Marie-Monique Robin n'en est pas à son coup d'essai. Elle a déjà un beau passé d'écrivain, d'enquêtrice, de documentariste derrière elle (42 films dont Torture made in USA, Le Monde selon Monsanto, Notre poison quotidien, Les Moissons du futur, Sacrée Croissance !, et 11 livres dont Voleurs d'organes, enquête sur un trafic). Par ailleurs, elle sillonne la France pour tenir des conférences sur les droits de l'homme et sur les crises environnementales. Elle a obtenu le prix prestigieux Albert-Londres.

Agrandissement : Illustration 1

Elle a jeté son dévolu sur une petite ville d'Alsace, Ungersheim, qui, sous l'impulsion d'un maire retraité et engagé, a tellement réalisé de projets économisant l'énergie et dynamisant la vie citoyenne, qu'elle est considérée par Rob Hopkins, irlandais, fondateur du mouvement des villes en transition, enseignant en permaculture, comme la championne internationale !

Agrandissement : Illustration 2

Marie-Monique Robin, qui a nommé sa société de production M2R, appelle ces militants engagés dans le développement durable des "lanceurs d'avenir". La ville compte 2200 habitants, et 1000 hectares de terres agricoles qui, jusqu'alors ne servaient pas à nourrir les habitants. Il ne reste plus que 7 paysans (contre 20 autrefois) : les champs produisaient du maïs, très rentable, et du foin pour les éleveurs alentour, d'où le surnom de Ungersheim : "ventre à foin". C'est pourquoi des terres ont été mises en maraîchage. C'est Richelieu, le cheval de trait à tout faire, qui laboure, qui ramasse les poubelles, qui rappelle le rapport au temps et symbolise le circuit court puisqu'il broute et défèque dans les champs ! Des jeunes des grandes villes, des diplômés écœurés par les manquements à l'éthique auxquels ils étaient confrontés dans leur domaine d'activité, sont venus rejoindre ici les autochtones qui avaient envie de faire bouger les choses. Parmi eux, les sinistrés de la potasse, industrie locale tombée en jachère. Le maire, fils de mineur, dit qu'il est "enfant de la potasse", et a été lui-même mineur de l'âge de 17 à 52 ans. Militant CGT, il a lutté contre… la centrale de Fessenheim et l'implantation d'une usine chimique.

Agrandissement : Illustration 3

Le Jardin du Trèfle rouge assure une trentaine d'emplois en insertion et des paniers bio chaque semaine aux adhérents (réseau des jardins de Cocagne) et fournit en partie les repas de la cantine (560 repas assurés). Cantine qui emploie une dizaine de personnes en insertion. M2R interroge les bénéficiaires du RSA qui expriment leur intérêt à être ainsi engagés pour "le bien commun", dans une ambiance conviviale, où les idées sont partagées, où l'on s'écoute.

Agrandissement : Illustration 4

Une centrale photovoltaïque a été montée sur une friche minière (la plus importante d'Alsace, elle produit 5 millions de mégawatts et chauffe l'eau pour 10 000 habitants). Parmi les retraités, ici comme ailleurs, il y a bon nombre de techniciens ayant de réelles compétences : ainsi une éolienne est construite par les habitants dans les ateliers municipaux (M2R prend un malin plaisir à filmer un ouvrier avec en toile de fond un poster avec la traditionnelle pin-up, comme pour banaliser les lieux).

Agrandissement : Illustration 5

Des "maisons passives", qu'il faut à peine chauffer, sont construites (avec bois, et paille du village). Une ferme commune est également édifiée, avec des troncs d'arbres écorcés, à la manière alsacienne et… iranienne. Pour éviter la privatisation, des régies municipales ont été créées : pour l'eau, pour les productions agricoles (développement de la permaculture). Les projets foisonnent : élevage, apiculture. Des coopératives sont en gestation (par exemple pour utiliser les surplus du maraîchage et produire des bocaux de confiture, de ratatouille, des jus de tomate). Des vieilles semences sont ressorties de derrière les fagots : plus résistantes, moins consommatrices en eau. Le maïs est semé sans labour. Le boulanger est paysan, et sème son blé de bonne qualité, son pain est apprécié des clients, il n'y a plus d'allergies au gluten. Les terres ne sont ni fertilisées, ni désherbées, même pas mécaniquement : le blé doit savoir surmonter les mauvaises herbes, que ce soit le rose d'Altkirch ou le blé barbu (pour dissuader les sangliers). Une scène est particulièrement touchante, quand la boulangère enfourne la pâte dans le four, et, en attendant la cuisson, joue magnifiquement du piano, installé dans l'atelier.

Agrandissement : Illustration 6


C'est ainsi que ces acteurs locaux se sont donnés 21 objectifs d'actions pour le XXIème siècle. Outre ceux déjà cités, il fallait s'y attendre : nos expérimentateurs ont mis en place une monnaie locale, le radis (égale à un euro) : plus de 5000 sont en circulation, quelques commerçants accordent des avantages à ceux, trop rares encore, qui l'utilisent.

En réalité, tout le monde ne se laisse pas emmener par cet engouement, loin s'en faut. Le noyau dur rassemble une cinquantaine de bénévoles qui voient dans la transition une expression de la solidarité, un bien-être. Un vieil homme confie : "c'est dommage, j'aurais bien démarré ma jeunesse dans cette ambiance". Le documentaire montre la diversité des âges des bénévoles engagés.

Agrandissement : Illustration 9

Rob Hopkins s'adressant à Ungersheim aux défenseurs des territoires en transition.
Si certains aspects peuvent paraître traditionnels, Ungersheim n'a pas plongé dans le Moyen-Âge : les technologies sont sollicitées, et même la paille, très efficace comme isolant, est qualifiée d'"high-tech". Rob Hopkins est reçu comme une star. Il inaugure une kyrielle de réalisations en constatant qu'on assiste là "à la naissance d'une nouvelle économie". Mais il regrette que la France soit lente à suivre le mouvement qui s'est propagé aux USA, au Canada, en Belgique, en Nouvelle Zélande.

Agrandissement : Illustration 10

Ci-dessus, Jean-Claude Mensch, maire d'Ungersheim, devant la centrale photovoltaïque et l'ancienne mine de potasse [Ph. RFI]
Ci-dessous, le même, sur le site des mines de potasse abandonnées.

Agrandissement : Illustration 11

Le maire, Jean-Claude Mensch, élu depuis 26 ans, est le "meneur" et "a une idée à la seconde", confie un agriculteur interviewé. L'édile reconnaît que, par moment, il a été envahi par le doute, et qu'il a pu se sentir seul. Mais des agriculteurs réticents prennent conscience que le climat change (sécheresses répétées) et qu'il faut agir, et Jean-Claude Mensch a une vraie capacité d'entraînement, parce qu'il a de la méthode pour agir et aussi des valeurs. Il dit la nécessité de ne pas être replié sur soi-même, d'avoir "les fenêtres ouvertes sur l'extérieur pour savoir ce qui se passe", ailleurs.

La transition est communautaire, cela ne peut se concevoir sans un mouvement d'ensemble. Cette notation finale semble vouloir rassurer sur une impression, effectivement, que l'on pourrait avoir d'autarcie, d'un bonheur de l'entre-soi, d'un territoire qui cherche à se développer dans les meilleures conditions écologiques qui soient, mais sans que l'on sache vraiment comment l'étranger est reçu ou accueilli. Tout au plus, on a pu mesurer que des conseillers... suisses de Greenpeace fréquentent le village. Et les personnes en difficulté sociale, comme on l'a vu, ont accès à des programmes d'insertion.
______
Cette question de l'étranger, je me la suis posée en voyant le film. Il a fallu que j'aille voir ensuite les résultats des dernières élections : je n'aurais pas dû. A Ungersheim, si, en 2010 aux régionales, la liste PS et Europe écologie Alsace a obtenu 41,67 % des voix, et aux municipales de 2014, Jean-Claude Mensch (divers gauche) a fait 52,42 % (élu au premier tour), aux européennes de 2014 le Front National est largement arrivé en tête avec 44,85 % et au second tour des régionales de fin 2015 le FN fait un score d'enfer avec 52 % des voix (liste affiliée à celle de Philippot), la droite 38 et les divers gauche (affiliés à Masseret, PS, qui ne s'était pas désisté) 9 % ! Le documentaire reste optimiste et n'aborde pas cette question.

Agrandissement : Illustration 13

Marie-Monique Robin interviewe de nombreux bénévoles engagés dans des actions au sein du village [montage YF]
. Qu'est-ce qu'on attend ? réalisé par Marie-Monique Robin, sortie en salle le 23 novembre. Film vu lors du Festival Cinémagora de Ciné 32 qui s'est tenu à Auch (Gers) du 17 au 21 novembre.
. Sauf indication contraire, les photos sont extraites du film [montages YF].
. Site du village : http://www.mairie-ungersheim.fr
. Bande-annonce :
Billet n° 294
Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr
Tweeter : @YvesFaucoup
[Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question. Par ailleurs, tous les articles sont recensés, avec sommaires, dans le billet n°200]