Auch (Gers), le 28 avril 2017
Monsieur Macron Emmanuel
En Marche
BP 80049
94801 Villejuif
Lettre recommandée
avec accusé de réception
Monsieur Macron,
Je vous fais cette lettre, que vous lirez peut-être mais que je rends publique. Vous êtes en lice pour le second tour de l'élection présidentielle face à la candidate d'un parti d'extrême-droite, ouvertement xénophobe et antimusulmans, héritier d'un courant fascisant de la droite française, ayant encore en son sein des militants racistes et antisémites. La classe politique et le monde médiatique sont coupables d'avoir transigé depuis des années avec ce parti anti-républicain, non seulement en lui accordant droit de cité, mais en reprenant bien trop souvent certains de ses thèmes cultivant l'exclusion, le rejet de l'autre. Aucun compromis ne peut être passé avec lui, son accession au pouvoir signifierait la plongée du pays en eaux troubles, France abaissée, culture nauséeuse, asservissement à une "oligarchie" aujourd'hui démagogiquement dénoncée, abolition de tout débat public pour basculer dans une guerre civile larvée. Confondre cette extrême-droite avec tout autre parti, de la droite à la gauche, est une faute, pire : un crime contre la République.
Cependant, ce ne sont pas seulement les discours politiques délétères qui ont favorisé la montée du Front National : c'est aussi, et surtout, des politiques économiques qui ont jeté de nombreux citoyens sur le carreau, se retrouvant avec des revenus de misère. Elles ont joué sans vergogne sur les salaires précaires, créé une angoisse chez ceux qui redoutent plus que tout d'être déclassés, de basculer dans la pauvreté. Et ces politiques économiques vous en êtes le "digne" représentant. Je fais partie de ceux qui combattent cette approche ultra-libérale de l'économie. Je dis "ultra-libérale" parce que, grosso modo, elle cultive l'idée qu'il faut laisser-faire, déréguler à tout crin, casser les droits (en particulier ceux qui protègent les salariés), réduire le service public, pour ne pas entraver le cours des affaires. Quitte à provoquer des dégâts sociaux. Et aussi parce que "libéral", comme progressiste, est un mot qui fait l'objet d'une utilisation abusive. Cette conception de l'économie, aujourd'hui, doit être considérée comme conservatrice.
Vos propositions sur le plan social restent très limitées (rien sur le 5ème risque dépendance, amélioration des montants de l'AAH, du minimum vieillesse, de la prime d'activité mais rien pour le RSA, ce qui est la poursuite des politiques restrictives envers les "assistés"). Par contre, je vous reconnais une conception plutôt libérale, progressiste, sur les questions sociétales (mœurs, étrangers), et cela vous différencie grandement de la droite filloniste et de l'extrême-droite lepéniste.
Si vous l'emportez le 7 mai, vous ne pourrez considérer que vous le devez à des soutiens, des fans qui ne jureraient tous que par vous. Un grand nombre des voix recueillies seront celles d'opposants irréductibles au Front National et non de soutiens à vos projets économiques qui, s'ils restent en l'état, devront être, à l'avenir, combattus sans relâche. En 2002, Jacques Chirac a eu l'outrecuidance de ne pas admettre que son succès il le devait en partie à des électeurs qui ne partageaient pas du tout ces options. Ce serait gravissime que vous procédiez de la même façon.
Vous vous targuez d'avoir été proche du philosophe Paul Ricœur. A propos de l'éthique, il écrivait qu'il importe de "faire advenir la liberté de l'autre comme semblable à la mienne. L'autre est mon semblable ! ". Mon semblable, c'est lui qui souligne. Dans le même esprit, il est urgent de faire advenir l'égalité et la fraternité.
Vous me lirez peut-être, si vous avez le temps. Mais une réponse publique à tous ceux qui vous interpellent de la sorte serait la bienvenue.
Veuillez agréer, Monsieur Macron, mes salutations respectueuses.
Yves Faucoup
. [adresse, pour une réponse, fournie dans la lettre originale]