchent à faire des bons mots à propos de la déclaration des droits de l'homme, et qu'ils inventent tout de go cette maxime : "les hommes naissent libres et égaux… entre midi et deux".

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(1) Pour ma part, je pense à ces parents maghrébins, parfois analphabètes, qui ne vivaient pas dans les quartiers, mais étaient ouvriers agricoles dans les campagnes, qui ne cessaient de dire à leurs enfants de réussir dans leurs études, de ne pas faire de vagues, de ne pas sombrer dans la délinquance et de ne pas se droguer. Education un peu mécanique, mais certainement bourrée d'affection et j'en connais qui eurent de nombreux enfants, presque tous super-diplômés (ce qui, en passant, en dit long sur les refus actuels d'accorder un permis de séjour à ceux qui ne parleraient pas correctement le français).

. Ma part de Gaulois, chez Acte-Sud, 2016. Magyd Cherfi est également l'auteur, chez le même éditeur, de Livret de famille, (2004) et La trempe (2007).

Répliques

Alain Finkielkraut, dans son émission Répliques, a invité le 22 octobre Magyd Cherfi et Malika Sorel-Sutter, cette intellectuelle d'origine algérienne, qui piaffe d'impatience, dans les débats où elle se propulse, pour invoquer les grands auteurs et déverser sa hargne contre tout ce qui est quelque peu musulman, comme pour gagner en légitimité et occuper un créneau recherché par certains médias. Il va s'en dire qu'elle s'en est donné à cœur joie, en triturant Magyd qui n'en pouvait mais, apparemment déconcerté quant à la manière d'instrumentaliser son texte. Il est vrai qu'avec son livre il a tendu des verges pour se faire battre, mais on pouvait imaginer, en léger retrait, un Finkielkraut buvant du petit lait, se frottant les mains avec un rire sarcastique retenu, laissant son invitée faire le boulot : décortiquer le livre dans un mot à mot qui ne laissait plus aucune place à la création littéraire et à la complexité qu'honnêtement Magyd Cherfi avait voulu communiquer. On a eu donc droit, dans une émission du jour perfidement titrée "Devenir Français", à la litanie sur le racisme anti-Blancs, à l'homophobie, au sexisme, au rejet de la France et des Français. Et le philosophe de compatir pour le pauvre enfant ayant vécu un "cauchemar", et une violence permanente.

Illustration 4
Alain Kinkielkraut et Malika Sorel-Sutter

Malika Sorel poursuit son exégèse, enchaîne les phrases de manière à ne pas être interrompue, et déclame : "votre maman s'est sacrifiée" et "est-ce la faute à la société française si ces familles font trop d'enfants ?". Comme s'il avait eu des consignes avant de venir dans ce guet-apens de ne pas se mettre en colère, gentiment, Magyd demande à Finkielkraut s'il peut la couper pour tenter de lui dire : "Malika, vous manquez d'empathie" ! Il tente d'expliquer qu'il est devenu français grâce à la littérature, un patrimoine dans lequel il trouve sa place, mais pas grâce à la société. Et Sorel de proclamer, elle, son "amour total" pour la France, car "le cœur a ses raisons que la raison ignore, comme dit… Marc Bloch" ! Après avoir glissé qu'elle savait également qui est Ernest Renan, elle part dans une tirade sans fin sur le favoritisme en France en faveur des immigrés au détriment des Français nés dans des familles françaises. Elle met en cause une prétendue "discrimination positive" en faveur des Blacks et des Beurs. Là, Magyd n'en peut plus, il est au bout du rouleau, et se contente d'un : "je suis sur le cul", et, sollicité par l'animateur, ne parvient même plus à dire un dernier mot.

S'il fallait un seul exemple pour démontrer qu'Alain Finkielkraut est non seulement un philosophe réactionnaire mais aussi un manipulateur, cette émission devrait suffire. On peut imaginer qu'il a un minimum de culture pour savoir lire Ma part de Gaulois de façon quelque peu décalée. Cherfi fait œuvre littéraire (il avait été sélectionné pour le prix Goncourt). Il joue avec les mots, il transcrit sa vision des choses, avec humour et avec bonheur. Il n'est pas sociologue des banlieues. Mais Finkiel et Sorel ne s'intéressent qu'à leur petit fond de commerce. Sorel, encore, préoccupée par son seul plaidoyer pro-domo et la vente de ses livres qu'elle cite en permanence, animée par son incapacité habituelle à écouter ses interlocuteurs, était dans son registre, sans se rendre compte de l'ignominie de son attitude. Mais Alain Finkielkraut n'était pas dupe. Et n'a rien fait pour rendre hommage à une écriture talentueuse.

Illustration 5
A Auch (Gers) fin octobre pour écouter Magyd Cherfi [Photo YF]

Magyd Cherfi présente son livre à travers la France et à l'étranger :

. 3 février à Marseille (Mucem)

. 9 février à Blagnac (Librairie au Fil des mois)

. 10 février à Toulouse (Librairie La Renaissance)

. 17 février à Casablanca (Maroc)

. 3 mars à Saint-Jean de Braye (Théâtre Clin d'œil)

. 7 mars à Bordeaux (Bibliothèque des Capucins)

. 26 mars à Paris : salon du livre Porte de Versailles

. 28 mars à Séville (Espagne)

 Billet n° 299 

Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr

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  [Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question. Par ailleurs, tous les articles sont recensés, avec sommaires, dans le billet n°200]

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