Un toit sur la tête
- 27 nov. 2015
- Par YVES FAUCOUP
- Blog : Social en question


Paradoxalement, les pouvoirs publics tolèrent cette action et ne réclament pas des sanctions disciplinaires à l'encontre de ces fonctionnaires (d'État) qui adoptent de telles pratiques. Il faut dire que le fonctionnement du Collectif est respectueux de certaines règles et que cela rassure les autorités. Quitte à être parfois désarçonnées quand les squatters réclament, par exemple, de pouvoir payer l'électricité consommée : ce n'est pas prévu, ce n'est donc pas possible. C'est à se demander si les pouvoirs publics ne comptent pas (un peu) sur les professionnels finalement pour leur éviter le gros pépin. Sachant que certains responsables administratifs n'hésitent pas à déraper : une professionnelle témoigne, devant caméra, des propos tenus par une cadre de l'ex-DRASS disant que si des enfants dorment à la rue, ce n'est pas grave puisqu'ils ne sont pas Français et que, sans doute, ils supporteront mieux. De la même façon, le Collectif s'est insurgé contre le fait que les familles françaises soient relogées en priorité alors qu'aucun texte ne dit que les populations étrangères ont vocation à rester en rade.

Le Collectif doit ruser face à une police qui ne s'en prive pas, comme lorsqu'elle convoque tout le monde au commissariat pour pouvoir pendant ce temps libérer les locaux. Mais manifestement, les militants ont plus d'un tour dans leur sac et ne sont pas tombés de la dernière pluie. Ils ont mille raisons pour justifier d'échelonner les convocations. Comme la nécessaire assiduité à de nombreuses activités (tel que l'apprentissage de la langue). D'ailleurs, le Collectif sait être exigeant avec les hébergés : bonne tenue des locaux, présence aux réunions, respect des consignes de santé, scolarisation des enfants.
Afin de prévenir une accusation qui consisterait à dire qu'ils protègent le système en agissant ainsi, en mettant les gens à l'abri, les militants du Collectif répondent qu'ils ne se sentent pas de laisser pourrir la situation, en abandonnant les populations à ses conditions de vie indignes, misérables, pour que ça change. "On ne mise pas sur l'impact médiatique de la mort des gens". Avant les réquisitions forcées, ils protestaient par des droits de retrait, des grèves rituelles et des occupations de la Préfecture, ce qui n'empêchait pas les gens d'être à la rue.
Ce que la Préfecture craint le plus c'est le fameux "appel d'air". Si des sans-abri peuvent être enfin hébergés à Toulouse, faudrait pas que d'autres rappliquent ! "Comme si, dit une travailleuse sociale dans le film, les gens allaient arriver du monde entier".
La caméra semble être toujours là (et avec elle Olivier Cousin), au bon moment, au bon endroit. Les protagonistes, professionnels et hébergés, l'oublient le plus souvent, ce qui donne un témoignage in vivo de ces luttes. Cela sonne vrai, on se sent près d'eux, emportés dans le feu de l'action. Et on admire leur détermination et leur efficacité. Le film rend magnifiquement compte de cette valeur suprême : "un toit c'est un droit". Droit à être protégé, droit à la propreté, à l'intimité. Et il le fait avec clarté, et parfois avec humour.

A la fin du film, on assiste à une scène remarquable, intelligente et percutante : deux militants sont sur les toits d'un immeuble et observent la ville. Ils égrènent tous les bâtiments qu'ils connaissent, qu'ils ont repérés, et qui sont vacants. Et donc un jour bons à être réquisitionnés… si nécessaire. Histoire peut-être sans fin, mais on ne se laisse pas abattre.

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(1) Les militants du GPS expliquent qu'à cette époque il s'agissait de "grands précaires", certains mourraient. C'était sous Nicolas Sarkozy, "on avait la rage". Il y eut un mouvement de solidarité énorme de tous les travailleurs sociaux. Et la réquisition du bâtiment put se transformer en Maison Goudouli qui assure un accueil (exceptionnel) sur la durée. Un modèle que certains cherchent à reproduire ailleurs.
(2) A noter qu'à ce jour, le grand local quai Saint-Pierre qui devait être rénové, selon la mairie, reste toujours à l'abandon.
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Débat avec les "acteurs" et Olivier Cousin (Festival CinémAgora à Ciné32, à Auch, le 13 novembre 2015) :
![Thomas, Sylvie, Virginie, Annabelle, au Festival CinémAgora, Auch [Ph. YF] Thomas, Sylvie, Virginie, Annabelle, au Festival CinémAgora, Auch [Ph. YF]](https://static.mediapart.fr/etmagine/default/files/2015/11/27/dscf1652.jpg?width=1728&height=1403&width_format=pixel&height_format=pixel)

Ils vont présenter leur démarche partout en France où des mouvements les sollicitent. A ma question, ils me précisent qu'ils vont dans des écoles du travail social témoigner de leur action. S'ils ont des liens occasionnels avec les syndicats et les partis politiques, ils sont totalement autonomes et se revendiquent avant tout travailleurs sociaux.


Olivier Cousin, le réalisateur, explique qu'il a été attiré par "les valeurs de justice, de générosité, d'enthousiasme" que proféraient les militants du GPS, dont le souffle lui a donné beaucoup d'espoir. Contre toute attente, un grand média (France Télévisions) a accepté de suivre et de co-produire le film.
J'interroge Olivier Cousin sur la genèse de son film. Il me confie : "Je partage avec les professionnels du 115 leur refus de laisser des gens à la rue, en particulier des enfants. Parce que la rue tue. J'ai suivi l'histoire de la Maison Goudouli, et j'ai été touché par leur lutte victorieuse. Alors j'ai appelé Annabelle, du GPS. J'ai été séduit par sa démonstration, son calme, les valeurs de justice et de solidarité qu'elle défend, pour le bien commun, pas pour elle, pour eux, pour les autres. Elle met en évidence que la lutte est nécessaire. Et c'est important de montrer des luttes qui réussissent. J'ai voulu faire non pas un film de dénonciation, mais décrire une action positive, pragmatique, économique, une alternative au manque de logements actuel. C'est un film militant, réalisé avec ses acteurs". Il a filmé pendant six mois, en veillant à ne pas mettre en danger les travailleurs sociaux lors du tournage : ces derniers lui ont fait une confiance totale.
Un toit sur la tête a été diffusé par France 3 début octobre. Il tourne dans des festivals dont la Biennale du Film de l'Action Sociale de Montrouge (en octobre), à CinémAgora, organisé par Ciné32 et la librairie Les Petits Papiers à Auch (Gers), au festival du film documentaire Traces de Vies à Clermont-Ferrand (novembre). Il sera projeté à Utopia de Toulouse le 12 janvier et, le 25 janvier, avec les protagonistes du film, au Festival Bobines Sociales à Paris.
Un reportage sur l'action du GPS sur TLT (télé Toulouse) : ici
Les photos de la production, signées narratio-films, m'ont été communiquées par le réalisateur (ainsi que les photos d'Anabelle Quillet et de Virginie Garnier, extraites du film, et d'Olivier Cousin).

Billet n° 237
Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr
Tweeter : @YvesFaucoup
[Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question. Par ailleurs, tous les articles sont recensés, avec sommaires, dans le billet n°200]
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