Avertissement : le titre de ce billet est honteusement plagié du merveilleux roman de Jean Teulé, Le magasin des suicides, disponible en poche.
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Il y a des catégories de population dont on ignore les tourments et contrariétés. C’est le cas des chasseurs, victimes de l’assèchement de leurs sources en munitions pétaradantes. C’est d’abord que les armureries disparaissent en même temps que les porte-flingues : le nombre de chasseurs est passé sous la barre symbolique du million de titulaires du permis pour cette saison.1
En Dordogne, ils sont trois fois moins nombreux qu’il y a cinquante ans ; en France, ils étaient 2,5 millions.2 « Il y a des endroits où les gens doivent faire 150 kilomètres pour chercher une boîte de cartouches, […] ça c’est plus possible », s’indigne l’inénarrable patron des chasseurs, Willy Schraen.3 C’est vrai que la disparition des services publics, des lieux culturels, des auberges et commerces en zones rurales paraît ainsi moins vitale que l’approvisionnement en pruneaux et en clopes.
Macron, en bon politicien populiste ma non troppo, caresse dans le sens du poil à la fois les buralistes dont les officines sont des lieux d’échanges, de commérages mais aussi de débats politiques animés, et les chasseurs autoproclamés gardiens de la ruralité, accessoirement candidats à la formation d’un parti politique pour les prochaines chasses aux électeurs, parti qui pourrait le gêner aux entournures. Il ne manquera toutefois pas de rappeler qu’il a divisé par deux le prix du permis en y ajoutant cette nouvelle libéralisation du petit plomb et des bastos à gros gibier. Les cambrioleurs, férus de ce genre de commerces, pourront les ajouter à leur butin.
Le père du en-même-temps, conscient des fins de mois difficiles de son petit peuple, soigne les addictions et loisirs de la France d’en bas et des lointaines contrées rurales. Une manipulation digne du dominant qui cherche à maîtriser en douceur toute rébellion, vieille de tant de siècles.
C’est le Panem et circenses (du pain et des jeux) de Juvénal, poète satirique de la Rome antique, qui fustigeait déjà la propension de ses contemporains à tomber dans le panneau du populisme des empereurs, eux-mêmes soucieux de la paix sociale en organisant distributions de pain et jeux du cirque. « Le peuple qui faisait autrefois les empereurs, les consuls, les tribuns, enfin dont toutes les choses dépendaient, est trop heureux aujourd’hui d’avoir du pain, et il ne désire tout au plus que des spectacles ».4
Cette manipulation des masses populaires, cette mise sous calmants addictifs, est aussi le thème de Dostoïevski dans Le Grand Inquisiteur.5 Pour maintenir une paix sociale, plutôt que de donner plus de libertés au peuple, il est plus efficace « d’avoir un troupeau grégaire et passif sous la houlette de pasteurs seuls capables de jugement » (Macron et ses semblables), et sachant conduire les foules par l’emploi intelligent du “mystère” (le tirage du Loto), du “miracle” (le ruissellement de la richesse capitaliste) et de l’“autorité” (voir Darmanin).
Le tabac remplace le pain du boulanger qui a baissé le rideau, la Française des jeux fait son cirque d’illusionnistes sur le dos des plus modestes et les chasseurs transforment les campagnes en stands sanglants de fête foraine. La révolution n’est pas pour aujourd’hui.
1. https://www.lafranceagricole.fr/chasse/article/844406/un-chasseur-sur-dix-est-agriculteur.
4. Satyres de Juvénal, traduit en 1681 par La Valterie (pp. 153-154).
5. Le Grand Inquisiteur, tiré du roman Les frères Karamazov de Dostoïevski. https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Grand_Inquisiteur.