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Billet de blog 23 février 2018

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Quartier prioritaire : le ciné pour faire cité

Dans un quartier prioritaire d'une ville moyenne, Auch dans le Gers, une action cinéma a été menée avec une réalisatrice en résidence, Tamara Erde. Avec l'idée pour ses concepteurs (les autorités publiques et Ciné 32) que pour faire société la mobilisation culturelle des habitants est une des priorités. Aux côtés de l'urbanisme rénové et de l'action économique et sociale.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
[Photo Magali Ruzafa]

En 2016, lors de la redéfinition des quartiers prioritaires de la politique de la ville, le quartier populaire du Grand Garros à Auch se révéla être en grande pauvreté (1) et, malgré sa faible envergure, recouvrir toutes les problématiques des banlieues des grandes villes. Cela justifiait des financements et des rénovations urbaines. C'est alors que la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) a souhaité que des actions culturelles soient menées en parallèle aux interventions sociales et urbanistiques. Ciné 32 fut sollicité pour y installer une résidence d'auteur avec des consignes claires d'implication des habitants dans la réalisation de petits films.

Si la trentaine de salariés et les très nombreux bénévoles sont très actifs pour faire vivre Ciné 32, leur connaissance du Garros restait limitée. Il fallut partir découvrir un quartier qui semblait jusqu'alors relativement calme, en tout cas loin de ce qui se dit et s'écrit habituellement sur les banlieues. Avant de s'apercevoir qu'il rencontrait énormément de problèmes, alors même que les intervenants socio-éducatifs y sont nombreux. 

Illustration 2
[Photo Magali Ruzafa]

Un collège constitué de la Préfecture, de la DRAC, de la communauté d'agglomération, du conseil citoyen (existant sur ce quartier) et de Ciné 32 retint parmi les candidatures Tamara Erde, jeune réalisatrice d'origine israélienne. Un film tourné en Palestine, sa sensibilité à la question des migrants et son projet de créer un web-documentaire incitèrent à la choisir, avec consigne de s'immerger dans le quartier, et de permettre aux habitants de réaliser plusieurs films.

Illustration 3
[Photo Magali Ruzafa]

Un gros travail a consisté à repérer les personnes ressources du quartier, prêtes à s'impliquer. Puis des groupes furent constitués : autour du Centre social (en lien avec son action des femmes "marcheuses"), de la Salle polyvalente (les jeunes), une école du quartier (d'Artagnan) et la Mission locale. La collaboration avec le CADA (centre d'accueil des demandeurs d'asile) s'avérant difficile, l'Instep (assurant les cours d'alphabétisation) fut retenu comme groupe.

Plonger ainsi dans un quartier avec un tel projet conduit à découvrir qu'il ne s'agit pas d'une entité fermée, unique. D'abord le Grand Garros est composé de trois parties : le Garros, La Tuilerie et La Hourre (2). A chaque étape, les habitants participaient à l'écriture, au choix des personnes interviewées, à la documentation, au tournage, à la prise de son, avec les conseils de techniciens.

Illustration 4
[Photo Magali Ruzafa]

C'est ainsi que furent réalisés plusieurs films : un documentaire, une fiction, et des petits films. Chacun était mobilisé, qui pour trouver les personnes à interroger, qui pour tenir la caméra, prendre le son ou des photos, ou faire fonction de maquilleuse.

En terre inconnue est une fiction qui nécessitait que Tamara, cinéaste, impose davantage sa marque. Mais pour tous les autres films, les participants disposèrent d'une grande liberté. Abbas, qui s'est impliqué dans Un chantier pas à pas, m'explique que ce film "accompagne la démarche de changement du quartier". Il ajoute : "c'est nécessaire d'introduire l'art, la culture dans un tel quartier. Ne pas toujours être dans l'attente, mais aller de l'avant, mettre en lumière, faire participer les gens. Tamara  a réussi à donner la parole aux habitants. Elle était très professionnelle : pas au sens élitiste (de celui qui vient filmer les autres), mais par sa façon d'être, sa simplicité, accessible, très à l'aise avec les gens, qui avaient confiance en elle."

A noter que dans ces quartiers où beaucoup d'habitants sont de culture musulmane, le fait qu'elle soit israélienne n'a fait l'objet d'aucun commentaire et d'aucune objection. Et pas parce qu'elle a fait déjà un beau film sur la Palestine, car il n'était pas connu ici. Mais parce qu'elle est déjà intervenue dans des quartiers et que sa démarche, faite de discrétion et de professionnalisme, a totalement collé au projet participatif initial.

Illustration 5
Comité de programmation [Photo Magali Ruzafa]

Le prolongement de toute cette importante mobilisation est actuellement la mise en place d'un comité de programmation, comme me l'expliquent à Ciné 32 Agathe Vivès, attachée de communication et Sylvie Buscail, déléguée générale, cheville ouvrière de toute cette action, qui a exigé beaucoup de travail, de vigilance, de suivi, mais qui a eu le mérite d'ouvrir Ciné 32 sur une partie de la ville jusqu'alors peu connue. Une fois par mois, elles réunissent 15 à 20 personnes qui ont pris goût au cinéma (alors même que certaines n'allaient jamais voir de films en salle) et qui se trouvent ainsi confrontées à la réalité de la programmation. Programmer nécessite un changement de posture car cela ne consiste pas à donner un simple avis personnel sur un film mais à réfléchir à l'intérêt de projeter ou non tel film pour les autres. S'ajoute pour beaucoup la difficulté de se prononcer en faveur de films qui dégagent une certaine tristesse, comme pour conjurer celle qui les assaille. Les films retenus seront projetés sur le quartier, l'été en plein-air et l'hiver dans la Salle polyvalente. Certains seront même projetés dans une des salles de Ciné32 ou dans un immense bus se transformant en belle salle de cinéma. Les membres du comité de programmation réalisent les affiches, les visuels et préparent les débats qui accompagnent certains films.

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Illustration 6
École Marianne (Quartier du Garros). Crédit photo © : Emmanuel Veneau

(1) Avec 1900 habitant sur 21000, le Grand Garros se révéla en situation de grande pauvreté : 1/4 de familles mono-parentales, 460 allocataires couverts par le RSA et l'AAH (ayants droit compris), soit 1/4 de la population ; 814 avec la CMU, soit 43 % de la population ; 48,4 % ont un budget composé pour plus de la moitié de prestations sociales (non compris les étudiants et les plus de 65 ans), 27,4 % de la population vit exclusivement avec des prestations sociales (Insee, déc. 2017).

Illustration 7
Maracana (Quartier du Garros). Crédit photo © : Emmanuel Veneau

(2) Ce dernier petit quartier fonctionne un peu à part. En son sein, existe un café associatif, Le Foyer, où les habitants ont l'habitude de se retrouver. Compte tenu de ce qui se passe dans cet espace, Tamara Erde eut l'idée d'y tourner un film personnel, indépendamment de son contrat de résidence, et les habitants de La Hourre acceptèrent. Ce qui a donné un film qui connaîtra une diffusion distincte, Le Foyer (voir ci-dessous).

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Web documentaire :

Illustration 8

http://www.garrosquartierlibre.com/les-films/

. Un chantier pas à pas, réalisé par Magali Ruzafa, Anne-Marie Voiland, Abbas Ouali, Patrick Urizzi et Michel Urizzi (25 mn). En s'appuyant sur les rénovations en cours du quartier (bâtiments vétustes supprimés, espaces verts) et sur les propos des concepteurs, les auteurs décrivent les spécificités de ce quartier, situé en ville mais si proche de la campagne.

. En terre inconnue, fiction écrite par un groupe d'habitants, tournée dans des conditions professionnelles, racontant l'histoire d'une famille syrienne.

et plusieurs petits films dont :

. Paroles d'ici et d'ailleurs, avec des élèves de l'Instep qui racontent leurs pays et leur arrivée ici.

. Promenade dans le temps, avec des jeunes de la Mission Locale.

Illustration 9
Séance de présentation du Web documentaire par Sylvie Buscail et Tamara Erde, projection des films, en présence des autorités, dont le sénateur (et ancien maire) et le préfet [Photos YF]

. En Marche ! mais autrement, sur cette action lancée par une quarantaine de femmes qui marchent dans le quartier afin de favoriser le bien vivre ensemble, elles font part aux autorités de leurs observations et font des propositions. Y participent des femmes du quartiers, auxquelles se joignent des assistantes sociales en poste au Garros et deux religieuses qui y demeurent (visitant les malades, délivrant des cours de français à des migrants). Un jour, elles ont invité à leur marche des représentants de l'État, de la CAF, du Conseil Départemental.

. Promenade musicale dans le quartier, avec les jeunes de la Salle polyvalente, qui recueille les musiques présentes sur le quartier : jazz, rap, kurde, kosovare… (7 mn).

Parcours dansé, plusieurs petits films avec des enfants qui dansent en s'inspirant du karaté ou du jonglage qu'ils pratiquent, ou de leur culture d'origine (chorégraphies du Maghreb, de Syrie, d'Afghanistan, du Kurdistan, du Kosovo, de Mayotte, du Portugal et d'ici).

Illustration 10
Parcours dansés [extraits des films]

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Les acteurs et réalisateurs

Dans les locaux de Ciné 32, ils et elles sont une dizaine : deux extraits de films leur ont été projetés et ils doivent  se prononcer sur l'intérêt de les choisir pour les séances de plein-air au Garros, l'été prochain. La discussion va bon train, la brutalité d'un des films en rebute quelques uns. Les Marocains n'ont pas la part belle, estime une participante, cela va peut-être choquer. Mais d'autres relèvent que "des sujets délicats sont traités de façon légère", que les "quartiers sont abordés sans stigmatisation", qu'il s'agit "d'une comédie audacieuse".

Illustration 11
Tamara Erde, accompagnée d’un chef opérateur prise de vue, Maurizio Tiella, initie les habitants participant à la résidence à l’utilisation d’une caméra avant de commencer la réalisation de leur propre film [Photo Magali Ruzafa]

J'ai rencontré quelques personnes ayant participé à cette aventure : elles apprécient d'avoir vu "l'envers du décor, ce qui se passe derrière la caméra, alors qu'on a l'habitude de ne voir que l'écran". Parmi elles, trois membres du Comité citoyen (mis en place par la mairie pour avoir un retour sur ce qui se passe dans le quartier et mieux connaître les attentes des habitants). Elles me racontent comment les officiels ont été interviewés, tandis que l'un filmait et l'autre posait des questions. C'était pour ces bénévoles un réel investissement, certains ont d'ailleurs abandonné en cours de route, car trop prenant. Mais elles expriment l'intérêt majeur d'impliquer ainsi les gens du quartier. Bien sûr, tout le monde ne se sent pas concerné, mais lors de la projection d'un des films, 180 personnes se sont précipitées pour y assister, au point qu'il a fallu refuser du monde.

Ces personnes tiennent à me signaler tout ce qui se fait sur ces quartiers, souvent à l'initiative des pouvoirs publics pour une zone finalement bien petite : le Centre social, le service social du Département, l'entreprise d'insertion Garros service, le théâtre-forum, la gym, des activités pour les petits, l'accueil des moins de 3 ans (ouvert à tous les enfants de la ville), etc...

Illustration 12
[Ph. YF]

Ce constat est fait par d'autres. On ne peut pas parler de quartier délaissé. Les politiques ont agi pour qu'il ne soit pas abandonné. Le problème, ici comme ailleurs, est que, dans une ville, une ségrégation sociale se fait par la nature des logements. Un quartier HLM est inévitablement peuplé de foyers aux revenus modestes ou très modestes. Ainsi même dans une ville moyenne comme Auch, elle a son "Chicago". La ghettoïsation aux effets dramatiques ailleurs, dans les grandes cités, se produit dans une certaine mesure ici aussi. Honneur à ses habitants qui se battent pour que le vivre-ensemble ne soit pas un vain mot et à tous ceux, venus de l'extérieur, qui se mobilisent pour qu'il en soit ainsi : en favorisant du lien social en interne de la cité, en ouvrant celle-ci sur l'extérieur, en faisant en sorte que le reste de la ville acquiert une autre image de ce quartier.

"Le Foyer"

Illustration 13
Le Foyer [extrait du film]

Le Foyer est un documentaire qui ne relève pas à proprement parler de ce qui précède : il s'agit d'un documentaire réalisé par Tamara Erde, en tant qu'artiste, lorsqu'elle a découvert ce lieu, un foyer, où se retrouvent les habitants d'un des quartiers, La Hourre. Parole est donnée à ces habitués, qui ne sont pas très jeunes et qui cherchent à se démarquer de "la ZUP", où il y a "plein d'étrangers". Ils s'interrogent sur la nécessité d'avoir une mosquée du Garros, y compris sur les auteurs de l'incendie qui l'a détruite en 2015. Mais Tamara Erde a su montrer l'humanité de ces êtres qui, parfois, ont été bien malmenés par la vie et dont plusieurs sont malades, sous traitements médicamenteux. Ce film suscite beaucoup d'émotion, tant pas le tragique de certaines situations que par l'humour qu'affichent la  plupart des protagonistes. "Tout ça, il faut le vivre, mais ça fait du bien d'en parler". Lors d'une projection en présence du maire actuel, Christian Laprébende, qui s'est dit très touché par les témoignages, les "acteurs" de ce film ont tenu à applaudir chaleureusement Tamara.

Illustration 14
Sylvie Buscail, Tamara Erde, et les personnages du documentaire "Le Foyer" lors d'une projection à Ciné 32 [Photos YF]

. 80 mn. Un extrait est visible sur le web documentaire. Ainsi que sur le site de Tamara (ici)  où il peut être demandé pour une projection.

 Ciné 32

Illustration 15
[Photo YF]

Ciné 32 est une association qui bénéficie d'un soutien appuyé des pouvoirs publics (en particulier de la Ville d'Auch et du Département), qui dispose de 5 très belles salles à Auch. Programmation de qualité, animations fréquentes (sur des thématiques sociales, environnementales, avec venues de réalisateurs, acteurs, producteurs et débats), et une fréquentation qui ne cesse de progresser (216 000 entrées en 2016, 38 % d'augmentation entre 2007 et 2016, contre 27 % en moyenne nationale). Un gros travail auprès des scolaires, et globalement 34 %  des entrées relevant de l'Art et Essai (50 % des films projetés sont recommandés Art et Essai). Un festival renommé, chaque année en octobre : Indépendance(s) & Création.

Illustration 16
Lors de la projection du film "L'Ascension" de Ludovic Bernard, retraçant l'exploit de Nadir Dendoune [Ph. YF]. Ont également été projetés en 2017 dans cette Salle polyvalente du Garros : "Patients", "Il a déjà tes yeux", "A voix haute"…

. Une marche des femmes est prévue le 8 mars prochain.

. Une fête du quartier doit avoir lieu le 30 juin.

. Encore du cinéma…

Sur le quartier, le lycée du Garros dispose d'une option cinéma en 1ère L (avec Caroline Fage) dont les lycéens non seulement ont réalisé des petits films mais sont venus initier au 7ème art des écoliers de l'école primaire Marianne, en lien avec leurs enseignants Emmanuel Veneau et Muriel Villaneau.

Illustration 17
Lampions, Auch, France. Crédit photo © : Emmanuel Veneau

Billet n° 379

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  [Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question. Par ailleurs, tous les articles sont recensés, avec sommaires, dans le billet n°200]

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