Des élus, présidents de conseils départementaux, en charge du RSA, ont menacé de cesser les versements, invoquant la montée en charge de ces dépenses et reprochant à l'État de ne pas compenser. Même si la question de la baisse des budgets est réelle, ce chantage est odieux car il fait peser une crainte immense auprès d'une population déjà bien fragilisée.

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francetvinfo.fr
Le président du Nord, Jean-René Lecerf (Les Républicains) a, selon Le JDD (30 septembre), découvert le "pot-aux-roses" lorsqu'il est arrivé en fonction : le Département n'avait un budget RSA que pour 11 mois. Ainsi il n'a pu abonder la CAF pour décembre 2014 qu'en février suivant. Du coup, il menace de ne plus payer à la CAF les sommes que celle-ci reverse aux allocataires et il déclare à France 2, selon une formulation alambiquée, qu'"en octobre 2016, on arrêtera peut-être de payer de la même manière, et si ça continue on aura un an de retard". Déclaration pas très maîtrisée mais qui n'a qu'un but : faire peur, pour que l'État bouge. Mais qui crée la panique chez ceux qui ne survivent que grâce à cette prestation. Comportement donc irresponsable.
En Seine-Saint-Denis, le président Stéphane Roussel soulève également ses difficultés et, devant les caméras, montre le trottoir qui ne pourra pas être refait pour économiser 1 million d'euros et pouvoir abonder la caisse du RSA. Il ne parle donc pas, lui, de suspendre le RSA, mais, enfin, si vous vous tordez les pieds dans la rue ce sera un peu la faute des "sans revenus". Pour rassurer tout de même le téléspectateur, la chaîne publique glisse au final que selon la CAF du Nord, le RSA sera bien payé, "grâce à un dispositif [prévu] pour compenser les difficultés des Départements". Là encore, imprécision : quel dispositif ? Un Département qui ne boucle pas sur un budget contraint, vote une décision modificative, en octobre en général, c'est-à-dire une rallonge ou un transfert de budget à budget. Car le RSA, s'il est une aide sociale, n'est pas un secours au sens strict du terme, puisqu'il n'est pas attribué selon des critères d'opportunité (selon l'appréciation de la situation par une commission) mais selon des critères stricts auxquels le Département ne peut déroger. C'est la raison pour laquelle le transfert du versement de l'allocation de l'État vers la collectivité territoriale en 2004 n'avait pas de sens (puisqu'à la différence de l'Allocation Personnalisée d'Autonomie, l'APA, pour venir en aide aux personnes âgées dépendantes, il n'y a pas de possibilité locale de jouer sur le montant de l'allocation). La gestion par les Départements n'avait qu'un intérêt pour l'État, et ce avec la complicité du législateur (des députés donc) : faire peser sur les collectivités locales la progression continue de la précarité et de la pauvreté, avec un chômage qui ne baisse pas.
Retour à l'envoyeur
C'est ce qu'a posé justement Dominique Bussereau (Les Républicains), président de la Charente-Maritime et président de l'Assemblée des Départements de France (ADF) : il n'a pas dit qu'il cesserait de verser le RSA dans son département mais a cependant estimé que "10 départements ne pourront plus financer le RSA d'ici la fin de l'année". Il s'agirait, entre autres, du Nord, de la Seine-Saint-Denis, du Val de Marne, de l'Essonne, de la Creuse, du Val d'Oise. Il a souhaité que l'État reprenne cette prérogative du versement de l'allocation (c'est-à-dire l'abondement des CAF, qui, du fait de leur compétence dans le versement d'allocations, sont chargées de cette tâche en France).
Pour cette dépense, l'État fournit chaque année 6,4 milliards d'euros aux Départements, sur la base de ce qu'il versait quand il a décentralisé la prestation (ou refilé la patate chaude). Or la dépense globale du RSA socle atteint aujourd'hui un peu plus de 9 Mds€ (1). La différence est à la charge des budgets départementaux. Dans le même temps, les dépenses de l'APA augmentent (vieillissement de la population), la prestation de compensation du handicap (PCH) aussi. Et l'État, sur injonction de Bruxelles et d'une caste politico-journalistique ultralibérale, est conduit à réduire drastiquement ses dépenses, comme la droite elle-même ne l'a jamais fait (quitte à ce qu'elle reproche au pouvoir en place de ne prendre aucune décision).
A noter que l'ADF tient congrès à la mi-octobre : on voit que le chantage était bien orchestré, quitte à ce que cela se fasse par une menace ignoble à l'encontre de "bénéficiaires" qui galèrent et qui, une fois de plus, auront paniqué en entendant ces déclarations à l'emporte-pièce : "le RSA ne pourra plus être versé". Les élus départementaux ont sauvé leur peau avec une décentralisation qui a tourné en eau de boudin et maintenu quasiment sans changement leurs prérogatives, en particulier dans le domaine social (secteur principal). Mais certains petits potentats locaux aimeraient tant ne pas trop s'embarrasser des pauvres, et ne pas devoir dépenser pour eux. Ils préfèreraient tellement pouvoir maintenir leurs prébendes, leurs petits avantages, ou dépenser dans des domaines plus "honorables", où ils ont la main et où l'efficacité électoraliste est plus évidente. J'ai bien dit certains", pas tous.

Explications alambiquées du PCD du Nord [capture d'écran France 2]
Les menaces de M. Bertrand
Les apprentis-sorciers n'ont pas baissé la garde : sur la voie tracée par Laurent Wauquiez, Xavier Bertrand qui cherche désespérément à se faire élire en NPCP (Nord-Pas-de-Calais-Picardie) déclare au Monde (30 septembre) qu'il remettra la Région au travail : "cela passe par la fin de l'assistanat, mis en place par les dirigeants socialistes et qui profite au FN". Et il proposera "une formation ou une activité à tous les bénéficiaires du RSA". Et rasera gratis. Sans parler du fait qu'il n'aura pas la compétence du RSA (notons en passant que cette mesure, taxée d'assistanat, a été mise en place par Nicolas Sarkozy en 2009), ce genre de proposition n'a qu'un but : instiller dans l'opinion publique l'idée que, s'ils sont au RSA, "c'est qu'ils le veulent bien". On va te les faire travailler ! C'est cocasse car c'est justement ce qu'ils souhaitent : travailler, avoir un emploi. Mais M. Bertrand agite comme une menace un engagement qu'il ne sera pas capable de tenir. Ce qui ne l'empêche pas, dans 20 minutes, d'inviter les gens au RSA "qui veulent que rien ne change", à ne pas voter pour lui.
Tandis que des politiciens sans scrupules cherchent ainsi soit à affoler les plus démunis, soit à les menacer, ou à les montrer du doigt, 43 992 repentis fiscaux, craignant la levée du secret bancaire, rapatrient leurs avoirs détenus à l'étranger : 6,9 milliards ainsi récupérés sous forme de taxes, d'intérêts et d'amendes, et directement versés dans les caisses de l'État (près de 80 % du budget du RSA socle). Montant moyen des avoirs ainsi rapatriés : 735 000 €. Au total, cela représenterait autour de 30 Mds€, qui avaient échappé au fisc. On s'en réjouit, avec la conviction que ce n'est qu'une partie émergée de l'iceberg. Ceux qui rapatrient leur argent paniquent, ils ont 75 ans en moyenne. Mais il est vraisemblable que bien d'autres ne bougent pas. Aucune conviction que le gouvernement se défonce vraiment pour mettre la main sur ces sommes qui échappent à l'impôt (sans doute 20 fois plus : voir Ces 600 milliards qui manquent à la France, d'Antoine Peillon. Un gauchiste ? Grand reporter au journal très chrétien la Croix). On agite un chiffon délavé : d'un côté, on essaye de convaincre que l'on fait quelque chose dans ce domaine, de l'autre on rassure les délinquants, en laissant croire que le gouvernement se satisferait des repentis déclarés.
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(1) 9 Mds€ : je ne saurais trop répéter que cette somme, si elle n'est pas négligeable, représente 0,45 % de la richesse produite (PIB) chaque année. Et elle touche 2 millions de foyers, qui, sans cela, n'auraient quasiment rien pour vivre. C'est un chiffre cependant inférieur aux bénéfices d'un seul grand groupe, Total, sur une année (autour de 10 Mds, tout en ne payant pas d'impôts). Mme Liliane Bettencourt a une fortune de 40,1 Mds€ qui a progressé de 5,4 Mds en un an : c'est comme si un seul individu avait perçu en direct le RSA d'un million de foyers ! Et cela ne provoque aucune révolte ?
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Document JDD
RSA à 461 €
Les barèmes du RSA ont changé au 1er septembre. Les médias, quasi unanimes, ont annoncé que le barème passait à 524,16 € pour une personne seule et 786,24 pour un couple. En réalité, lorsque les bénéficiaires perçoivent une allocation logement (ou s'ils occupent un logement gratuitement), ces montants sont réduits de 62,90 € par personne (c'est ce qu'on appelle l'abattement du forfait logement). Donc le vrai montant du RSA est de 461,26 € pour une personne, 660,44 pour deux. Par ailleurs, le RSA est une allocation différentielle : le chiffre annoncé est le montant maximum de revenus assurés (les allocations familiales sont à déduire, elles ne se rajoutent pas ; par contre l'allocation de rentrée scolaire, elle, n'est pas déductible).
Quand Le Figaro, mais il n'est pas le seul, écrit "qu'une personne seule avec un enfant touchera 786,24 €" cela risque d'induire le lecteur en erreur : il peut ne pas imaginer que, si cette personne perçoit une pension alimentaire ou une indemnité liée à un accident du travail par exemple, son RSA sera déduit d'autant. De même, quand il écrit : "un couple avec 2 enfants [touchera] 1100,74 euros par mois", il ne précise pas qu'il faut déduire de ce montant le forfait logement (125,80 €) et les allocations familiales pour 2 enfants (129,35 €) soit un RSA réel, sonnant et trébuchant, de 845,59 €.
C'est un peu compliqué (à se demander pourquoi ces aides aux plus démunis sont ainsi présentées). Du coup, il me semble que ces précisions méritent d'être apporter, ne serait-ce que pour contrer ceux qui colportent des chiffres erronés, parfois en connaissance de cause.
[j'ai mis ce petit billet RSA à 461 € sur 3 comptes Facebook le 23 septembre et, à ma grande surprise compte tenu du caractère quelque peu rébarbatif du sujet, il a été "liké" des centaines de fois et partagé]
Billet n° 226
Billets récemment mis en ligne sur Social en question :
Les petits ambassadeurs de l'ex-ministre de l'écologie
Coupes claires dans la santé publique
Drame du petit Bastien : les "sociaux" témoignent de leur action
Code du travail : la petite manœuvre de Pujadas
Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr
Tweeter : @YvesFaucoup
[Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question. Par ailleurs, tous les articles sont recensés, avec sommaires, dans le billet n°200]