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Billet de blog 30 novembre 2017

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"La Bombe et nous"

Alors que la situation internationale est au bord du précipice avec une Corée du Nord qui revendique la bombe et des puissances nucléaires qui le lui contestent, un film récent fait le point sur l'état de l'armement nucléaire en France et dans le monde. Présentation du film, boycotté dans les médias, recueil des propos du producteur, et explications de l'ancien ministre de la Défense Paul Quilès.

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Le film :

Massacre contre l'humanité

Illustration 1

Ce film est le résultat de trois ans de réflexion : interviennent des militaires, des scientifiques, des historiens, des militants, des hommes politiques. Le réalisateur Xavier-Marie Bonnot explique qu'avec Jean-Claude Bauduret, le producteur, ils ont "choisi de dépasser les pensées toutes faites, le prêt-à-porter intellectuel de ceux qui sont pour le désarmement, les formules lapidaires des 'contre'. Nous voulons proposer du sens, rendre le complexe intelligible pour nous tous. Envisager des solutions et des pistes de réflexions".

C'est ainsi que des généraux favorables au nucléaire sont interrogés. Hubert Védrine, également, l'infatigable commentateur des années Mitterrand, gardien du temple. Le général Forget stigmatise la population française qui est inconsciente de la responsabilité qui pèse sur les épaules du Président de la République. On ne se demande même pas si le Président a la force morale pour faire face une telle situation. Le film rappelle que Giscard d'Estaing a reconnu, après coup, qu'il n'aurait pas eu la force morale pour appuyer sur le bouton.

 Le général Coppel, qui est le premier pilote en solo à avoir largué une bombe nucléaire tactique à partir d'un Mirage IV (en 1973 à Mururoa), s'indigne que les politiques ne s'intéressent pas à un tel sujet. Il admet qu'Hiroshima aurait pu être évité et que le bombardement trois jours plus tard de Nagasaki est "scandaleux". Il pense que les Américains auraient pu faire exploser leur nouvelle bombe dans la baie de Tokyo (!), promettant aux Japonais que le prochain tir serait sur une ville du Japon quinze jours plus tard s'ils ne rendaient pas les armes. Résultat : 200 000 morts, le double dans les cinq années qui ont suivi (la durée de radioactivité du plutonium, utilisé à Nagasaki, est de 6600 ans). On sait aujourd'hui que les USA voulaient damer le pion à l'URSS : "c'est nous les plus forts", alors même que les pourparler de reddition des Japonais étaient en cours.

La Russie a 7290 ogives nucléaires, les Etats-Unis 7000, la France 300, la Chine 260, le Royaume-Uni 215, le Pakistan 110, l'Inde 100, Israël 80, Corée du Nord moins de 10.

Le film rappelle une évidence : une catastrophe nucléaire pourrait être déclenchée suite à un acte fou, mais aussi à un accident, une fausse manœuvre, une mauvaise interprétation. Ainsi, un satellite russe a assimilé la trace d'un simple rayon de soleil à un tir nucléaire américain : il s'en est fallu d'un cheveu que la Russie riposte. Dans la seule année 2013, 153 incidents se sont produits. On se souvient peut-être de l'accident d'un bombardier s'écrasant au sol avec ses bombes nucléaires à Palomares en Espagne en janvier 1967, qui, fort heureusement, n'ont pas explosé.

Illustration 2

On prétend qu'il ne s'agit que de dissuasion. Non seulement, les États qui n'ont pas l'arme nucléaire s'invoquent de ce principe pour la réclamer (c'est le cas de la Corée du Nord, justement, qui comme la France dit que "cela garantit son indépendance"), mais la France, par exemple, dispose de quoi rayer de la carte un territoire équivalent à sa propre surface ! Aujourd'hui, un seul missile peut faire 80 fois plus de morts qu'Hiroshima, et un seul sous-marin est en capacité de détruire 1000 fois Hiroshima !

Et les morts ne sont pas provoqués par les seules explosions : les essais sont également mortels. Un médecin décrit les risques : leucémies, cancers de la thyroïde, mais aussi maladies cardio-vasculaires. Des soldats français sont morts car ils avaient assisté à des essais en Algérie, à proximité, sans en connaître les dangers. La population a pu être également contaminée. Les populations de Polynésie ont morflé, selon les études de Bruno Barrillot présentées dans le documentaire. On estime à 1,5 million de victimes au Kazakhstan, dans la région de Semipalatinsk, où ont été réalisés 456 essais soviétiques (prévalence très élevée de cancers, de malformations à la naissance, de retards mentaux). En Chine, des estimations parlent de 190 000 morts.

De façon plus prosaïque, le nucléaire est un gouffre financier : en France, 3 à 4 milliards d'euros par an (des officiers se plaignent que ce soit au détriment de l'armement classique). A l'échelle de la planète, ce sont 1000 milliards qui seront consacrés, dans les dix années à venir, à l'amélioration du dispositif de l'arme nucléaire par les 9 puissances qui la détiennent. De puissants lobbys ont tout intérêt à ce que ce complexe militaro-industriel subsiste et se développe. En France, la BNP, Axa, le Crédit Agricole investissent dans ce secteur rentable, et mortel.

122 États se sont prononcés en juillet 2017 à l'ONU en faveur d'un traité d'interdiction de l'arme nucléaire, comme c'est déjà le cas de l'arme chimique ou bactériologique. Vote boycotté par les 9 détenteurs de l'arme nucléaire, sachant que les USA, la Russie et la France sont les opposants les plus virulents à ce projet.

Hubert Védrine ne voit pas qui pourrait interdire la bombe, récusant l'idée de transparence en ce domaine et clamant qu'il faut absolument un "dissuadeur"  ! Alors même que les guerres depuis 1945 prouvent que le nucléaire ne dissuade rien. Sauf que les grandes puissances réfléchissent à une utilisation sur le champ de bataille de l'arme nucléaire comme arme "acceptable". Il est vraiment temps que les citoyens cessent de fermer les yeux, de se perdre parfois dans des débats subalternes et s'engagent dans une lutte soutenue contre cette arme de destruction massive, promettant un massacre contre l'humanité. Ce film contribue grandement à cette prise de conscience.

La Bombe et nous © Info Bauduret

Paul Quilès, ancien ministre de la Défense :

L'ancien ministre socialiste de la Défense vient parfois sur le terrain soutenir le film. Il était à Auch, à Ciné 32 le 8 novembre (venant de son village tarnais magnifique, Cordes-sur-Ciel, dont il est maire).

Il reprend ou complète certains éléments évoqués dans le film. Il précise son engagement dans l'association IDN (Initiative Désarmement Nucléaire). Il note que "dans une religion, on peut discuter de tout sauf de l'existence de Dieu. Sur le nucléaire, on peut discuter de tout, mais on ne discute pas du principe : est-ce indispensable et peut-on faire sans ?" Il s'insurge contre l'absence de débat sur une question à ce point essentielle : "cela se passe dans une monarchie républicaine, et encore, c'est gentil de dire républicaine".

Il ne peut échapper à la question de savoir comment lui, l'ancien ministre de la bombe, est devenu opposant. Il rappelle le contexte de son accession à ce poste : après la démission de Charles Hernu, après l'attentat du Rainbow Warrior, six mois avant les élections de 1986 qui verront l'arrivée de Chirac au poste de premier ministre de cohabitation. Il a pris conscience de l'inutilité de cette arme coûteuse pour éviter les conflits et du danger définitif pour l'espèce humaine en cas d'utilisation. Il note qu'il n'est pas le seul à avoir viré sa cuti : un ministre de la défense britannique, les ministres français de la Défense, de droite et de gauche, Hervé Morin et Alain Richard. Il constate qu'en octobre 1986, à Reykjavik, Gorbatchev et Reagan ont discuté pendant deux jours en vue de la suppression des armes nucléaires en 2000. On a raté de justesse la possibilité d'un accord. Si le nombre d'ogives dans le monde est passé de 70 000 en 1989 à 15 000 aujourd'hui (suffisamment, tout de même, pour détruire la planète), le traité de non-prolifération (TNP) ne fait pas de progrès puisque le nombre de puissances nucléaires a augmenté. Et le Pakistan, qui possède la bombe, pourrait basculer aux mains de groupes rattachés à Daech ou à Al Qaida, sachant que parmi les militaires certains sont proches de ces organisations.

Paul Quilès a mesuré les manœuvres délétères du complexe militaro-industriel faisant pression pour que cette arme perdure. On a trois niveaux de réplique : sous-marins, plateau d'Albion, aviation. Pourquoi ? Tout simplement pour satisfaire les trois armées (Marine, Air, Terre). Après la relance des essais par Chirac en 1995 (ils étaient suspendus depuis plusieurs années), Paul Quilès publie un article pour s'y opposer. Il a pris alors une engueulade par Jean-Luc Lagardère : "vous allez nous faire perdre des contrats " [ne pas oublier que c'est grâce aux profits faits avec l'armement que le groupe Lagardère peut aujourd'hui avoir un pied dans le contrôle de l'information avec Europe 1, le JDD, C dans l'air, etc..].

Illustration 4
Paul Quilès, avec Jean-Claude Bauduret et Sylvie Buscail, directrice de Ciné 32 [Ph. YF]

Il dénonce le fait que l'Assemblée Nationale ne débat pas d'un tel sujet depuis plus de 20 ans (dernier débat : 1995), alors que cette question est cruciale (par les dégâts irréversibles qu'une explosion provoquerait, par le coût incommensurable du nucléaire dans les dépenses publiques dans le monde). Il reproche au gouvernement français de vendre des Rafale à l'Arabie saoudite et à l'Inde, ce qui est une violation du traité de non-prolifération. Il soutient la démarche des 122 États visant par un traité à l'interdiction de l'arme nucléaire, comme pour le chimique et le bactériologique.

Entretien avec Jean-Claude Bauduret, producteur du documentaire :

Jean-Claude Bauduret habite le Gers, il milite à Attac et s'est beaucoup engagé dans les luttes de soutien à la Grèce victime de la Troïka.

Il m'explique sa démarche, qui remonte loin. Attac du Gers, bien que ce ne soit pas son combat premier, a organisé plusieurs débats sans grand succès, dont la projection du film Ordinary People, film de Vladimir Perisic racontant l'histoire d'un soldat enrôlé à son insu dans un peloton d'exécution, qui d'abord refuse, puis finit par faire du zèle. Puis Jean-Claude, pour Attac, participe à une réunion internationale à Paris de l'ICAN (Campagne internationale pour l'abolition les armes nucléaires, qui s'est vu décerner cette année 2017 le Prix Nobel de la paix), qui regroupe 400 organisations. Là, il émet l'idée de réaliser un film mais sa proposition fait flop. C'est alors que rencontrant un conseiller financier pour savoir comment faire fructifier l'indemnité qu'il a perçue suite à un procès intenté à Nestlé pour discrimination syndicale, il abandonne l'idée d'effectuer un placement et préfère faire en sorte que cet argent profite à ce combat anti-nucléaire qui lui tient à cœur. La coopérative de production et de distribution Direction Humaine des Ressources (DHR) est partante : tandis qu'il apporte 50 000 euros, elle trouve un réalisateur, Xavier-Marie Bonnot, auteur déjà de nombreux documentaires.

Lors d'un colloque à l'Assemblée Nationale, X-M. Bonnot prend les contacts nécessaires pour réaliser des interviews. Une première version du film est projeté à Sarajevo à l'été 2014, au centième anniversaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale. Déception : les pacifistes venus dans la capitale de la Bosnie-Herzégovine ne s'intéressent pas à ce film sur la bombe. Leur sujet c'est la guerre, par la guerre nucléaire ! Par ailleurs, Jean-Claude s'entend dire lors d'une projection privée : "Excellent film sur un problème dépassé depuis 30 ans !" Alors, afin de compléter et terminer le film, il lance une souscription qui, grâce au Mouvement de la Paix, touche un grand nombre d'organisations pacifistes et réussit à collecter 22 000 euros supplémentaires. Plusieurs séquences sont ajoutées dont l'une sur deux Hibakusha venus en France, victimes d'Hiroshima.

Illustration 5

Le film est dédié à Bruno Barrillot, cofondateur de l'Observatoire des armements et lanceur d'alerte. Ancien prêtre catholique qui a mené la guerre contre les euromissiles, il a été journaliste à Libération Lyon. Il a réalisé des enquêtes sur les dégâts des explosions nucléaires françaises sur les populations polynésiennes. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages. Interviewé dans La Bombe et nous, il est décédé cette année à Papeete.

Le film a été proposé à plusieurs télévisions françaises qui l'ont refusé. 500 journalistes ont été contactés, aucun média n'a parlé de La Bombe et nous. Il tourne en France à l'initiative d'associations pacifiques diverses : ainsi, à ce jour, environ 50 projections ont eu lieu. Cet état de fait confirme ce que démontre le film : à savoir qu'un sujet de première importance est totalement négligé dans le débat public.

. Voir article de Paul Quilès dans Reporterre : Les deux dangers qui menacent le plus la planète sont le changement climatique et les armes nucléaires 

. Site La Bombe et nous : ici

. Agenda des projections

. Contact avec DHR pour demander une projection du film : cooperative@d-h-r.org

. Les photos sont extraites du dossier de presse du documentaire (excepté le cliché signé YF). 

Illustration 6

Le « Peace Boat » est un navire affrété par une ONG japonaise qui a fait le tour du monde avec à son bord huit survivants des bombes atomiques de Hiroshima et Nagasaki, les Hibakusha.

Billet n° 359

Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr

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  [Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question. Par ailleurs, tous les articles sont recensés, avec sommaires, dans le billet n°200]

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