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Billet de blog 2 févr. 2023

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Zoolâtrie discriminatoire

Une force darmanesque pour lutter contre les violences faites à chiens et chats, en voilà une bonne idée, mais qui reste à l’état de croupion de poulet. Quid des élevages industriels, des exportations galériennes de bétail vivant, des vaches essorées jusqu’à finir dans une barquette de supermarché ? Dans ce domaine, Darmanin a préféré ouvrir la chasse aux affreux terroristes écolos.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Lapin truffé © Joan.charmant

L’animal politique pourrait faire l’objet d’une recherche éthologique. Prenez Darmanin : chez lui, les animaux (y compris hommes et femmes, ces drôles d’oiseaux) n’ont pas tous le même statut. Si la chasse aux manifestants (mutilés pour certains) ou aux migrants (qui meurent sur nos frontières) trouve toujours justification chez les poulets, le coq en chef annonce vouloir protéger Médor et Minette des actes barbares de leurs maîtres, souvent des mâles alpha.1 Il faut dire que ces crétins estiment avoir des droits suprémacistes sur leurs animaux ‒ souvent les mêmes mâles qui s’estiment propriétaires du corps de leur compagne ‒. L’enjeu apparaît justifié si on prend en compte ne serait-ce que les 100 000 animaux domestiques abandonnés chaque année, souvent dans un état pitoyable. Le patron de la maison poulaga2 a d’ailleurs communiqué en effectuant une descente dans un refuge de la SPA de la Marne,3 histoire de faire voir qu’il n’est, au fond, pas un mauvais bougre et qu’il aime les animaux. Et qui aime les animaux, aime les gens, ça parle à l’électeur sans que ça coûte un kopeck à l’idéologie répressive du cador. La France, championne d’Europe, héberge 80 millions d’animaux, dits de compagnie, dans un foyer sur deux.4 Ça fait beaucoup de votants potentiels, encore plus intéressant que la meute des chasseurs. Il n’a pas précisé si le poisson rouge (ou d’une autre couleur), premier animal de compagnie plébiscité par les Français (26 millions sur 80), entrait dans le viseur de la quinzaine d’enquêteurs, policiers et gendarmes, de la cellule déjà dédiée à ces dossiers, et des futurs 4000 « référents » supplémentaires qui seront habilités, éparpillés dans les poulaillers de l’Hexagone. Le poisson séquestré dans son bocal est-il maltraité ? Masques et tubas seront alors nécessaires pour enquêter.

Gendarmes en protection de l’élevage concentrationnaire

Même si on prend en compte nos amis à branchies, la com’ du ministre abandonne sur le bas-côté de la route les dizaines de millions d’animaux domestiques internés dans les univers concentrationnaires de l’élevage industriel. Veut-il éviter de faire de l’ombre à son collègue Marco Fesneau, ministre officiel de l’Agriculture ou de heurter la FNSEA, ministère officieux de l’agriculture industrielle ?

La justification se trouve sans doute dans le fait que, dans le système capitaliste, les 80 millions d’animaux de compagnie représentent un marché à 5 milliards d’euros en frais de bouche, d’entretien et de santé, à condition qu’ils restent bien vivants et que leurs maîtres sourcilleux soient politiquement confortés, d’où la directive de Darmanin. Mais une vache-usine à lait, un porc gavé d’antibiotiques ou un poulet sans képi encagé, qui ne voient pas la lumière du jour, n’ont la valeur que d’un capital, d’une ligne de bilan, sur le marché de l’agroalimentaire, particulièrement à l’exportation. Pour preuve, Christiane Lambert, mère poule de la FNSEA, évoque la « décapitalisation bien réelle »5 du cheptel de l’élevage français, constatant la disparition ou la réduction des élevages. Ces braves gens assimilent ces animaux embastillés à des lignes comptables, comme les esclaves de la traite négrière étaient comptabilisés dans les meubles de leurs propriétaires. Le même respect pour le vivant.Il n’y a pas d’état d’âme dans le commerce capitaliste : ça tombe bien, dans les deux cas, les cathos estimaient que ces créatures étaient justement dépourvues d’âme. C’est l’animal-machine de Descartes.

Illustration 2
Elevage ou manufacture d'animaux-machines ? © Liberation BC

Rappelons qu’il y a environ 340 millions d’animaux dans nos élevages (sans compter les abeilles),6 sachant que les élevages extensifs et réellement respectueux du bien-être animal sont une minorité. Et puis, pourquoi Darmanin et Fesneau ne s’attaquent-ils pas aussi aux massacres publics et sanglants de taureaux dans les corridas, aux boucheries des chasses en enclos, entre autres ? De telles scènes dans un abattoir donneraient tout de suite lieu à sanctions médiatiques, politiques, juridiques et administratives. S’agit-il de préserver la tradition ? Que n’a-t-on préservé la tradition du supplice de la roue en place publique ou des venationes7 de la Rome antique ?

Au contraire, en vertu du statut comptable de ces animaux dans le PIB français, les militants étalant au grand jour les dérives mortifères des élevages concentrationnaires sont pourchassés par ces mêmes poulets, cette fois étiquetés dans une cellule gendarmesque intitulée avec finesse « Demeter »,8 du nom de la déesse de l’agriculture et des moissons de la mythologie grecque (des poètes ces gendarmes) ou encore plus ironiquement du nom de la certification de l’agriculture biodynamique. De vrais gendarmes certifiés bio, à la poursuite des activistes qui eux, sont labellisés « terroristes » et criminalisés, contrairement aux manufacturiers de malbouffe et à la longue tradition de scandales sanitaires. Les dérives de cette traque ont depuis été mises en lumière. Leur mission de prévention d’« actions de nature idéologique » a notamment été jugée illégale par le tribunal administratif de Paris.9

Illustration 3
© Joan.charmant

Végans hors sol

Autre conception de l’analyse du couple homme/animal, moins matérialiste mais plus idéologique, il y a les végans qui excluent quasiment toute interaction entre un animal, l’homme, et les autres êtres du monde vivant, comme s’il était question de deux mondes indépendants. C’est aussi l’argument de générations de théoriciens, d’adeptes du progrès et de la supériorité de l’Homme sur ce monde. L’antispécisme, s’il redéfinit la considération morale, jusqu’ici essentiellement religieuse, à accorder à un individu du monde vivant, ne prend pas en compte les interdépendances vitales, et même les situations de coopération, entre ces individus dans une nature globalisée. Et puis l’antispécisme reste flou sur le périmètre des individus à prendre en compte : l’amibe a-t-elle les mêmes droits que l’éléphant, le bambou que la chèvre ? Si on prend en compte les liens cités, dans un monde vivant qui se suffit à lui-même, chaque élément a son importance. Entrer dans doctrine végane, comme dans d’autres tout aussi restrictives, c’est nier ou faire le tri dans ces liens de dépendance réciproque qui existent depuis bien plus que des millénaires sur notre petite Terre. Dans la nature non artificialisée ou administrée par l’homme capitaliste, les sacrifices y sont permanents, mais sont pratiqués à la mesure exclusive des stricts besoins du prédateur. Ces liens ont pu être bousculés par des conditions extrêmes (catastrophes naturelles), aboutissant à une redistribution des cartes des espèces. Mais aucune comparaison possible avec l’objectif humain, biblique et capitaliste d’asservissement de la nature et à sa conséquence effrayante d’un climat en débâcle et d’une biodiversité en pleine extinction. Ce monde moderne, et particulièrement l’agriculture industrielle, cherche à administrer son environnement par la force brute, rompant ces liens de dépendance en anéantissant des milliers d’espèces, de biotopes, et toujours à son seul profit.

Compagnonnage, coopération, mutualisme, symbiose

Dans le monde vivant, il n’y a pas que la prédation. Il y a aussi les liens de compagnonnage entre espèces, où deux entités coopèrent, pratiquent le mutualisme, où les intérêts communs sont bien compris. Deux exemples similaires. Il existe une action de symbiose, une mutualisation très poussée entre certaines espèces de fourmis et des pucerons.10Les premières se régalent des déjections sucrées des seconds, le miellat. Cette relation, appelée trophobiose, existe depuis l’oligocène, il y a 50 millions d’années. La palpation des fourmis stimulent les pucerons qui leur libèrent alors, sous forme de perles à l’extrémité de leur abdomen, le miellat, au lieu de le déposer sur les feuilles. Les fourmis font donc le ménage dans la colonie de pucerons, les protègent des prédateurs et vont même jusqu’à les déplacer elles-mêmes si la sève vient à manquer. Ça ne vous rappelle rien ? Un paysan, proche de ses bêtes, élevées dans leur milieu naturel, ces dernières offrant leur lait après s’être régalées d’herbe fraîche. Et il suffit que le/la paysan·ne se fasse remplacer pour qu’il y ait moins de lait en fin de traite. Elles ont leurs têtes et surtout un lien privilégié avec celui ou celle qui les soigne et les protège chaque jour de l’année.

Les exemples foisonnent dans le monde vivant11 : poissons et corail, champignons et plantes, une amibe, Pelomixia palustris, qui n'a pas de mitochondries mais des bactéries symbiotiques dont certaines sont aérobies et jouent le rôle de mitochondries…12 Même le corps humain ne survivrait pas sans sa cohorte innombrable de bactéries qui se nourrissent à nos dépens tout en nous protégeant d’infections et en nous aidant dans certaines fonctions comme la digestion. Battons-nous plutôt contre l’usage délirant des antibiotiques, chez l’humain comme dans les élevages. Respect, mesure et protection mutuelle sont la base. Toute autre méthode, comme l’élevage de séquestration en bâtiment industriel, avec des animaux dopés aux substances chimiques, s’appelle de l’exploitation. Un chien, ou tout animal de compagnie, transformé en produit de consommation à l’ère de tout jetable, de la société du spectacle sur les réseaux sociaux, s’appelle de l’exploitation. Un céréalier qui fait place nette en éliminant systématiquement de ses champs et de sa terre vivante tout organisme autre que la plante dopée qu’il sème, ça s’appelle de l’exploitation. Dans ces exemples, l’Homme asservit, il n’y a plus de respect et donc de relation de symbiose.

Illustration 4
Porc basque en milieu naturel © Carlos Octavio Uranga

Alors oui, il faut diviser notre consommation de viande, et de protéines animales en général, par dix. Elle doit redevenir l’exception, comme elle l’a toujours été chez les peuples non pervertis par notre funeste civilisation, des peuples qui soignent leur environnement dont ils savent qu’ils sont une part ontologique. L’Homme en particulier et le monde en général ne s’en porteront que mieux. Les adeptes du véganisme ne sont pas plus éclairés dans leur rapport aux animaux et à leur nourriture que le sont les viandards qui refusent de savoir comment sont exploités et abattus les animaux dont les viandes torturées suintent de leurs handburgers McDonald’s ou qui remplissent leurs boîtes de foie gras Delpeyrat.

Le véganisme est logiquement arrivé en mode en réaction exacerbée aux excès violents de la société de consommation, cela se comprend. Mais tomber dans un extrême aussi radical, constitué avant tout d’interdits, n’aidera pas la majorité à revenir à un mode de vie fait de sobriété, de compréhension de monde vivant qui nous entoure, d’intelligence collective. On sait ce que donnent les régimes alimentaires disciplinaires dont les gourous font leur miellat mais qui finissent toujours en déprime.

Et puis, au nom de cette doctrine, va-t-on interdire aux fourmis de traire leurs troupeaux de pucerons ? Homo sapiens aurait-il survécu sans la protection hivernale des fourrures ? Les doctrines, les moralisations religieuses ou sectaires, sont antithétiques de l’ouverture d’esprit sur le monde qui nous entoure. L’éducation à la nature, à notre juste place dans cette nature, disparue presque corps et biens des programmes scolaires, serait bien plus efficace.

Tous les êtres vivants, une bonne partie de l’Humanité comprise, doivent être protégés de la voracité aveugle et destructrice des milliardaires et de leur arme de prédation massive : le capitalisme libertarien. Alors, M. Darmanin, on s’attaque vraiment à la maltraitance du monde animal ?

Illustration 5
Tout ça pour ça ? © soq

1. : l’expression, datant de la fin des années 1940, est utilisée en zoologie pour désigner le mâle dominant dans un groupe. Mais la notion est débattue chez les scientifiques. Dans le grand cirque médiatique et numérique, elle désigne des phallocrates qui font de la domination, souvent violente, un art de vivre.

2. : Le terme de Maison poulaga date précisément de 1871 quand la préfecture de police de Paris s’est installée sur l’île de la Cité, en lieu et place d’un marché aux volailles, les condés étant dès lors assimilés à des gallinacés. Pour compléter ce petit cours d’histoire, les poulets pouvaient devenir aussi des vaches menacées d’un « Mort aux vaches », insulte datant de la même époque et probablement issue du terme allemand « wache » inscrit sur les postes de garde teutons. Il faut dire qu’on était en plein milieu du premier des trois rounds opposant Français et Allemands.

3. : https://www.francebleu.fr/infos/societe/maltraitance-animale-brigade-specialisee-referents-ce-qu-il-faut-retenir-des-annonces-de-gerald-darmanin-3814930.

4. : https://www.facco.fr/chiffres-cles/les-chiffres-de-la-population-animale/.

5.:https://www.reussir.fr/la-decapitalisation-silencieuse-du-cheptel-francais-est-bien-reelle-alerte-christiane-lambert.

6. : https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-saiku/?plugin=true&query=query/open/RA2020_2141#query/open/RA2020_2141.

7. : Ces jeux du cirque mettaient aux prises des animaux sauvages entre eux, ou des animaux et des hommes, ou encore des simulacres de chasse dans un amphithéâtre dont l'arène était occupée par un décor censé rappeler le milieu naturel d'origine des animaux (wikipedia).

8. : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-enquete-des-matins-du-samedi/cellule-demeter-enquete-sur-les-derives-de-la-lutte-contre-les-violences-agricoles-5340299.

9. : https://www.liberation.fr/environnement/agriculture/agriculture-les-gendarmes-de-la-cellule-demeter-prives-de-leur-pouvoir-de-surveillance-ideologique-20220202_N642J65AZBBQLETXFSLCWPYEVI/.

10. : https://www6.inrae.fr/encyclopedie-pucerons/Pucerons-et-milieu/Pucerons-et-fourmis-mutualisme.

11. : https://www.futura-sciences.com/planete/photos/nature-nature-symbiose-animaux-viennent-aide-1931/.

12. : http://www.evolution-biologique.org/histoire-de-la-vie/la-cellule-a-noyau/symbioses-dans-la-nature-actuelle.html.

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